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Colloque Henri Guillemin et la Commune – Interview exclusive de Jean Chérasse

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Interview exclusive de Jean Chérasse

Jean André Chérasse est réalisateur, scénariste et producteur, ancien élève de l’IDHEC. Il est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Histoire.

Parmi les nombreux films qu’il a réalisés, nous pouvons noter : Valmy et la naissance de la République (1967), Dreyfus ou l’intolérable vérité (1975), La prise du pouvoir par Philippe Pétain (1979). 

Pour lire la biographie complète de Jean Chérasse, cliquez ici

Illustration : Le mur des fédérés d’Ernest Pichio (1840-1898) – musée d’art et d’histoire de Saint Denis – cliché Andréani.
À la fin de la « Semaine sanglante », le samedi 27 mai 1871, les troupes versaillaises parviennent à investir le cimetière du Père-Lachaise où des fédérés s’étaient repliés tandis que les quartiers du Trône, de Charonne et de Belleville étaient assaillis. Durant plusieurs heures, les communards résistent au point que les combats se seraient parfois terminés au corps à corps et à l’arme blanche, entre les tombes, non loin des sépultures de Nodier, Balzac et Souvestre.
Cent quarante-sept communards faits prisonniers sont fusillés contre le mur est de l’enceinte du cimetière. Dans les heures et les jours qui suivent, les corps de milliers d’autres fédérés tombés lors des combats de rue dans les quartiers environnants sont ensevelis à leurs côtés, dans une fosse commune. En leur mémoire, une section de cette muraille est appelée dès la fin des années 1870 le « mur des Fédérés ».

Edouard Mangin : Vous avez accepté d’intervenir au colloque que nous organisons le 19 novembre prochain sur le thème « Henri Guillemin et la Commune – le moment du peuple ? ». Quel est votre thème d’intervention ?

Jean Chérasse : L’essai historique et politique que je suis en train d’écrire, provisoirement intitulé « les 72 Immortelles », tente d’analyser la Commune comme étant « une révolution de la fraternité ». Il est le résultat d’une promesse que j’ai faite à Henri Guillemin au début des années quatre-vingt.

Comment vous inscrivez-vous par rapport à lui ? Que représente pour vous son engagement ou sa façon de présenter l’Histoire ?

J’ai rencontré Henri Guillemin en 1967 à l’occasion d’une projection de mon film « Valmy et la naissance de la République » ; nous nous sommes liés d’amitié et avons décidé de collaborer. Ce fût d’abord « Dreyfus ou l’intolérable vérité » (prix Méliès 1975), puis « La prise du pouvoir par Philippe Pétain » (1979). 

[Ce dernier film est réalisé à partir de documents filmés de l’époque et de témoignages recueillis auprès de diverses personnalités. C’est une réflexion sur l’enchainement des faits qui, du 6 février 1934 au 10 Juillet 1940 – notamment l’agitation des Ligues, le Front Populaire, Munich, le Pacte germano-soviétique et la défaite française – jalonnent la longue marche à pas feutrés du vieux maréchal vers le pouvoir et la dictature de Vichy. Témoignent au cours de ce film : Claude Gruson, économiste ; Jean Chaintron, qui fut le secrétaire de Maurice Thorez ; Roger Codou, ancien militant communiste ; Charles-André Julien, collaborateur de Léon Blum ; Kostia Feldzer, Compagnon de la Libération ; Henri Jourdain et Paul Esnault, anciens délégués C.G.T. ; Jacques Benoist-Mechin et François Lehideux, anciens ministres de Vichy ; Pierre Andreu, journaliste ; Daniel Mayer, ancien leader socialiste et Henri Guillemin. Note de LAHG]

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J’avais été formé à l’Ecole des Annales (Robert Mandrou a été mon directeur de thèse du 3e cycle) mais j’ai découvert chez Henri Guillemin une intelligence heuristique et une volonté de démystification qui m’ont séduit et convaincu. Les deux films précités en sont le fruit.
« Il n’y a pas d’histoire objective, – disait-il – , l’honneur de l’historien, c’est la loyauté ». Nous parlions souvent de la Commune car il savait que j’avais une parentèle communeuse ; je lui avais promis que j’explorerais un jour mes archives familiales…

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Deux affiches différentes du film

Quand on prend l’histoire de la Révolution française, et notamment le moment Robespierre, on ne peut manquer de remarquer de grandes distorsions dans la présentation de la vérité historique, d’origine souvent idéologiques. La Commune n’échappant pas à ce phénomène, quels sont pour vous les points particulièrement déformés, ou carrément passés sous silence dans son histoire ? Ou, plus amplement, pourquoi d’après vous, la Commune est mal connue encore aujourd’hui ?

La révolution communaliste libertaire a d’abord été victime de la république bourgeoise qui est née sur les cadavres des communeux, puis elle a été « récupérée » par le PCF qui en a faussé la nature et la signification ; elle est aujourd’hui la proie des anglo-saxons qui lui ont retiré sa chair et sa poésie.

Vous êtes auteur-réalisateur de films. Quelles seraient pour vous les conditions à remplir aujourd’hui pour réaliser un film documentaire sur Henri Guillemin et surtout pour sensibiliser le plus grand public à la force de son engagement politique ? 

Il y a un magnifique film à faire sur Henri Guillemin, d’autant qu’il a laissé des traces audiovisuelles abondantes. Mais il faudrait l’aborder avec ferveur et ne pas hésiter à mettre en valeur l’insolente intelligence de cette grande figure du XXe siècle.

Peut-on connaître vos travaux actuels et vos projets ?

Je travaille d’arrache-pied à cet essai sur la Commune que j’espère terminer avant de disparaître. J’ai lu plusieurs dizaines d’ouvrages, compulsé des centaines de documents trouvés grâce à Internet, et j’ai dépouillé mes archives familiales – notamment la correspondance de Victoire Tinayre née Guerrier – qui m’ont apporté tous les éléments indispensables à l’étude des mentalités et à sentir « l’air du temps » ; j’ai longuement examiné à la loupe les visages des Communeux sur les photos et ils m’ont éclairé. Par ailleurs, je tiens sur Mediapart, un blog sous le pseudonyme de « Vingtras » en hommage à Jules Vallès.

