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Henri Guillemin à la TV française en 1968. 2ème épisode.

Henri Guillemin en pleine conférence. Photogramme de l’émission « L’invité du dimanche » ORTF 1968. Doc INA.

Comme annoncé dans notre dernière newsletter du 14 novembre, voici la deuxième partie de cette incroyable émission TV de trois heures, « L’invité du dimanche », réalisée à l’ORTF en décembre 1968 par l’artiste Raoul Sangla et consacrée à Henri Guillemin.

La troisième et dernière partie sera diffusée début janvier 2025.

Comment regarder cette deuxième partie ?

Contrairement à la précédente mise en ligne via Youtube qui rendit possible d’installer directement la vidéo dans la newsletter, cette fois, nous avons dû agir autrement. En effet, les algorithmes Google et Youtube, ces logiciels espions fureteurs, ont empêché le telechargement de la vidéo de l’INA sur Youtube. Qu’il n’y eut aucun problème la fois dernière restera un des nombreux mystères de la blogosphère.

Heureusement, nous avons plus d’un tour de magie.
Voici la procédure de contournement à suivre pour pouvoir regarder Henri Guillemin, l’enregistrer, et continuer à le regarder sans entraves.

1/ Cliquez sur le lien ci dessous

https://www.grosfichiers.com/wWzxMKEEnad

Observation importante : ce lien a une durée de vie limitée. Il sera désactivé dans quelques jours, exactement le 23 décembre prochain. Il faut donc impérativement lancer la procédure de telechargement avant cette date.
Conseil : dès réception de cette newsletter.

2/ Cliquez sur le lien « Guillemin 2 mov »

3/ Si une publicité apparaît, revenez en arrière et recommencez en cliquant à nouveau sur « Guillemin 2 mov »

4/ Le téléchargement sur le disque dur de votre ordinateur commence. La vidéo est lourde et pèse 4,4 Go. En fonction de la qualité de votre équipement informatique, cela prendra entre 10 et 20 minutes.
Dès qu’elle aura été entièrement téléchargée, vous la garderez éternellement.

La magie de cette deuxième partie prolonge celle de la première. Pendant une heure, nous découvrons un véritable trésor, tant par les propos tenus entre Henri Guillemin (rappelons, que pour cette émission, il a invité trois séries de trois personnalités francophones : québécoises, suisses et belges. Toutes n’ont pas pu venir mais l’équilibre est assuré), que par la mise en scène.
Par exemple, la complète et incroyable absence de l’animateur au profit des seuls invités. Elégance et respect vis à vis du téléspectateur.
Tout le contraire d’aujourd’hui où l’animateur est ce roitelet narcissique faisant le pitre pour exister, les invités essayant d’imiter le carton-pâte.

Ouverture sur un gros plan montrant le clap et son inscription manuscrite « L’invité du dimanche ». Quand le clap est retiré, on découvre, toujours en très gros plan, le visage de Jacques Brel en train de fumer.

La bande son est sa propre chanson « Le plat pays », cette chanson plus qu’émouvante, dont on entend bien les paroles. Brel, toujours en gros plan, écoute l’air très concentré, voire soucieux, comme s’il se découvrait pour la première fois en train de chanter.

Ce début d’émission est étrange pour nous aujourd’hui. Bien sûr, de façon évidente, par son style, son esthétique, complètement hors des normes de la société du spectacle de 2024.
Mais il y a autre chose qui travaille insidieusement : au delà d’une nostalgie sentimentale, s’agite le sentiment diffus d’une perte. Une perte de nature politico philosophique : le peuple téléspectateur, ouvrir son champ de conscience ou l’abrutir ?

Cut/gros plan sur le visage de Guillemin, très concentré lui aussi.

Un panoramique à droite nous ramène sur Brel, qui se ronge le pouce. Puis un panoramique à gauche nous fait découvrir le visage de la romancière belge flamande Françoise MalletJoris.

La chanson de Brel « Le plat pays » continue de dérouler son poème.

Il ne s’est pas passé deux minutes, exactement 1,35 minute, et nous sommes envoûtés, complètement parmi eux. Ce qui nous autorise à nous poser cette question : pourquoi donc sont ils tous les trois aussi sérieux et concentrés, voire tristes à l’écoute de Le plat pays 

« Belle chanson belge ! » lance alors Henri Guillemin.
« Chanson flamande ! » rétorque Jacques Brel.

