150e anniversaire – Henri Guillemin et la Commune
150e anniversaire de la Commune. Nous sommes presque au milieu du gué de ces 72 journées durant lesquelles une expérience historique unique, appelée la Commune, montra au monde ce qu’il advient quand le peuple se mobilise contre l’injustice, prend son destin en main et met en place une autre organisation sociopolitique hors celle des classes dirigeantes.
Cette expérience condensa en peu de jours un ensemble inouï de forces irradiantes et diverses, un bouillonnement d’énergie où se cotoyèrent la fraternité, l’héroïsme, l’idéal révolutionnaire, la démocratie, la prise en compte du cri du peuple, mais aussi, l’amateurisme dans l’action et les maladresses stratégiques.
La Commune est si riche d’enseignements, a mis sur le devant de la scène des personnages si emblématiques, de telles valeurs humaines, qu’il n’était pas imaginable que Henri Guillemin, dans sa vision de l’Histoire et sa passion des trajectoires humaines, ne prît pas cette période à bras le corps en l’étudiant, l’analysant, la travaillant pendant toute sa vie.
C’est cette implication, en hommage à son travail et à la Commune qui a conduit à composer cette « newsletter » en trois mouvements s’appuyant sur la magistrale démonstration de Patrick Berthier dans son intervention « Petit inventaire des travaux de Guillemin sur la Commune » présentée à notre colloque « Henri Guillemin et la Commune – le moment du Peuple ? » le 19 novembre 2016 – Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 Censier.
Premier mouvement
Le 19 novembre 2016, Patrick Berthier, en ouverture du colloque, commença son intervention par une sorte de scoop : un texte méconnu de Guillemin, le premier article qu’il écrivit sur la Commune pour La jeune République de Marc Sangnier, le 29 mai 1925.
Il avait 22 ans.
Un texte sensible, touchant, révélant déjà sa grande maturité politique.
En regardant défiler les cortèges devant le mur des Fédérés…
Réflexions sur la Commune
J’ai vu, dimanche, défiler, au Père-Lachaise, les groupes d’extrême-gauche, devant le mur des Fédérés.
Il y avait là une foule prodigieuse. Les journaux de droite et de gauche ont donné des chiffres contradictoires. Tous ceux qui ont vu de leurs yeux l’interminable colonne emporteront le souvenir d’une multitude démesurée.
Les socialistes S.F.I.O. passèrent les premiers. Devant les communistes, armée formidable, ils semblaient si menus, si grêles, qu’on aurait dit une petite escouade, quatre hommes et un caporal, détachés en éclaireurs.
Résolus, ramassés, en bon ordre, marchaient les communistes. Ils savent ce que c’est qu’obéir à une discipline librement acceptée. À chaque appel, les voilà. Mobilisation parfaite totale.
Dans le grand cimetière blanc et vert, des petits enfants défilaient, en rang. Ils chantaient, dans les tons très haut, des sortes de petites complaintes qu’on aurait prises pour des cantiques. Mais les bérets étaient rouges et portaient faucille et marteau.
Et j’ai vu des papas à grosse moustache, tenant le gosse par la main, et qui chantaient, très fort, des airs de révolution, avec de bons yeux confiants et doux et, la ride dans les sourcils, d’une conviction plus forte que tout.
Savaient-ils tous très bien pourquoi ils étaient là, criant : « À bas la guerre » ? Les souvenirs historiques ne venaient point, importuns, troubler la sécurité de leur foi. Mais moi qui, moins heureux, ai lu sur tout ce drame, d’avant-hier, beaucoup de choses et peut-être trop, je revois ces communards, qu’il me semble avoir vraiment connus.
Socialistes, l’étaient-ils ? Si divers étaient leurs chefs qu’il semble bien que la Commune n’eut pas de doctrine. Mais la Commune était républicaine. Les gens « bien pensants » s’indignent et parlent d’insurrection contre l’autorité établie, de rébellion contre le pouvoir légal. Mais, entendons-nous, où donc était ce pouvoir légal, ce gouvernement régulier ?