Interview réalisée en septembre 2016

Colloque : « Henri Guillemin et la Commune – le moment du peuple ? »

SAMEDI 19 NOVEMBRE 2016 DE 9H00 À 18H00
UNIVERSITÉ PARIS 3 SORBONNE NOUVELLE – CENSIER – 13 RUE SANTEUIL 75005 PARIS

INSCRIVEZ-VOUS DÈS À PRÉSENT POUR BÉNÉFICIER DU TARIF PRÉFÉRENTIEL DE 12€ (AU LIEU DE 25€ SUR PLACE LE JOUR DU COLLOQUE)

POUR CONNAÎTRE LE PROGRAMME ET VOUS INCRIRE, CLIQUEZ ICI

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Colloque Henri Guillemin et la Commune – Interview croisée Cécile Robelin, Céline léger

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Interview exclusive de Cécile Robelin et Céline Léger 

Cécile Robelin est professeur de lettres modernes, agrégée de lettres, docteur d’Etat. 

Céline Léger est professeur de lettres modernes, agrégée de lettres modernes, doctorante en littérature française du XIXe.

Elles interviendront sous forme d’un duo, lors du colloque du 19 novembre prochain, car elles sont toutes deux spécialistes de Jules Vallès. L’intervention de Cécile Robelin portera davantage sur le Vallès de Guillemin, en tant que figure atypique, tandis que Céline Léger parlera d’une oeuvre dramatique méconnue de Jules Vallès, écrite en 1872, intitulée La Commune de Paris – « une fédération des douleurs »

La biographie détaillée de Cécile Robelin est disponible en cliquant ici et celle de Céline Léger, en cliquant

Illustration : Jules Vallès (1832-1885) – gravure sur bois de Leriverend et de Dochy, d’après une photographie d’Etienne Carjat (1828-1906)

Entretien croisé :

Edouard Mangin : Vous avez accepté toutes les deux d’intervenir au colloque que nous organisons le 19 novembre prochain sur le thème « Henri Guillemin et la Commune  – le moment du peuple ? ». La première approche pour traiter ce sujet serait plutôt historique. Vous êtes agrégée de Lettres modernes et docteur ès Lettres. Qu’est-ce qui  a motivé votre décision ? Quel est votre thème d’intervention ?

Cécile Robelin : Les colloques pluridisciplinaires sont les plus intéressants ; ils permettent de confronter des approches différentes d’un même objet de recherche ou d’objets de recherche parents. Je ne conçois pas mon champ de recherche comme strictement littéraire. Quand on travaille sur un auteur tel que Jules Vallès (journaliste enquêteur, romancier, homme de plume et d’action) on est nécessairement amené à rencontrer l’histoire, la philosophie ou la sociologie.
Pour mon intervention je travaillerai sur la perception de Vallès par Guillemin. Celui-ci a vu dans Vallès une des figures emblématique de la Commune et a saisi la place atypique et centrale de l’écrivain dans le paysage littéraire français. Je travaillerai donc sur des points centraux dégagés par Guillemin : la problématique de la violence, le rapport contradictoire au sacré et l’écriture de l’événement historique.

Et pour vous Céline ?

J’ai entamé en septembre 2014 une thèse sur Jules Vallès et l’écriture de l’événement. Je travaille sur les textes journalistiques écrits entre 1857 et 1870 donc mes recherches ne portent pas à proprement parler sur l’épisode communard. Cela dit, Vallès s’est activement engagé dans la Commune qui occupe une place incontournable dans l’ensemble de sa production. Les séries d’articles sur lesquelles étaient centrés mes mémoires de master (Le Tableau de Paris ; La Rue à Londres) sont postérieures à la Commune qui en a nourri les thèmes, les réflexions voire la poétique. À présent, la problématique de l’événement me conduit entre autres à étudier de près la vision et la représentation vallèsienne des Révolutions de 1789 et de 1848. La Commune ne peut être pensée indépendamment de ces événements historiques, et inversement, me semble-t-il.
Je proposerai une intervention sur une œuvre de Vallès encore largement méconnue et précisément intitulée La Commune de Paris. Cette pièce de théâtre écrite en 1872 est centrée sur l’épisode communard mais explore d’abord par la fiction des événements qui l’ont précédée et déterminée, à commencer par Juin 1848.

Henri Guillemin. Le connaissez-vous ? Comment vous inscrivez-vous par rapport à lui ? Que représentent pour vous son engagement et sa façon de présenter l’Histoire ?

Cécile Robelin : Je connais Guillemin par son texte sur Vallès et par ses conférences. Sa démarche de démocratisation savante me plaît et elle est dans l’esprit « vallésien ». La plume de Guillemin est originale : directe, elle ne s’embarrasse pas toujours de la rhétorique universitaire. Il écrit pour être saisi par le plus grand nombre et met ce qu’il est dans son discours.

Céline Léger : Ce sont mes recherches sur Jules Vallès qui m’ont rapprochée du travail d’Henri Guillemin. Je l’ai découvert il y a six ans lorsque j’ai lu sa biographie Vallès, du courtisan à l’insurgé, pour mon travail de master qui portait déjà sur Vallès. Mais je n’ai connu ses études historiques et ses conférences sur la Commune que tardivement, durant ma thèse. Sa volonté de démystification historique, pour dénoncer les impostures au service de l’ordre dominant, le rapproche considérablement de Vallès.

Vous êtes toutes les deux spécialistes de Jules Vallès.
Cécile, le sujet de votre thèse est : « Désacralisation et sacralisation dans les fictions à caractère autobiographique de Jules Vallès ». Qu’est-ce qui a motivé ce fort intérêt pour lui ? Une trajectoire humaine singulière, comme aurait dit Guillemin, ou plus que cela ?

Cécile Robelin : Comme Guillemin, j’ai véritablement découvert Vallès en khâgne. Ce qui m’a enthousiasmée, c’est la façon vallésienne d’inclure le politique en littérature et de penser une émancipation possible par les mots. Vallès ne donne pas de leçon, il n’assomme pas son lecteur avec un dogme ou une thèse mais il ne conçoit pas non plus la littérature comme un exercice solipsiste et coupé du monde. Aborder Vallès par le biais du sacré, du religieux, m’a permis de cerner les ambiguïtés, les contradictions de l’auteur.

Céline, de votre côté, le sujet de la recherche que vous menez actuellement est : « La fabrique médiatique de l’événement au XIXe siècle : Jules Vallès, écrire et faire l’histoire ». Je vous pose les mêmes questions quant à ce fort intérêt pour Jules Vallès. 

