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Henri Guillemin (19 mars 1903 – 4 mai 1992) In memoriam

Introduction

La tenue de notre dernier colloque consacré à l’affaire Dreyfus a généré une correspondance dont la relative importance concerne moins le nombre de messages reçus, que leur contenu.
En effet, la ferveur exprimée pour les travaux d’Henri Guillemin, toujours aussi forte et passionnée, s’est accompagnée à cette occasion de questionnements, de demandes de précision et parfois de réflexions singulières sur ses travaux ou ses engagements.

On peut certes admettre que pour certains la pensée d’Henri Guillemin puisse apparaître complexe, tant elle se démarque de la doxa par des clivages aussi inhabituels que pertinents, vivifiant et renouvelant ainsi l’analyse critique. Mais les valeurs qu’il a défendues avec intégrité tout au long de sa vie, sont absolument claires et sans ambages.

Le traitement de cette correspondance nous a laissé avec le désir de faire quelque chose, tel le photographe insatisfait qui a besoin de refaire le point pour obtenir une image bien nette.

Profitant de la date anniversaire de la disparition d’Henri Guillemin, survenue il y a 32 ans, le 4 mai 1992, nous avons plongé dans les différents hommages qui furent publiés ce jour-là pour finalement choisir l’article de René Rémond paru dans le journal Le Monde le 6 mai 1992.

C’est un ample portrait équilibré et précis, en forme d’hommage à l’homme intègre et passionné, un texte que certains connaissent bien, mais que la grande majorité de nos abonnés et de nos soutiens ignore, raison supplémentaire pour le mettre en ligne.

René Rémond (1918 – 2007) est un historien, diplômé de l’Ecole Normale supérieure, spécialisé dans l’histoire politique et religieuse contemporaine. On peut en savoir plus en se rendant ici ou .

L’article de René Rémond

La mort d’Henri Guillemin – Un historien pamphlétaire

Henri Guillemin laisse un nom qu’aucun historien de la France contemporaine ne peut ignorer et une œuvre qui s’impose à l’attention, en dépit – ou à cause, qui sait ? – de ses partis pris. Edifiée en un demi-siècle, cette œuvre importante pas son volume, présente, outre une indéniable originalité, une grande unité d’inspiration et aussi de facture.
Dès son Histoire des catholiques français au dix-neuvième siècle, parue peu de temps après la Libération, les jeux sont faits : Guillemin est en pleine possession de son talent et s’y affirment tous les traits qui assignent à ses travaux une place à part dans les ouvrages d’histoire : on y trouve d’emblée la méthode, le système d’explication, le genre littéraire qui caractériseront tous ses livres, quel qu’en soit le sujet.

Sa prédilection allait à la séquence qui s’ouvre avec la révolution de 1848, à laquelle l’avait amené sa sympathie pour Lamartine – il y avait du quarante-huitard chez cet homme – et qui s’achève avec l’affaire Dreyfus.
Période capitale qui a fondé notre démocratie, où s’enracinent encore nos controverses idéologiques les plus récentes et dont les débuts de la IIIe République, avec le grand incendie de la Commune, constituent le coeur.
Il a débordé de cette période, remontant jusqu’à Napoléon pour le flétrir, à la Révolution pour réhabiliter Robespierre, descendant jusqu’à de Gaulle pour corriger la légende.

Sa méthode doit beaucoup à sa formation et à ses recherches d’historien de la littérature : familier comme personne des écrits du dix-neuvième, des moins connus comme des plus fameux, grand lecteur de Mémoires et de correspondances, dénicheurs d’inédits, il excelle à faire parler les textes qu’il sollicite parfois pour leur arracher leurs secrets au risque de leur prêter un sens auquel l’auteur n’avait pas songé.

Avec une habileté consommée à laquelle le talent d’écrivain apporte une touche de plus, il compose une marqueterie de citations. Il en tire des conclusions qui invitent le lecteur à partager l’indignation de l’auteur qui s’est érigé en juge dans ces procès en révision des réputations. Il diabolise les gloires consacrées et canonise les réprouvés : il défend JeanJacques contre Voltaire et Jaurès contre Péguy.