S’en suit une discussion entre eux trois.
On vous laisse découvrir la suite.

A noter : entre la 7ème et la 14 ème minute, on ne peut que savourer, chacun avec ses propres convictions en la matière, mais avec le plus grand plaisir, les échanges sur la foi, dieu, la religion, etc… entre le poète Brel, foncièrement athée, matérialiste convaincu, et Guillemin, quelque peu interloqué, dont on connaît la position sur ces sujets.

Bon visionnage.

Un paysan portant un prélat et un noble. Symbole du Tiers Etat écrasé par le clergé et le noblesse d’Ancien régime. Eau-forte en couleurs, Paris, 1789. Musée Carnavalet.

L’organisation de ce nouveau colloque avance avec opiniâtreté et de façon heureuse.
Nos immenses remerciements vont aux adhérents et abonnés qui nous ont exprimé leur amical soutien pour ce projet, nous ont procuré de nombreux contacts utiles pour monter ce prochain colloque.
Merci pour votre aide et votre soutien pour dans cette nouvelle action publique d’actualisation des travaux d’Henri Guillemin, cette rare voix instructive permettant d’y voir clair aujourd’hui.

Rappelons notre propos pour les nouveaux internautes.

Henri Guillemin présentait d’un côté, les « Gens de Bien».
Bien avec un « s », son jeu de mot favori pour souligner que le vocable « Bien » n’avait nul rapport avec l’éthique chrétienne, mais avait au contraire pleins rapports nourrissants, forts et durables avec la Richesse sous toutes ses formes et à travers tous les moyens pour la garder, l’accroître, même au prix des pires trahisons et compromissions.

Exemples historiques édifiants : Révolution française, La Commune, « L’autre avant – Guerre », c’est à dire les complots contradictoires de l’Oligarchie impérialiste bourgeoise transnationale, cette cause toujours impunie du massacre populaire de la Première Guerre Mondiale ; Pétain et la collaboration des classes oligarchiques, et….et… toujours de nos jours.

Et, d’un autre côté, Henri Guillemin présentait les « Gens de rien ou de peu », à savoir la très grande majorité des peuples : les travailleurs, seuls créateurs de valeurs, continuellement exclus du bonheur de leur propre production.
Clairement les dindons de la farce bourgeoise.

Colossale injustice, ineffable inéquité, invariant historique?

A la suite d’Henri Guillemin, il est légitime de se poser la question de savoir ce qu’il en est aujourd’hui des nouveaux mécanismes d’asservissement et d’appauvrissement subis par les Gens de rien ou de peu.
Et, dans une sorte de parralélisme des formes, il est tout aussi légitime, voire éducatif, d’ôter le mystère qui entoure aujourd’hui les Gens de Biens, c’est à dire les Riches, les Hyper Riches, et ainsi révéler le dessous des cartes, pour employer une des expressions favorites d’Henri Guillemin.

Quelle est la réalité de cette inégalité généralisée ? Comment fonctionne le Silence aux pauvres en 2024 ?

Couverture de la bande déssinée jeunesse parue en 2020 aux éditions Rue de l’Echiquier.
48 pages. 4,50 €. Clin d’oeil ironique à l’eau-forte du 18ème siècle.

Concernant le prochain colloque de l’automne 2025, le travail est intense. Intense, car le sujet est brûlant. Ce travail d’organisation est toujours en cours. Nous continuons la recherche des intervenants correspondants au message général que nous souhaitons délivrer.

Cinq grandes personnalités, économistes, sociologues, philosophes ont déjà confirmé leur participation à ce projet. Elles sont éparties sur les deux grands axes du colloque. D’autres sont en attente d’une meilleure visibilité de leur agenda.

Parallèlement, l’affinage des thèmes à traiter continue de s’enrichir, tant ceux concernant les Gens de biens, à savoir la classe des riches, voire des hyper riches, que ceux portant sur les Gens de rien ou de peu, à savoir les travailleurs et les conditions de leur travail.

L’architecture générale de la journée est inchangée (le relire, cliquez ici).

Henri Guillemin écoutant Romain Bouteille

Prochain épisode, 3ème et dernière partie de l’émission : début janvier prochain.