Céline Léger : J’ai découvert Vallès au début de mes études littéraires lorsque j’étais en classe préparatoire, à travers un extrait de L’Insurgé. Je me suis alors immédiatement plongée dans l’ensemble de sa trilogie autofictionnelle (L’Enfant, Le Bachelier, L’Insurgé). Outre la singularité d’une « trajectoire humaine », ce qui m’a conquise, c’est la verve d’une écriture profondément « située » dans l’histoire de son temps et toujours prompte à la critique sociale, pour autant jamais dogmatique et austère, mais souple et captivante, reposant sur un constant mélange d’humour et d’émotion.

A l’instar de certaines périodes historiques comme la Révolution française, notamment le moment Robespierre, la Commune condense un très grand nombre de faits et d’éléments dont la complexité facilite la production de récits déformés, mythifiés, au service de l’idéologie dominante. D’après vous, de part votre formation et vos recherches, quels sont les sujets particulièrement déformés, ou carrément passés sous silence dans l’histoire de la Commune ? 

Cécile Robelin : Pour paraphraser Marx, la plus grande innovation de la Commune fut sa propre existence. Le mouvement fut très bref, incapable d’acter véritablement un programme – par manque de temps -, de réconcilier des tendances antagonistes. On s’en tient peut-être trop souvent à ce découpage de l’événement mars-mai 71 (soit pour idéaliser cet éclair révolutionnaire ; soit pour nier son importance – il n’y a qu’à voir la place accordée à la Commune dans les programmes scolaires du secondaire !). Le plus intéressant dans la Commune, c’est qu’elle survient après des mois, voire des années de débats philosophiques ou politiques (blanquistes, anarchistes), de débats populaires et en contrepoint de juin 48 où le peuple avait été repoussé dans les marges de l’histoire par les républicains. La Commune ouvre des possibles interprétatifs sur le monde. Si elle n’a pas « réalisé » de programme, elle a permis de faire d’une partie du peuple parisien un véritable acteur politique et critique, elle a aussi permis d’associer des travailleurs manuels et des intellectuels et de rendre ces catégories perméables. Elle fait également émerger sur la scène politique ceux qui n’ont pas de visibilité discursive ou politique (les femmes, par exemple). La Commune est un laboratoire démocratique très « moderne ».

Céline Léger : La Commune est un épisode aussi bref et circonscrit que violent ; mais ces données ne suffisent pas à expliquer pourquoi elle est aussi méconnue, déformée, mythifiée. L’un des pires écueils consiste sans doute à l’isoler du reste de l’histoire sociale et politique du XIXe siècle. Par exemple, dire qu’elle trouve son origine dans la guerre franco-prussienne de 1870 et la capitulation de Paris est insuffisant voire trompeur. Vallès insiste beaucoup pour sa part sur le traumatisme des journées de Juin 1848 (répression sanglante des ouvriers insurgés). C’est un point qui me semble central et que j’aborderai dans mon étude de La Commune de Paris dont le prologue s’intitule significativement « Le Peuple vaincu (Juin 1848) ».

Cécile, vous avez récemment participé à un colloque sur le thème de la violence et allez publier en 2017 un livre intitulé : « Rhétorique romanesque et violence insurrectionnelle » (éd. Presse Universitaire de Limoges). Ceci semble montrer un nouveau thème dans votre travail. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Cécile Robelin : C’est un article pour un ouvrage collectif qui sera publié sur la violence. La violence est un thème capital pour qui aborde la révolution (89 ou 71). Parce qu’éthiquement injustifiable, la violence révolutionnaire est la voie royale qui permet à certains chercheurs de faire entièrement basculer un mouvement de résistance, une insurrection du désespoir, une tentative d’émancipation vers la barbarie. La question de la violence est de fait très dérangeante. Chez certains acteurs et écrivains de la Commune, la question de la violence révolutionnaire est évincée, ou « cachée » derrière celle de la répression versaillaise. Chez Vallès, la violence est abordée frontalement, en ce qu’elle pose problème.

Pour le colloque, vous avez proposé (et nous l’avons accepté) de faire une intervention en duo sur le thème générique « Jules Vallès ». Comment voyez-vous ce duo ? Quels sont vos thèmes forcément complémentaires ? Et, question naturelle par rapport au sujet, comment vous êtes-vous rencontrées ?   

Céline Léger : Cécile connaît très bien l’œuvre de Jules Vallès et en particulier ses œuvres à caractère autobiographique sur lesquelles elle a réalisé une brillante thèse il y a quelques années. Elle envisagera le rapport de Guillemin à Vallès et je me pencherai sur l’approche vallésienne de la Commune en m’appuyant sur certains jugements de Guillemin. Elle adoptera une démarche plus contextuelle ; mon travail sera une analyse surtout littéraire, centrée sur la pièce de théâtre La Commune de Paris qui n’a presque pas été étudiée dans le détail jusqu’à maintenant.
Avec Cécile nous nous sommes rencontrées à Montpellier, au printemps 2014, à l’occasion d’un colloque international sur Vallès et les cultures orales. Ce fut pour moi une rencontre très riche sur les plans humain et intellectuel, mais en définitive trop brève. Je suis ravie, honorée de me joindre à elle pour évoquer cet auteur que nous aimons tant et qui nous relie à Guillemin.

Cécile, vous nous avez évoqué votre prochaine participation à un colloque sur l’écriture de l’histoire. Un thème qui sonne très Guillemin. L’approche historique formerait-elle aussi une nouvelle facette dans vos recherches ? Pouvez-vous en parler ?  

Cécile Robelin : Le texte de l’historien ne peut se passer du récit. Et la littérature n’est jamais coupée de ses conditions de productions et de l’époque dans lequel elle s’écrit. Le récit littéraire et l’écriture de l’histoire ne sont pas hermétiques. Pourquoi choisir l’un ou l’autre quand on veut témoigner ? Quels choix stratégiques cela recoupe-t-il : c’est cela qui m’intéresse.

Céline, chacun regarde, lit et analyse le monde qui l’entoure par rapport à son appareil critique propre, sa formation propre, son âge, et surtout son expérience. Sans entrer dans des débats partisans ou qui pourraient impliquer, nous aimerions connaître votre sentiment actuel à propos de la situation socio-politique d’aujourd’hui, et ce évidemment au regard de vos travaux sur la Commune et en particulier de vos recherches actuelles sur la personne singulière de Jules Vallès.