Le système d’explication qui oriente tous ses livres était en 1947 relativement neuf pour un historien d’inspiration chrétienne : il se fonde essentiellement sur une vision dualiste, presque manichéenne, du monde et singulièrement du monde politique, mais la ligne de partage ne coïncide pas avec la traditionnelle division de la droite et de la gauche : Guillemin a fustigé certains politiciens de gauche ; personne n’a été plus sévère pour les fondateurs de la IIIè République – ceux de l’ « ère des Jules » – et il aurait des tendresses pour quelques conservateurs qui auraient des préoccupations sociales.

C’est aux notables qu’il s’en prend : il n’a pas cessé pendant un demi-siècle d’instruire le procès des classes dirigeantes et de requérir avec passion contre les puissants et les possédants. La bourgeoisie a toujours trahi parce qu’elle n’a jamais obéi à d’autres mobiles que la défense égoïste de ses intérêts de classe et la peur de voir ses privilèges menacés.
Il croit aux complots, aux machinations, aux conspirations des riches contre les pauvres. La crainte d’être dupe, la volonté de démystifier le conduisent à écrire une histoire policière, toute en intrigue, en provocations, en coups montés. Paradoxalement cet homme qui était la générosité même, tout désintéressement, attribue à ceux qu’il poursuit de sa vindicte des sentiments bas ; il ne croit pas à leur sincérité : il explique leur comportement par des motifs égoïstes.
En revanche, sa sympathie et sa tendresse vont aux petits, aux pauvres et à leurs défenseurs, de Lamennais et Ozanam à Jaurès et Zola.

L’interprétation est souvent injuste ? En vérité Guillemin ne se soucie guère d’être équitable : il a choisi son camp : depuis sa jeunesse dans le sillage de Marc Sangnier, c’est celui du peuple. Guillemin est un militant, il écrit une histoire engagée où le jugement moral est inséparable de l’appréciation de l’historien.

Par un paradoxe qui n’en serait un qu’au regard de la froide objectivité, cet homme qui s’est, toute sa vie, insurgé contre les simplifications d’une histoire bien-pensante, retourne contre ceux qu’il exècre le système d’explication du type « c’est la faute à ».
Le titre, repris pour un des ses livres, d’un article publié avant guerre dans la Vie intellectuelle et qui fit quelque bruit en son temps, « Par notre faute », exprime excellemment l’exigence morale, l’inclination à disculper les esprits les plus éloignés de sa famille d’esprit et à faire retomber l’entière responsabilité des malentendus et des erreurs sur son Eglise.

Il est aussi proche à la fois des historiens marxistes et de l’Histoire à la Beau de Loménie incriminant la responsabilité des dynasties bourgeoises.

Passionné, Henri Guillemin était un conteur passionnant. Quel talent pour faire revivre les hommes, évoquer les situations !

C’était aussi un incomparable conférencier.
Il aura certainement gagné à l’Histoire beaucoup de lecteurs auxquels il aura fait partager et sa curiosité et ses sentiments. Pour stigmatiser le « coup du 2 décembre » ou clouer au pilori les versaillais, il a les accents du Hugo des Châtiments ou la plume de Jules Vallès.
Si ses reconstitutions tiennent parfois autant du roman historique que du travail de l’érudit, dans ses meilleures pages, au plus haut de son inspiration, il fait penser à Michelet et à Bernanos : au premier il s’apparente, quoi qu’il en ait, par le lyrisme comme par l’amour du peuple ; du second il se rapproche par le détestation des bien-pensants et les philippiques du pamphlétaire.

Toute sa vie il aura livré le même combat pour la vérité contre l’injustice, porté par une capacité inépuisée d’indignation et de générosité. Il n’a jamais dévié des convictions de son adolescence.

Il aura créé, à l’intersection de l’histoire et du pamphlet, un genre original qui perpétuera le souvenir d’un chrétien fidèle à l’amour des humbles.

Pour obtenir l’original de l’article du Monde, cliquez ici

Photomontage LAHG : Henri Guillemin à Neuchâtel où il mourut
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Colloque Henri Guillemin 2023 – Les vidéos sont en ligne – 7è et dernier épisode

Suite et fin du colloque sur L’Affaire Dreyfus – 18 novembre 2023

Marie Duval au colloque Henri Guillemin du 18 novembre 2023

En effet, ce septième et dernier exposé clôt le colloque et met ainsi un terme à la mise en ligne de la série des vidéos inaugurée le 16 janvier dernier.