 

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Henri Guillemin à la TV française en 1968. Une rareté, une pépite. 

Henri Guillemin en pleine conférence. Photogramme de l’émission « L’invité du dimanche » ORTF 1968. Doc INA.

Après une trêve estivale plus longue qu’à l’ordinaire, au lieu du septembre habituel, c’est le mois de novembre qui accueille aujourd’hui la reprise de nos travaux.

Ce léger retard est simplement dû au surcroît de travail d’études et de recherche généré par vos sollicitations et propositions d’actions concernant la position d’Henri Guillemin par rapport à l’injustice sociale, devenue hurlante aujourd’hui.

Cette question, aussi logique que légitime en ces jours, a naturellement fait surgir l’un des fils rouges de l’œuvre d’Henri Guillemin sur ce sujet, à savoir l’invariant de l’Histoire moderne, ce rapport de classe entre dominants et dominés.
Henri Guillemin présentait d’un côté, les « Gens de Bien» Bien avec un « s », son jeu de mot favori pour souligner que le vocable « Bien » n’avait nul rapport avec l’éthique chrétienne, mais avait au contraire pleins rapports nourrissants, forts et durables avec la Richesse sous toutes ses formes et à travers tous les moyens pour la garder, l’accroître, même au prix des pires trahisons et compromissions (exemples historiques : Révolution française, Pétain, La Commune… et toujours de nos jours), et d’un autre côté, les « Gens de rien ou de peu », à savoir la grande majorité des peuples, non seulement dominés et exploités, continuellement dupés et trompés. Clairement les dindons de la farce bourgeoise.


Un paysan portant un prélat et un noble. Symbole du Tiers Etat écrasé par le clergé et le noblesse d’Ancien régime. Eau-forte en couleurs, Paris, 1789. Musée Carnavalet.

A partir de ce rapport de classe, spécifié de façon lumineuse par Guillemin dans les années 70/80, nous nous sommes posés la question : qu’en estil en 2024 ? Soit cinquante après ?

Car en 2024, les choses ont fortement changé. Un tour d’horizon sur la situation d’aujourd’hui donne le vertige. Quels sont, aujourd’hui, les nouveaux visages de ces « Gens de biens ». On sait qu’ils participent d’un système transnational, financier, ultra minoritaire et pour autant déterminant. Mais qui sont-ils, où sont-ils en réalité. Quelle est l’histoire de leur domination, d’où viennent ils ? Et comment opèrent-ils ? Quelle est la vraie réalité de l’ultra libéralisme dont ils sont issus ?

De même, dans la société ultra libérale, quels sont les nouveaux mécanismes d’asservissement subis par les Gens de rien ou de peu ? L’appauvrissement des dominés, qui vont des subalternes aux classes moyennes, n’opère pas seulement sur le plan salarial, économique et professionnel. Il travaille aussi en profondeur les domaines intellectuels, culturels, éducatifs, informationnels, sociaux et politiques, en fait, tous les domaines de la vie sociale.

Quelle est la réalité de cette inégalité généralisée ? Comment fonctionne le Silence aux pauvres en 2024 ?


Nouveaux plans ambitieux. 2005. Tableau de Jules de Balincourt, artiste peintre né en 1972. Huile sur toile 102 x 152cm. Collection privée.

Représentation d’un parlement du mal : des chemises empesées et des visages roses, l’ordre des affaires mondiales est sombrement décrit comme s’apparentant à une table de craps pour abstinents.

Comme il était impossible de traiter tous ces thèmes en un seul colloque d’une journée, nous avons opté pour la mise en lumière du rapport Gens de Biens/Gens de rien dans le monde du travail, lieu primordial de la société capitaliste, puisque le travail reste le point nodal d’où est issue toute valeur et tous rapports de production, donc de classes.

Pour être complet, il faudrait traiter les autres thèmes, un par un, à travers une série de colloques sur plusieurs années, cinq, six, ce qui formerait œuvre globale. C’est notre intention. Nous verrons.

La sélection des intervenants pour le premier colloque de cette série, celui qui est programmé à l’automne 2025, plus précisément soit début octobre, soit début novembre est en cours et ne peut donc pas encore être dévoilée.
Cependant, en voici l’architecture générale.