Céline Léger : Cette « rupture irréversible » qu’est la Commune, pour reprendre une formule de Roger Bellet, tend parfois à éclipser le reste des événements vallésiens. C’est entre autres pour parer à cet écueil que ma thèse porte sur les écrits de Vallès antérieurs à la Commune (compris entre 1857 et 1870). L’étude de ce corpus pré-communard m’aide à comprendre de quoi s’est nourrie et comment s’est construite la colère de Vallès sous le Second Empire. Or, le futur « insurgé » ne se contente pas de critiquer les injustices sociales et les aberrations politiques de son temps, il remet en question et tente d’influencer le système médiatique dans lequel il s’insère en tant qu’écrivain-journaliste, malgré une marge de manœuvre souvent réduite (censure de la presse). Il engage une modernisation de l’écriture journalistique par une interaction accrue avec le peuple ; ses chroniques et ses reportages bouleversent la hiérarchisation de l’information (pourquoi tel incident diplomatique, politique voire intra-médiatique serait plus visible que tel drame socio-économique, par exemple ?) pour mieux soulever et résoudre les problèmes de la misère et de la marginalité sociale. Sa critique n’est pas théorique mais résolument pragmatique ; d’où son militantisme journalistique et sa participation concrète à la Commune de Paris. L’horizontalité politique en faveur d’une société moins inégalitaire, alliée à un refus déterminé de la violence (la « terreur » révolutionnaire comme la répression aveugle des insurgés), tel est l’axe qui structure sa démarche militante, et qui peut nous aider à repenser aujourd’hui notre rôle de citoyen. Bien des tares que dénonçait Vallès sous le Second Empire (inégalités criantes ; déficit démocratique ; culture du divertissement, etc.) n’ont pas disparu, elles revêtent seulement d’autres formes. C’est en quoi le discours vallésien me semble très moderne et éminemment utile.

Cécile, peut-on connaître vos travaux récents et vos futurs projets ?

Cécile Robelin : La direction d’un numéro de la revue vallésienne sur « justice et injustice » ; l’écriture d’un texte de philo pour enfants (pour poursuivre sur la route engagée en 2006 chez Gallimard avec le livre Qu’est-ce qu’un homme ?: Dialogue de Léo, chien sagace, et de son philosophe.

Et pour vous Céline ?

Céline Léger : – une interview de l’historienne Michelle Perrot dans le cadre d’une conférence à l’Agora des Savoirs de Montpellier (sur Olympe de Gouges, Flora Tristan et George Sand) ; – une intervention au colloque international « Fictions de la Révolution » (à Montpellier, en mai dernier) qui portait sur Madame Thérèse, ou les volontaires de 92 d’Erckmann-Chatrian et qui donnera lieu à une publication d’ici peu ; – un article sur l’influence de l’ironie proudhonienne dans un texte de Vallès intitulé « Poupelin, dit “Mes Papiers” ». Il paraîtra dans le prochain numéro de la revue Autour de Vallès (Vallès et les anarchistes, n°46).
Pour 2017, je présenterai une communication et un article sur Les Blouses, de Jules Vallès, dans le cadre du programme de recherche « Les ateliers de Clio. Écritures alternatives de l’histoire (1848-1871) ».

Interview réalisée en juin 2016.

Colloque : « Henri Guillemin et la Commune – le moment du peuple ? »

Samedi 19 novembre 2016 de 9h00 à 18h00
Université Paris 3 Sorbonne nouvelle – Censier – 13 rue Santeuil 75005 Paris

Inscrivez-vous dès à présent pour bénéficier du tarif préférentiel de 12€ (au lieu de 25€ sur place le jour du colloque)

Pour connaître le programme et vous incrire, cliquez ici

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Colloque Henri Guillemin et la Commune – Interview exclusive d’Annie Lacroix-Riz

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Interview exclusive d’Annie Lacroix-Riz

Annie LACROIX-RIZ, est historienne, ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégée d’histoire, docteur-ès-Lettres, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Paris VII-Denis Diderot. Parmi ses très nombreux écrits, elle a notamment publié :

  • chez Armand Colin : Le Vatican, l’Europe et le Reich de la Première Guerre mondiale à la Guerre froide (1914-1955), nouvelle édition augmentée, 2010; De Munich à Vichy, l’assassinat de la 3e République, 1938-1940, 2008; Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, nouvelle édition augmentée, 2010; Industriels et banquiers français sous l’Occupation, nouvelle édition entièrement refondue, 2013; Les élites françaises, 1940-1944. De la collaboration avec l’Allemagne à l’alliance américaine, Paris, Dunod-Armand Colin, avril 2016
  • chez Delga-Le Temps des cerises, L’histoire contemporaine toujours sous influence, 2012, et Aux origines du carcan européen, 1900-1960. La France sous influence allemande et américaine, Paris, Delga-Le temps des cerises, 2015, nouvelle édition 2016
  • Au Temps des cerises, Scissions syndicales, réformisme et impérialismes dominants, 1939-1949, Montreuil, Le Temps des cerises, 2015

Son site internet regroupe l’ensemble des ses activités (publications, interventions, articles, colloques, etc…) pour le consulter, cliquez ici.

Annie Lacroix-Riz interviendra à notre colloque le 19 novembre prochain.

Edouard Mangin : Vous avez accepté d’intervenir au colloque que nous organisons le 19 novembre prochain sur le thème « Henri Guillemin et la Commune – le moment du peuple ? », alors que vous n’êtes pas spécialiste de cette période. Qu’est-ce qui a motivé votre décision ? Quel est votre thème d’intervention ?

Annie Lacroix-Riz : J’apprécie de longue date Henri Guillemin, témoin sincère et courageux qui a consacré beaucoup de temps et d’attention à la Défaite de la France de mai-juin 1940. Il a fait partie du groupe des observateurs « bien informés » dans le cadre de leurs fonctions qui, soit pendant l’Occupation soit après la Libération, se sont efforcés d’analyser les causes de « l’étrange défaite », comme Marc Bloch avait commencé à le faire à l’été 1940 (L’étrange défaite, 1re édition, 1946 Paris, Gallimard, 1990, avec des articles passionnants rédigés clandestinement jusqu’à son assassinat par l’occupant en juin 1944).