L’intervention de Marie Duval s’intitule Une affaire dramatique : Dreyfus au théâtre et au cinéma.
Il s’agit d’une approche originale et très instructive permettant de découvrir comment les arts de la représentation, théâtre et cinéma, ce dernier inventé au moment de l’affaire Dreyfus, se sont emparé de cet événement explosif caractérisé par une très forte charge dramatique.

Quand cela est possible, nous cherchons toujours à présenter comment l’Histoire, notamment à travers les épisodes emblématiques qui scandent son mouvement immuable, peut être appropriée par les Arts et les Lettres, en particulier le spectacle vivant et le cinéma.

Nous avions pu le faire lors du colloque consacré à la Commune (19 novembre 2016), à travers une longue newsletter qui racontait comment le cinéma s’était approprié cet extraordinaire événement politique. (Pour relire cette lettre du 22 février 2017, cliquez ici).
Nous avions également pu présenter des extraits du film de Jean Chérasse La prise du pouvoir par Philippe Pétain pour le colloque consacré à Pétain et la collaboration (17 novembre 2018).

Ce fut donc un bonheur d’avoir fait la rencontre de Marie Duval, dont la thèse, en cours de finition, porte sur « Dreyfus sur la scène internationale : l’Affaire au théâtre et au cinéma sous la Troisième République ».

Son intervention présente comment une affaire aussi dramatique a inspiré les artistes et a été mise en scène, au théâtre comme au cinéma, malgré la censure d’État.

Les actes du colloque

L’édition de l’ouvrage est actuellement en cours chez l’éditeur Utovie. Il devrait être publié prochainement et avant l’été.
Il s’agira d’un volume plus épais puisqu’il rassemble les interventions du colloque Guillemin/Zola, un engagement littéraire et politique du 12 novembre 2022 et celles du colloque L’affaire Dreyfus et son temps. Enjeux politiques et interprétations du 18 novembre 2023, les deux manifestations formant diptyque autour d’Emile Zola.

Une newsletter sera diffusée à l’occasion de la publication de l’ouvrage.

Intervention de Marie Duval

Une affaire dramatique : Dreyfus au théâtre et au cinéma

Marie Duval, Professeur certifiée de lettres modernes, doctorante en arts du spectacle à l’Université de Caen-Normandie.

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Colloque Henri Guillemin 2023 – Les vidéos sont en ligne – Episode n° 6

Bertrand Joly au colloque Henri Guillemin du 18 novembre 2023

Suite du colloque sur L’Affaire Dreyfus – 18 novembre 2023

Il est environ 16h00 lorsque Jacqueline Lalouette termine son exposé et laisse la place à son collègue Betrand Joly. C’est l’avant-dernière intervention du colloque. Elle clôt la séquence proprement historique sur l’affaire Dreyfus. La dernière portera sur l’appréhension de l’Affaire par le théâtre et le cinéma avec Marie Duval.

L’exposé de Bertrand Joly s’intitule « Les antidreyfusismes ». Le pluriel est en effet de mise, tellement les antidreyfusards forment une constellation disparate et contradictoire.

Bertrand Joly présente la grande diversité de ce courant hétérogène, permettant ainsi d’évacuer d’emblée les idées reçues qui perdurent encore aujourd’hui, qui qualifient les antidreyfusards comme des personnes automatiquement et foncièrement à la fois antisémites, nationalistes et antirépublicaines.

Il montre également la difficulté d’établir une typologie des différents courants antidreyfusards, d’autant que les antidreyfusismes évoluèrent fortement au fur et à mesure de l’avancée de l’Affaire, notamment après les aveux du colonel Henry à l’été 1898.

L’exposé de Bertrand Joly, d’une très grande clarté, présente pourquoi et comment certains milieux, groupes, institutions ont choisi d’être antidreyfusards.

En ce sens, son intervention permet aussi de constater à nouveau comment l’Histoire, construite à partir d’archives, en faisant éclater la vérité des faits, aide efficacement à la compréhension du monde.