Une introduction du président suivie d’une nouveauté : un document vidéo inédit réalisé à partir d’extraits des conférences vidéo d’Henri Guillemin sur le thème du colloque. C’est un défi technique que nous nous sommes lancé et espérons réaliser.
Une matinée d’interventions consacrées à la réalité socioprofessionnelle chez les gens de rien ou de peu ; les victimes de l’ultra libéralisme.
Une après midi consacrée à montrer le vrai visage des classes riches et hyper riches
Une conclusion philosophique ouvrant vers des pistes d’espoir.

On vous tient informés des étapes d’avancement de ce grand projet.

C’est en préparant cet ensemble de colloques que nous avons découvert cette première vidéo : une petite interview d’Henri Guillemin à la RTBF (Radio Télévision Belge Francophone) datant de 1980.

Vous verrez, à 1, 20 mn, répondant à la question du journaliste qui déplore qu’il ne passe pas à la TV française, Guillemin réagit aussitôt en citant une grande émission datant de 1968, dont il fut l’invité. Cette émission fut la dernière car Guillemin fut ensuite évincé de la TV française par Pompidou qui le détestait. Il y reviendra plusieurs dizaines d’années plus tard.

Quelle était cette fameuse émission de décembre1968 ?

Après de longues recherches, nous l’avons trouvée parmi les archives de l’INA. Il fallut ensuite tout paramétrer et mixer le document vidéo pour qu’il soit le plus lisible et audible et en adéquation avec les contraintes technologiques d’aujourd’hui.

Il s’agit d’une émission de trois heures datant de décembre 1968, intitulée « L’invité du dimanche ». Cette émission réunit de très grands noms.

La productrice s’appelle Éliane Victor (1918 – 2017) pionnière à l’ORTF, qui deviendra célèbre et obligera le respect par ses émissions sur les femmes, dont « Les femmes aussi » . Pour en savoir plus sur Eliane Victor, cliquez ici

Le réalisateur s’appelle Raoul Sangla (1930 – 2021). C’est un des très grands réalisateurs du début de la télévision aux côtés de Jean-Christophe Averty, Claude Santelli, Jean Prat ou Stellio Lorenzi. Membre du parti communiste, il fut évincé par Pompidou et ne reviendra à la télévision française qu’après mai 1981 pour y réaliser le mythique « Journal d’en France »

Notons à cette occasion que Jean Chérasse, fidèle adhérent, qui a travaillé avec Guillemin sur ses deux grands films : Dreyfus ou l’Intolérable Vérité (prix Méliès) et La Prise du pouvoir par Philippe Pétain, connaissait très bien Raoul Sangla dont il admirait le talent et la vaste culture.

Pour en savoir plus sur Raoul Sangla, cliquez ici.

Comme l’émission dure trois heures, nous la mettrons en ligne en trois newsletters. Aujourd’hui le premier épisode.

Il est impossible d’imaginer à la télévision d’aujourd’hui, une émission si intense et innovante, tant par son sujet, sa durée, sa mise en scène, que par son écriture proprement cinématographique. A l’époque, la TV était encore un medium d’éducation populaire et d’enrichissement culturel.

Quelques mots de description avant que vous y plongiez.

Incroyable début : sur fond de musique de jazz, d’un gros plan sur les mains d’un contrebassiste, un zoom arrière nous montre le visage barbu du musicien.
Coupe.
Plan suivant sur une sorte de drôle de statue.
Apparaît le titre de l’émission, puis un panoramique vers la gauche capte en gros plan le front de quelqu’un, et bientôt de grosses lunettes noires que les connaisseurs ont déjà reconnues.

Eh oui, c’est Henri Guillemin qu’un zoom arrière conjugué à une montée en plongée, comme une belle arabesque, nous dévoile, debout, accoudé à un piano.
Il a l’air sérieux, concentré sur la musique. Il est là, tout seul, comme dans un bar américain.

La caméra continue de peindre par ses panoramiques, travellings et ouvertures de champ. De haut, elle nous fait maintenant découvrir le plateau de l’émission. D’abord les autres musiciens, puis une estrade pour le futur entretien avec Guillemin qui est filmé de profil, de trois quart dos (images inédites de lui puisque c’est toujours de face qu’on le voit à travers ses conférences vidéo), puis, surprise, apparaît dans le champ trois types en train de discuter debout en fumant près des coulisses.