Avec son ouvrage paru en 1945 sous le pseudonyme de Cassius, La vérité sur l’affaire Pétain (Genève, Milieu du Monde, 1945, rééd., éditions d’Utovie, 1996), Guillemin compte parmi ceux qui ont sérieusement anticipé sur ce que les sources intérieures nous ont appris ou confirmé depuis leur ouverture de 1999, qui mettait fin à soixante ans de verrouillage : il a pris rang parmi ses pairs, tels le grand journaliste de politique extérieure Pertinax (André Géraud), un des rarissimes hommes de droite que les haines de classe n’avaient pas aveuglés au point de leur faire choisir le camp de l’ennemi national et de préparer avec ardeur son invasion (Les fossoyeurs : défaite militaire de la France, armistice, contre-révolution, New York, éditions de la Maison française, 1943, 2 vol.) ; le grand diplomate patriote Raymond Brugère, ambassadeur à Belgrade de novembre 1938 à juin 1940 (Veni, vidi, Vichy, Paris, Calmann-Lévy, 1944) ; et le sincère républicain Pierre Cot (Le procès de la République, éditions de la maison française, New York, 1944, 2 vol.).

Je rends hommage à tous dans mes ouvrages sur les années 1930, Le choix de la défaite et De Munich à Vichy, et sur l’Occupation, Industriels et banquiers français sous l’Occupation et le dernier en date, Les élites françaises, 1940-1944. De la collaboration avec l’Allemagne à l’alliance américaine ‑ où je distingue Brugère, seul de nos diplomates à avoir démissionné le 17 juin 1940 en protestation contre une capitulation grimée en « demande des conditions d’un armistice ». Cette capitulation scellait l’alliance entre la « gauche » de gouvernement faussement républicaine, représentée par le radical Chautemps, et les putschistes groupés autour de Pétain, « dessus de cheminée » (selon la formule de son complice Laval) dont le grand capital synarchique avait besoin contre le peuple français.

Dans ses conférences de l’après-guerre, Guillemin a précisé ses analyses et les a, surtout dans les années 1960, diffusées dans le public, en France et dans le monde francophone. Il était logique qu’il s’intéressât à la Commune, dont les circonstances de la création sont proches de celles de la Débâcle de 1940 : réaction ou résistance de classe et patriotique à la ligne des dirigeants de la société et de l’économie, c’est-à-dire à leur choix du tuteur étranger déguisé en « guide de la civilisation », contre un peuple redouté et haï. Guillemin avait côtoyé ces élites avant-guerre, et il a beaucoup insisté, dans ses conférences, sur cette ressemblance entre 1940 et 1870-1871 que le diplomate et fils de général Brugère, qui vivait parmi les privilégiés, a si précisément décrite dans Veni, vidi, Vichy. C’est ce dont je traiterai au colloque du 19 novembre 2016.

Nos bien-pensants, qui ne veulent rien savoir du complot des élites françaises contre le régime républicain démontré par des milliers de documents originaux des années 1930 et 1940, le qualifieraient volontiers de « conspirationniste ». Il est aussi logique que, dans une période aussi troublée que la nôtre, la renaissance, indéniable, de l’esprit critique, la conscience d’être dupés sur à peu près toutes choses par ceux qui nous gouvernent et nous guident et la méfiance consécutive grandissante pour leur usage tous azimuts du concept de « conspirationnisme » relancent l’intérêt public pour Guillemin.

Mon intervention pourra s’intituler : « 1940, une défaite choisie comme en 1870 ».

Comment vous inscrivez-vous par rapport à Henri Guillemin ? Que représente pour vous son engagement ou sa façon de présenter l’Histoire ?

Ce littéraire, non-historien, a fait avec curiosité et vaillance, avant l’ouverture des fonds originaux, ce que « les historiens du consensus » (pour reprendre l’expression de l’historien américain du fascisme français, Robert Soucy) devraient faire systématiquement depuis 1999, date à laquelle est tombée la limite des 60 ans cadenassant l’histoire intérieure de la France.

Or, sous l’autorité, quasi unanimement reconnue par le monde académique, d’Olivier Dard, et de son ouvrage, La synarchie ou le mythe du complot permanent, Paris, Perrin, 1998, réédité en 2012, mes collègues se refusent à dépouiller les sources de l’avant-guerre et de l’Occupation au motif allégué que le résultat en serait « conspirationniste ». Allende est-il tombé tout seul, par caprice personnel, du Palais de la Moneda le 11 septembre 1973, ou sous les coups d’une coalition entre classes dirigeantes chiliennes et tuteur américain, attestée par les archives américaines déclassifiées ? Le régime républicain n’est pas mort par hasard non plus en juillet 1940 (ou plus exactement entre le printemps 1938 et l’été 1940).

Guillemin s’est employé à présenter une vision critique et honnête des faits, alors qu’il ne disposait pas de toutes les ressources qui nous sont accessibles aujourd’hui. Et ce, contre les idées dominantes diffusées par les élites qui avaient, presque sans exception, conservé leurs positions après la Libération. Avec, à l’évidence, à la clé, et bien qu’on ne puisse le compter parmi les parias, une promotion moins éclatante que celle que lui aurait assurée le conformisme consistant à respecter scrupuleusement les élites restaurées.

Quand on étudie l’histoire de la Révolution française, et notamment le moment Robespierre, on ne peut manquer de remarquer de grandes distorsions dans la présentation de la vérité historique, d’origine souvent idéologique. La Commune n’échappant pas à ce phénomène, quels sont les points particulièrement déformés, ou carrément passés sous silence dans son histoire ? Ou, plus amplement, pourquoi d’après vous, la Commune est mal connue encore aujourd’hui ?

Pour les mêmes raisons qui nous empêchent aujourd’hui de faire connaître l’histoire vraie des années 1930 et 1940, sans la connaissance de laquelle nous ne pouvons comprendre ce qui nous arrive aujourd’hui. Je recommande vivement à cet égard à vos lecteurs la lecture de l’ouvrage court et très précis de mes collègues Gisèle Jamet et Joëlle Fontaine, Enseignement de l’histoire. Enjeux, controverses autour de la question du fascisme, Adapt-Snes éditions, Millau, 2016. Ils verront le même mécanisme à l’œuvre à propos de la présentation actuelle de l’entre-deux-guerres aux élèves français.

La Commune était déjà sacrifiée quand une formation sérieuse était assurée, jusqu’aux années 1980, aux élèves français de l’enseignement secondaire général. Elle a purement et simplement disparu, victime, parmi bien d’autres sujets, de la liquidation de la formation historique en cours depuis plusieurs décennies. Liquidation dont j’ai traité dans l’ouvrage L’histoire contemporaine toujours sous influence (Paris, Delga-Le temps des cerises, 2012) et que mes deux collègues étudient en décortiquant les instructions du ministère de l’éducation nationale à l’ère « européenne » du remplacement des connaissances scientifiques précises par les prétendues « compétences » jugées amplement suffisantes pour la masse des futurs exécutants de la stratégie du capital financier mondialisé.