Intervention de Bertrand Joly

Les antidreyfusismes

Bertrand Joly, Professeur émérite d’Histoire contemporaine à l’université de Nantes.

Prochain et dernier épisode : intervention de Marie Duval vers la mi-avril

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Colloque Henri Guillemin 2023 – Les vidéos sont en ligne – Episode n° 5

Jacqueline Lalouette au colloque Henri Guillemin du 18 novembre 2023

Suite du colloque sur L’Affaire Dreyfus – 18 novembre 2023

Il est environ 15h15, lorsque Vincent Duclert termine son exposé et laisse la place à sa collègue Jacqueline Lalouette dont l’intervention s’inscrit dans le cadre des relations entre l’affaire Dreyfus et  l’anticléricalisme en général.

D’entrée de jeu, Jacqueline Lalouette indique que son intervention sera plus précise et qu’elle se concentrera sur la façon dont les différents organes libre-penseurs et anticléricaux ont considéré l’affaire Dreyfus, comment se sont-ils positionnés et comment en ont-ils parlé.

Son intervention détaille son étude, menée sur une période de plusieurs années et sur une multitude de documents, bulletins, journaux, publiés tant au niveau national (fédération française de la libre-pensée, association nationale des libre-penseurs), que local (journaux et bulletins divers reflétant cette pensée).

Intervention de Jacqueline Lalouette

L’Affaire Dreyfus, vue par des organes libre-penseurs et anticléricaux

Jacqueline Lalouette, Professeur émérite de l’Université de Lille et membre senior honoraire de l’Institut universitaire de France.

Prochain et avant-dernier épisode : intervention de Bertrand Joly début avril.

Actualité éditoriale Henri Guillemin : encore du neuf !

L’activité de l’éditeur Utovie concernant les écrits de Henri Guillemin ne faiblit pas.
Nous avions déjà fait état, lors de notre newsletter du 14 février dernier, d’un certain nombre de nouvelles parutions de textes quasiment inédits d’Henri Guillemin, qu’on peut toujours découvrir en cliquant ICI.

Cette fois-ci, paraît Chroniques de Neuchâtel 1986-1992


ISBN 978-2-86819-817-4 • 414 pages

Cette édition a été préparée par Patrick Berthier dont il faut saluer, de nouveau, le remarquable travail concernant l’appareil critique. Le titre de l’ouvrage fait immédiatement penser à un autre recueil d’articles, Chroniques du Caire, paru en 2019, une édition pareillement préparée avec le même soin par Patrick Berthier.
Et là encore, ce nouvel ouvrage est considérablement enrichi de notes et de références et se lit aussi sur trois niveaux procurant ainsi un triple plaisir de lecture : la plume d’Henri Guillemin, l’érudition de P. Berthier pour une connaisance augmentée en Histoire littéraire, et nos propres souvenirs confrontés à la critique de Guillemin, puisque les articles portent sur des auteurs que nous avons lus ou sur des moments historiques que nous avons connus.

Pour mieux se rendre compte de la qualité de ce nouvel opus, nous ne pouvons que conseiller de relire la présentation de Chroniques du Caire dont nous avions rendu compte dans la newsletter du 19 juin 2019 en cliquant ici

Chroniques de Neuchâtel offre un recueil d’articles parus de 1986 à 1992 dans le journal suisse L’Express.
Ils portent naturellement sur les grands écrivains chers à Guillemin comme Emile Zola, Lamartine, Victor Hugo…
Mais on découvre aussi des textes historiques ou politiques comme Désinformation où il s’insurge contre la réécriture de l’Histoire à propos d’une mise en scène théâtrale (16/01/89), Robespierre solitaire, à propos d’un article de l’historien robespierriste Claude Mazauric (03/07/89), Le masque des mots [sur le libéralisme] (11/06/90), ou encore Pétain ? Connais pas… (02/04/90).

L’ouvrage est publié en version numérique disponible en accès libre. Cliquez ici.
Pour toute demande sur cet ouvrage, écrire à : utovie@wanadoo.fr

Photogramme du film Le Miroir d’Andrei Tarkovski (1975) symbolisant une sorte de synthèse des idéaux chers au cinéaste : l’Homme, la politique, la transcendance, la beauté de l’art et la puissance de la pensée créatrice.