Et là, on est obligé d’être intrigué, car ils regardent Guillemin qui, à l’opposé, est resté seul, accoudé au piano et dont certains plans rapprochés montrent qu’il a entamé une intense discussion avec le pianiste.
Il ne se passe rien d’autre, juste l’alternance de plans entre Guillemin « au piano » et, à l’autre bout du plateau, les trois gaillards que le son nous apprend qu’ils discutent de…… Guillemin.

Incroyable scène, incroyable ambiance qui va durer un petit quart d’heure ! Car ce n’est qu’à la douzième minute passée que l’animateur vient enfin vers Guillemin pour le saluer (plan séquence génial à partir de 12’ 41) et l’entraîner lentement vers l’estrade où l’on pense qu’enfin un débat va s’ouvrir.

Eh bien non ! Pas encore !

Mais arrêtons là pour vous laisser la surprise de la suite qui commence très fort à la seizième minute : Guillemin sur scène. La passion faite homme. Son plaisir gourmand. Un showman exceptionnel.
Celles et ceux qui ont assisté aux conférences de Guillemin jubileront.

L’émission dure trois heures. Trois heures de plaisir teinté de nostalgie. Nous la diffusons en trois fois une heure.
Aujourd’hui, le premier épisode.

Bon visionnage.

NB. L’équipe qui anime l’association réunit une poignée de camarades. C’est l’un deux, Michel Le Thomas, dont la carrière comme producteur et réalisateur lui a permis de travailler avec des pointures comme René Vautier (1928 – 2015), qui a trouvé ce document précieux et l’a remis aux normes techniques. Pour en savoir plus sur lui et ses réalisations, cliquez ici.

Prochain épisode, 2ème partie de l’émission : début décembre prochain.

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Henri Guillemin (19 mars 1903 – 4 mai 1992) In memoriam

Introduction

La tenue de notre dernier colloque consacré à l’affaire Dreyfus a généré une correspondance dont la relative importance concerne moins le nombre de messages reçus, que leur contenu.
En effet, la ferveur exprimée pour les travaux d’Henri Guillemin, toujours aussi forte et passionnée, s’est accompagnée à cette occasion de questionnements, de demandes de précision et parfois de réflexions singulières sur ses travaux ou ses engagements.

On peut certes admettre que pour certains la pensée d’Henri Guillemin puisse apparaître complexe, tant elle se démarque de la doxa par des clivages aussi inhabituels que pertinents, vivifiant et renouvelant ainsi l’analyse critique. Mais les valeurs qu’il a défendues avec intégrité tout au long de sa vie, sont absolument claires et sans ambages.

Le traitement de cette correspondance nous a laissé avec le désir de faire quelque chose, tel le photographe insatisfait qui a besoin de refaire le point pour obtenir une image bien nette.

Profitant de la date anniversaire de la disparition d’Henri Guillemin, survenue il y a 32 ans, le 4 mai 1992, nous avons plongé dans les différents hommages qui furent publiés ce jour-là pour finalement choisir l’article de René Rémond paru dans le journal Le Monde le 6 mai 1992.

C’est un ample portrait équilibré et précis, en forme d’hommage à l’homme intègre et passionné, un texte que certains connaissent bien, mais que la grande majorité de nos abonnés et de nos soutiens ignore, raison supplémentaire pour le mettre en ligne.

René Rémond (1918 – 2007) est un historien, diplômé de l’Ecole Normale supérieure, spécialisé dans l’histoire politique et religieuse contemporaine. On peut en savoir plus en se rendant ici ou .

L’article de René Rémond

La mort d’Henri Guillemin – Un historien pamphlétaire

Henri Guillemin laisse un nom qu’aucun historien de la France contemporaine ne peut ignorer et une œuvre qui s’impose à l’attention, en dépit – ou à cause, qui sait ? – de ses partis pris. Edifiée en un demi-siècle, cette œuvre importante pas son volume, présente, outre une indéniable originalité, une grande unité d’inspiration et aussi de facture.
Dès son Histoire des catholiques français au dix-neuvième siècle, parue peu de temps après la Libération, les jeux sont faits : Guillemin est en pleine possession de son talent et s’y affirment tous les traits qui assignent à ses travaux une place à part dans les ouvrages d’histoire : on y trouve d’emblée la méthode, le système d’explication, le genre littéraire qui caractériseront tous ses livres, quel qu’en soit le sujet.