Votre dernier livre « Les élites françaises entre 1940 et 1944 – De la collaboration avec l’Allemagne à l’alliance américaine » est sorti en avril de cette année. Est-il pour vous comme un parachèvement de vos recherches et ouvrages antérieurs, travaillés en profondeur sur ce qu’on doit bien appeler la trahison des élites ? Ou pensez-vous qu’il y a encore à creuser pour faire éclater la vérité sur cette question centrale ?

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Chaque ouvrage repose sur des années de recherche spécifique et sur l’exploitation de recherches plus anciennes, qui représentent aussi un long travail. Tant que je pourrai faire de l’histoire, je continuerai à en faire avec le souci de dépouiller le maximum possible de sources, et la conscience ou la conviction que toute recherche peut et doit être complétée. C’est ce qui explique l’intérêt que je porte aux rééditions que mes éditeurs me demandent, voire à la réécriture très approfondie : c’est ce qui s’est produit pour l’édition d’Industriels et banquiers français sous l’Occupation publiée en 2013.

Sur la route de la vérité historique, il y a naturellement des noyaux de « vérité absolue », mais rien n’est définitif, et la poursuite des recherches permet toujours de faire mieux. Ce n’est pas décourageant mais enthousiasmant : c’est cette pratique qui m’a inspiré une passion pour les sources originales inentamée depuis 1970, date à laquelle j’ai entamé ma thèse d’État.

Ce livre mérite la plus grande audience et diffusion possible. Mais par rapport à la doxa, voire à cette forme de (auto) censure qui règne dans les milieux économiques, universitaires et médiatiques, comment se déroule la promotion de ce livre salutaire ? Avec votre éditeur ?

Pour l’heure, Les élites françaises, 1940-1944, se heurte à un mur de silence. Mon éditeur l’a envoyé à tous les journalistes qui l’ont réclamé, mais ils demeurent pour l’heure muets. L’ouvrage, fondé sur des sources très abondantes et le plus souvent non exploitées jusqu’alors, n’a fait l’objet d’aucune recension dans la presse écrite, mais seulement d’une, en ligne, dans le Grand Soir, sous la plume de Jacques-Marie Bourget, Il est vrai que le silence sur mes travaux est globalement de règle depuis la parution de la première édition du Choix de la défaite (2006), qui avait précisément attiré l’attention de ce journaliste, qui a l’audace de s’intéresser à nombre de sujets mal venus, dont le Qatar (J.-M. Bourget et Nicolas Beau, Le Vilain Petit Qatar. Cet ami qui nous veut du mal, Paris, Fayard, 2013). Ce n’est pas ce que je révèle en 2016 sur Eugène Schueller (voir l’index), le fondateur de L’Oréal, groupe depuis un certain temps principal annonceur de la grande presse française, qui risquait de me valoir l’intérêt de cette dernière dans les pages culturelles (ou ailleurs).

J’espère donc que la recension du Grand Soir et la présentation vidéo de mon ouvrage chez Armand Colin donneront aux lecteurs de votre site l’envie de me lire.

Peut-on connaître les thèmes de vos futurs projets ?

Deux, notamment (j’en ai d’autres) :

1° Premier projet, la suite de mon travail, échelonné sur plusieurs décennies, consacré aux élites françaises de l’entre-deux-guerres à la Deuxième Guerre mondiale, c’est-à-dire l’étude du retour en gloire de nos élites, après la farce grandiose de la non-épuration des plus grands coupables. Des élites désormais résolument atlantiques, mais toujours germanophiles : dans le second après-guerre, les deux tutorats n’ont cessé de se conjuguer.

2° Deuxième projet, l’analyse du thème « occidental » des « atrocités soviétiques de 1944-1945 en Allemagne », relancé récemment, y compris en France : il constitue un cas d’école de l’intoxication systématique dont la Seconde Guerre mondiale fait désormais l’objet aux Etats-Unis et dans l’ensemble de leur sphère d’influence, si agrandie depuis la chute de l’URSS.

La chose était impossible chez nous tant que les contemporains de la guerre et de ses lendemains pesaient très lourd dans la population : l’ignorance historique mentionnée plus haut, si répandue dans les jeunes générations, rend désormais les choses plus aisées…

Interview réalisée en juin 2016

Colloque : « Henri Guillemin et la Commune – le moment du peuple ? »

Samedi 19 novembre 2016 de 9h00 à 18h00
Université Paris 3 Sorbonne nouvelle – Censier – 13 rue Santeuil 75005 Paris

Inscrivez-vous dès à présent pour bénéficier du tarif préférentiel de 12€ (au lieu de 25€ sur place le jour du colloque)

Pour connaître le programme et vous incrire, cliquez ici

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Commune de Paris – L’élection des mandataires du peuple – 26 mars 1871

affiche élections Commune

Appel aux électeurs parisiens, daté du 25 mars 1871 et rédigé par les membres du Comité central de la Garde nationale

Florence Gauthier, historienne – Maître de conférences en histoire moderne à l’Université Paris VII, co-animatrice du site révolution-française.net, a écrit un article intitulé Commune de Paris – l’élection des mandataires du peuple – 26 mars 1871 sur le site Le Canard républicain (cliquez ici) consacré à l’oeuvre de Robespierre et aux études sur les fondements de la République. Florence Gauthier fut l’une des intervenantes du colloque « Henri Guillemin et la Révolution française – le moment Robespierre » (Paris, 26/10/13) et interviendra à notre prochain colloque :  « Henri Guillemin et la Commune – le moment du peuple ? «  le 19 novembre prochain.

L’échec militaire du Second empire, à Sedan, provoqua l’insurrection de Paris et la proclamation de la Troisième République, le 4 septembre 1870. Le nouveau gouvernement capitule néanmoins le 26 janvier 1871 et Paris est occupé par l’armée prussienne. L’insurrection du peuple de Paris, qui tient les Prussiens à distance et fait fuir le gouvernement de Thiers à Versailles, décide d’organiser les élections de la Commune de Paris, qui eurent lieu le 26 mars 1871.
L’Appel aux électeurs parisiens, daté du 25 mars 1871 et rédigé par les membres du Comité central de la Garde nationale, dont les membres ont signé le document [1] présenté ci-dessus, met en lumière la question cruciale du système électoral, en précisant la nature des rapports entre électeurs et élus. Ces rapports méritent d’être analysés et connus !