Sa prédilection allait à la séquence qui s’ouvre avec la révolution de 1848, à laquelle l’avait amené sa sympathie pour Lamartine – il y avait du quarante-huitard chez cet homme – et qui s’achève avec l’affaire Dreyfus.
Période capitale qui a fondé notre démocratie, où s’enracinent encore nos controverses idéologiques les plus récentes et dont les débuts de la IIIe République, avec le grand incendie de la Commune, constituent le coeur.
Il a débordé de cette période, remontant jusqu’à Napoléon pour le flétrir, à la Révolution pour réhabiliter Robespierre, descendant jusqu’à de Gaulle pour corriger la légende.

Sa méthode doit beaucoup à sa formation et à ses recherches d’historien de la littérature : familier comme personne des écrits du dix-neuvième, des moins connus comme des plus fameux, grand lecteur de Mémoires et de correspondances, dénicheurs d’inédits, il excelle à faire parler les textes qu’il sollicite parfois pour leur arracher leurs secrets au risque de leur prêter un sens auquel l’auteur n’avait pas songé.

Avec une habileté consommée à laquelle le talent d’écrivain apporte une touche de plus, il compose une marqueterie de citations. Il en tire des conclusions qui invitent le lecteur à partager l’indignation de l’auteur qui s’est érigé en juge dans ces procès en révision des réputations. Il diabolise les gloires consacrées et canonise les réprouvés : il défend JeanJacques contre Voltaire et Jaurès contre Péguy.

Le système d’explication qui oriente tous ses livres était en 1947 relativement neuf pour un historien d’inspiration chrétienne : il se fonde essentiellement sur une vision dualiste, presque manichéenne, du monde et singulièrement du monde politique, mais la ligne de partage ne coïncide pas avec la traditionnelle division de la droite et de la gauche : Guillemin a fustigé certains politiciens de gauche ; personne n’a été plus sévère pour les fondateurs de la IIIè République – ceux de l’ « ère des Jules » – et il aurait des tendresses pour quelques conservateurs qui auraient des préoccupations sociales.

C’est aux notables qu’il s’en prend : il n’a pas cessé pendant un demi-siècle d’instruire le procès des classes dirigeantes et de requérir avec passion contre les puissants et les possédants. La bourgeoisie a toujours trahi parce qu’elle n’a jamais obéi à d’autres mobiles que la défense égoïste de ses intérêts de classe et la peur de voir ses privilèges menacés.
Il croit aux complots, aux machinations, aux conspirations des riches contre les pauvres. La crainte d’être dupe, la volonté de démystifier le conduisent à écrire une histoire policière, toute en intrigue, en provocations, en coups montés. Paradoxalement cet homme qui était la générosité même, tout désintéressement, attribue à ceux qu’il poursuit de sa vindicte des sentiments bas ; il ne croit pas à leur sincérité : il explique leur comportement par des motifs égoïstes.
En revanche, sa sympathie et sa tendresse vont aux petits, aux pauvres et à leurs défenseurs, de Lamennais et Ozanam à Jaurès et Zola.

L’interprétation est souvent injuste ? En vérité Guillemin ne se soucie guère d’être équitable : il a choisi son camp : depuis sa jeunesse dans le sillage de Marc Sangnier, c’est celui du peuple. Guillemin est un militant, il écrit une histoire engagée où le jugement moral est inséparable de l’appréciation de l’historien.

Par un paradoxe qui n’en serait un qu’au regard de la froide objectivité, cet homme qui s’est, toute sa vie, insurgé contre les simplifications d’une histoire bien-pensante, retourne contre ceux qu’il exècre le système d’explication du type « c’est la faute à ».
Le titre, repris pour un des ses livres, d’un article publié avant guerre dans la Vie intellectuelle et qui fit quelque bruit en son temps, « Par notre faute », exprime excellemment l’exigence morale, l’inclination à disculper les esprits les plus éloignés de sa famille d’esprit et à faire retomber l’entière responsabilité des malentendus et des erreurs sur son Eglise.

Il est aussi proche à la fois des historiens marxistes et de l’Histoire à la Beau de Loménie incriminant la responsabilité des dynasties bourgeoises.

Passionné, Henri Guillemin était un conteur passionnant. Quel talent pour faire revivre les hommes, évoquer les situations !

C’était aussi un incomparable conférencier.
Il aura certainement gagné à l’Histoire beaucoup de lecteurs auxquels il aura fait partager et sa curiosité et ses sentiments. Pour stigmatiser le « coup du 2 décembre » ou clouer au pilori les versaillais, il a les accents du Hugo des Châtiments ou la plume de Jules Vallès.
Si ses reconstitutions tiennent parfois autant du roman historique que du travail de l’érudit, dans ses meilleures pages, au plus haut de son inspiration, il fait penser à Michelet et à Bernanos : au premier il s’apparente, quoi qu’il en ait, par le lyrisme comme par l’amour du peuple ; du second il se rapproche par le détestation des bien-pensants et les philippiques du pamphlétaire.

Toute sa vie il aura livré le même combat pour la vérité contre l’injustice, porté par une capacité inépuisée d’indignation et de générosité. Il n’a jamais dévié des convictions de son adolescence.

Il aura créé, à l’intersection de l’histoire et du pamphlet, un genre original qui perpétuera le souvenir d’un chrétien fidèle à l’amour des humbles.

Pour obtenir l’original de l’article du Monde, cliquez ici

Photomontage LAHG : Henri Guillemin à Neuchâtel où il mourut
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Colloque Henri Guillemin 2023 – Les vidéos sont en ligne – 7è et dernier épisode

Suite et fin du colloque sur L’Affaire Dreyfus – 18 novembre 2023

Marie Duval au colloque Henri Guillemin du 18 novembre 2023

En effet, ce septième et dernier exposé clôt le colloque et met ainsi un terme à la mise en ligne de la série des vidéos inaugurée le 16 janvier dernier.

L’intervention de Marie Duval s’intitule Une affaire dramatique : Dreyfus au théâtre et au cinéma.
Il s’agit d’une approche originale et très instructive permettant de découvrir comment les arts de la représentation, théâtre et cinéma, ce dernier inventé au moment de l’affaire Dreyfus, se sont emparé de cet événement explosif caractérisé par une très forte charge dramatique.

Quand cela est possible, nous cherchons toujours à présenter comment l’Histoire, notamment à travers les épisodes emblématiques qui scandent son mouvement immuable, peut être appropriée par les Arts et les Lettres, en particulier le spectacle vivant et le cinéma.

Nous avions pu le faire lors du colloque consacré à la Commune (19 novembre 2016), à travers une longue newsletter qui racontait comment le cinéma s’était approprié cet extraordinaire événement politique. (Pour relire cette lettre du 22 février 2017, cliquez ici).
Nous avions également pu présenter des extraits du film de Jean Chérasse La prise du pouvoir par Philippe Pétain pour le colloque consacré à Pétain et la collaboration (17 novembre 2018).

Ce fut donc un bonheur d’avoir fait la rencontre de Marie Duval, dont la thèse, en cours de finition, porte sur « Dreyfus sur la scène internationale : l’Affaire au théâtre et au cinéma sous la Troisième République ».

Son intervention présente comment une affaire aussi dramatique a inspiré les artistes et a été mise en scène, au théâtre comme au cinéma, malgré la censure d’État.

Les actes du colloque

L’édition de l’ouvrage est actuellement en cours chez l’éditeur Utovie. Il devrait être publié prochainement et avant l’été.
Il s’agira d’un volume plus épais puisqu’il rassemble les interventions du colloque Guillemin/Zola, un engagement littéraire et politique du 12 novembre 2022 et celles du colloque L’affaire Dreyfus et son temps. Enjeux politiques et interprétations du 18 novembre 2023, les deux manifestations formant diptyque autour d’Emile Zola.

Une newsletter sera diffusée à l’occasion de la publication de l’ouvrage.

Intervention de Marie Duval

Une affaire dramatique : Dreyfus au théâtre et au cinéma

Marie Duval, Professeur certifiée de lettres modernes, doctorante en arts du spectacle à l’Université de Caen-Normandie.