L’élu au service des électeurs

L’Appel invite ainsi les citoyens à choisir les « hommes qui vous serviront le mieux » : les députés seront alors au service des électeurs.
Le conseil est de les choisir « parmi vous, vivant de votre propre vie, souffrant des mêmes maux », « des hommes aux convictions sincères, des hommes du Peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue », « des hommes modestes » et non de beaux parleurs « incapables de passer à l’action ». Ces conseils complètent cette notion de l’élu au service des électeurs. Il s’agit de rechercher non des « stars » de la politique, mais des personnes capables d’assurer ce service public par excellence et d’assumer la lourde responsabilité qui va leur incomber : les électeurs ont donc tout intérêt à trouver des gens qu’ils connaissent de préférence, avec qui ils peuvent parler du mandat qu’ils leur confient et de leur service futur.
Ce système électoral exprime l’idée centrale et décisive que c’est bien aux électeurs de choisir leurs mandataires et non à ces derniers de présenter leur candidature pour se faire élire. L’objectif est de constituer une « représentation populaire », avec des « mandataires » et non « des maîtres ».
Les élections de la Commune de Paris avaient comme objectif, exprimé par le Comité central ce même 25 mars 1871 [2], de former l’organisation communale.

En voici quelques extraits :
« En donnant à votre ville une forte organisation communale, vous y jetterez les premières assises de votre droit, indestructible base de vos institutions républicaines. Le droit de cité est aussi imprescriptible que celui de la nation ; la cité doit avoir, comme la nation, son assemblée qui s’appelle indistinctement assemblée municipale ou communale, ou commune (…)
Cette assemblée nomme dans son sein des comités spéciaux qui se partagent ses attributions diverses (instruction, travail, finances, assistance, garde nationale, police etc…)
Les membres de l’Assemblée municipale, sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l’opinion, sont révocables, comptables et responsables (…) Citoyens, vous voudrez conquérir à Paris la gloire d’avoir posé la première pierre du nouvel édifice social, d’avoir élu le premier sa commune républicaine. »

proclamation_commune_paris_1871_monde_illustreProclamation de la Commune place de l’Hôtel de ville. (Le Monde Illustré, n°730, 8 avril 1871).

On le voit, le projet était de construire une république démocratique et sociale à partir de l’organisation des communes dans tout le pays, cellule de base de la vie sociale, économique et politique.
Les attributions de ces communes reprennent ce que le mouvement populaire avait construit pendant la Révolution de 1789 jusqu’au renversement du 9 thermidor an II – 27 juillet 1794.

Un système électoral fondé sur l’organisation des communes

Les assemblées générales communales de citoyens des deux sexes élisaient alors les membres du conseil général, ainsi que les membres des différents comités chargés des attributions de la commune : on retrouve bien sûr la fonction de garde nationale et de police, mais aussi celles des comités des subsistances, de l’instruction publique, des finances, de l’assistance. Les élus étaient sous le contrôle permanent des citoyens, qui se réunissaient plusieurs fois par semaine en assemblées générales. Le système électoral, pratiqué par le mouvement populaire révolutionnaire dans la période 1789 – 1794, était celui que les communautés villageoises avaient hérité du Moyen-âge et pratiqué jusque-là, tandis que les villes avaient perdu, depuis le XVIe siècle, leurs libertés et franchises [3].
Les élections des États généraux de 1789 avaient permis de rétablir, dans le Tiers-état soit 98% de la population [4], les assemblées électorales communales dans tout le pays, et avec elles, la pratique populaire d’élire des commis de confiance, responsables devant leurs commettants. Le mouvement populaire avait ensuite conservé les assemblées générales communales, qui devinrent l’institution révolutionnaire par excellence, jusqu’à la suppression de cette démocratie qui suivit le 9 thermidor an II – 27 juillet 1794.

Quelle est donc la nature de ce système électoral ? Ce sont les électeurs qui forment le peuple souverain, non point les élus.
Les électeurs, ou mandants, ou encore commettants, confient leur mandat ou mission à des mandataires ou commis de confiance : voilà les termes utilisés habituellement pour exprimer cette institution.
C’est aux mandants de contrôler leurs mandataires et d’avoir clairement conscience que les mandataires sont responsables devant eux.
La nature de ce système électoral s’intègre dans la conception d’une démocratie représentative à souveraineté populaire effective. Les mandataires sont en effet responsables devant leurs électeurs, ce qui implique qu’en cours de mandat, si les mandants ont perdu confiance dans leurs mandataires, ils peuvent les révoquer et les remplacer.

Les résultats des élections du 26 mars 1871 : Paris comptait autour de 2 millions d’habitants, mais nombre d’entre eux avaient fui depuis le 4 septembre 1870. Le nombre des votants fut de 230.000 et les résultats furent proclamés en public Place de l’Hôtel de ville, devant 200.000 personnes dont 20.000 Gardes nationaux, par le Comité central de cette même garde. Il y avait 85 élus des vingt arrondissements, dont la liste des noms fut prononcée, suivie d’allocutions et de chants révolutionnaires, dont celui de la Marseillaise, interdite depuis les diverses restaurations de la royauté.

Ce que nous connaissons aujourd’hui est tout autre chose

Certes, notre constitution actuelle affirme le principe de la souveraineté populaire dans la formulation suivante : « Article 3. La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »
Toutefois, le système des partis politiques fait que ce ne sont pas les électeurs qui choisissent leurs élus : ils leur sont imposés par les partis. De plus, les élus sont responsables, non devant leurs électeurs, mais devant leur parti, et c’est ainsi qu’ils sont devenus des mandataires de leur parti à qui ils rendent des comptes.
Si le principe de la souveraineté populaire est affirmé dans le texte de la Constitution, le fonctionnement des partis s’est imposé au système électoral : la souveraineté se trouve ainsi déléguée par les électeurs aux élus. C’est pourquoi, ce système peut être qualifié de système représentatif qui retire sa souveraineté au peuple pour la donner à la classe des élus. Ces derniers sont ainsi devenus les « maîtres » des électeurs, comme l’Appel du 25 mars 1871 en signalait le danger.

Séance du 02/12/2009 : Hémicycle vide

Séance du 02/12/2009 : hémicycle vide

Ce système a permis de créer une classe politique dont les membres cherchent à faire carrière dans l’élection à perpétuité. De grandes écoles permettent de constituer cette classe politique en une véritable aristocratie de représentants potentiels quasiment à vie, passant les étapes de l’élection municipale jusqu’au sommet actuel… qu’est le député du Parlement européen, grassement payé… à faire bien peu [5] puisque ce « parlement » n’a qu’un rôle de conseil ! On notera au passage que le système de rémunérations élevées des élus est devenu une des formes de corruption de cette classe politique, ce qu’il ne faut pas sous-estimer.

D’ou vient l’institution de « l’élu au service des électeurs » ?

Elle est bien connue ! et depuis fort longtemps et peut s’appliquer à différentes situations, comme par exemple, dans toute association ou société publique ou privée, qui a besoin de mandataires chargés d’une mission bien précise : le missionnaire est choisi avec soin par les responsables qui contrôlent sa mission et s’il n’a pas été capable de l’accomplir, il est révoqué et remplacé.
La formule latine de cette institution est le fidéicommis , le commis de confiance. Dans commis se retrouve la notion de service ou de mandat, de responsabilité du commis devant ses mandants et de son devoir de leur rendre des comptes.

Cette institution a-t-elle été appliquée au système électoral ? Oui, depuis le Moyen-âge dans la période qui a suivi la chute de l’Empire romain, et dans tout le domaine ouest-européen, lorsque la société dans son ensemble s’est organisée en petites unités appelées du terme commun à l’époque : université, comme celle de la communauté villageoise, de la commune urbaine, des divers corps de métiers urbains, de l’ordre de la noblesse, au sein de l’Église elle-même : ces petites unités se sont toutes formées sur la base d’une charte ou constitution, inventant leur forme de droit, précisée et rédigée en assemblée générale de leurs membres. Ces petites universités pouvaient être démocratiques comme dans les villages, dans certains corps de métiers, dans certains ordres monastiques, ou bien alors aristocratiques comme dans la noblesse ou dans le haut clergé etc…, quant aux monarques, rois, empereurs, papes ou riches propriétaires, leurs commis de confiance portent des noms divers et variés : ministres, intendants, secrétaires, chargés de mission etc…

Ce n’est pas l’institution du commis de confiance qui est de nature démocratique, c’est l’usage que l’on en fait qui lui confère ou non ce caractère : dans un système électoral démocratique comme celui de l’assemblée générale des habitants d’un village, le mandataire responsable devant ses mandants est la forme la plus démocratique qui soit, parce que le contrôle des mandataires par les mandants tombe sous le sens !
Par ailleurs, au XIVe siècle, comme le firent les royautés du domaine ouest-européen, le Roi de France institutionnalisa sous la forme des États généraux, une représentation de tous ses sujets convoqués pour débattre des impôts et de leur emploi, en cas de crise majeure. Les trois ordres étaient convoqués et le tiers-état, qui représentait tout le peuple en dehors des privilégiés du clergé et de la noblesse, était convoqué selon les formes décidées par les assemblées primaires communales, qui étaient maîtresses de la police de leurs élections.

« Le peuple peut, quand il lui plaît, changer son gouvernement et révoquer ses mandataires » – Maximilien Robespierre

Les élus étaient donc mandatés et leurs frais de voyage payés par leurs électeurs, à qui ils devaient rendre des comptes de leur mission : ils pouvaient bien sûr être révoqués s’ils ne leur avaient pas donné satisfaction.
On le voit, l’institution du commis de confiance était la pratique électorale courante de ces temps.

Comme je l’ai rappelé par ailleurs, dans la série d’émissions sur Radio Aligre intitulée « La place et le rôle du mouvement populaire pendant la Révolution française, 1789-1794 », dès les débuts de la Révolution, l’institution du commis de confiance, qui était toujours vivante dans les communautés villageoises au XVIIIe siècle, fut généralisée dans les villes, où elle avait disparu, depuis la convocation des États généraux de 1789 et redevint la norme de l’organisation électorale du mouvement populaire pendant la Révolution. Après les États généraux, les députés de la Convention furent élus par les assemblées communales populaires sur le mode du commis de confiance ou mandataire, révocable par ses mandants.

Et puis, la contre-révolution a commencé avec le 9 thermidor – 27 juillet 1794 et s’est amplifiée au XIXe siècle. Le Directoire, le Consulat, l’Empire, puis la restauration des Bourbons, des Orléans, un Second Empire, furent interrompus en 1830, en 1848 puis en 1871, par des Révolutions populaires qui tentèrent, trois fois de suite, de reconstruire une république démocratique et sociale, en commençant par la recomposition des communes avec leurs pratiques démocratiques et leur précieux système électoral de mandataires révocables par le peuple souverain.

Même si ces tentatives échouèrent successivement, celle de 1871, bien qu’isolée à Paris et dans quelques agglomérations urbaines et rurales, voulut faire revivre la remarquable institution du commis de confiance comme en atteste cet « Appel aux électeurs parisiens » et y parvint le 26 mars 1871, réveillant cet usage médiéval, devenu depuis 1789, puis 1792 – 1794, la forme par excellence du système électoral d’une république démocratique et sociale à souveraineté populaire effective.

Florence Gauthier

Notes

[1] Publié dans le Journal officiel de la République française, qui parut du 19 mars au 24 mai 1871 et qui, le 30 mars, changea de nom pour devenir Journal officiel de la Commune. Réimpression sous le titre Journal officiel de la République française sous la Commune, Paris, Victor Bunel éditeur, 1871. Voir aussi BDIC_AFF_014175 sur argonnaute.u-paris10.fr.
[2] On trouvera le texte cité dans Charles RIHS, La Commune de Paris, 1871. Sa structure et ses doctrines, Paris, Seuil, 1973, I, 2, « Recommandations du Comité central », p. 81.
[3] Voir à ce sujet Marc BLOCH, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, (Paris-Oslo, 1931) Pocket, 1999.
[4] On estime la population française à 26 millions d’habitants en 1789, l’ordre de la noblesse comptait 300.000 personnes, le clergé 130.000 et le Tiers-état le reste, soit environ 98% de la population, A. SOBOUL, La France à la veille de la Révolution, Paris, SEDES, 1974, p. 101, 134, 219.
[5] Sauf rares exceptions d’élus honnêtes et courageux – il en existe encore – qui tentent d’ouvrir des débats.

Pour aller plus loin

Conférence de Florence Gauthier sur « Robespierre et l’An II ou la construction d’une république démocratique et sociale » – 1ère partie

Conférence de Florence Gauthier sur « Robespierre et l’An II ou la construction d’une république démocratique et sociale » – 2e partie