L’Assemblée nationale, réunie d’abord à Bordeaux, avait été élue par le pays sur l’unique question de la paix ou de la guerre. Elle n’avait point mandat pour donner à la France sa nouvelle organisation politique. Or, sa mission remplie, depuis le 1er mars, et les préliminaires de paix signés, loin de se séparer pour laisser place à une Constituante, elle affirma son devoir de s’accrocher au pouvoir.
Et les 400 monarchistes qui formaient sa majorité, dupant l’électeur qui les avait désignés pour conclure la paix, décidaient, maintenant qu’ils avaient la force, d’imposer au pays la constitution de leur choix.
Comme avant les journées d’octobre 1789, ils établissaient l’Assemblée à Versailles, afin d’avoir sur Paris tout pouvoir, sans redouter sa colère. Ils prenaient, à l’égard du peuple, des mesures d’hostilité, et nul ne pouvait douter de leurs intentions en considérant l’homme qu’ils avaient désigné comme chef de l’exécutif.
Meurtris dans leur fierté nationale, torturés par la faim, malades, affolés par les misères du siège, exaspérés par les mesures arbitraires et vexatoires d’une Assemblée malveillante, les prolétaires de Paris résolurent de se sauver eux-mêmes.
En face d’eux, il y avait la volonté impitoyable de Thiers, l’homme qui, en 1848, avait déjà proposé au roi l’abominable plan de l’évacuation de Paris et de sa reprise par la force ; Thiers, qui, le 3 avril, ordonnait l’exécution sans jugement des communards capturés. De sang froid, la bataille gagnée, l’ancien démagogue arriviste ordonnait 35 000 arrestations et faisait fusiller 16 000 hommes.
La bourgeoisie réactionnaire, un instant inquiète devant l’effort du « quatrième État » pour empêcher l’Empire sans empereur de refermer sur lui, sous un autre nom, la vieille cage d’une organisation sociale oppressive, se vengeait par la Terreur, l’abominable Terreur consciente et calculée.
Et Thiers, le « grand Français », qui insultait aux communards en les disant « vendus à la Prusse », s’abouchait sous main, contre eux, avec Bismarck, pour obtenir de lui le renforcement de l’armée versaillaise. Plus tard, les rôles étant renversés, on verra Clemenceau armer Noske contre les mineurs de la Ruhr. L’Internationale de la défense capitaliste est plus forte encore que les haines et les égoïsmes des gouvernements.
Mais pour les républicains de la Commune, Thiers était surtout l’homme sinistre par qui l’immense et candide effort de 1848 avait dévié et s’était perdu dans les rancœurs et dans le sang. Et l’histoire nous dit qu’ils avaient raison. Chateaubriand, dans un curieux « portrait » qu’il écrivit en 1847, jugeait déjà Thiers à sa valeur, dénonçant ses « mœurs inférieures », son « orgueil excessif », son « ambition vulgaire », qui le fera chanter « toutes les palinodies que le moment ou son intérêt sembleront lui demander » ; car « M. Thiers comprend tout, hormis la grandeur qui vient de l’ordre moral ».
Thiers, bourgeois voltairien, voulut, comme tant d’autres, utiliser pour des fins politiciennes et réactionnaires le catholicisme lui-même. Il réussit à vider les énergies révolutionnaires de 1848 de tout leur contenu idéaliste et chrétien, rejetant les catholiques dans la réaction ; si bien qu’aux jours de la Commune, ces ouvriers qui, vingt-deux ans plus tôt, en pleine émeute de février, se découvraient devant le Saint Sacrement, n’ayant plus connu, vingt années durant, dans le catholicisme, qu’une force officielle de l’Empire, se détournaient de ce qu’ils croyaient mort et fusillaient des prêtres.
C’est à tout cela que je songeais, l’autre soir, en voyant passer devant moi ces travailleurs révolutionnaires, où se rencontrent et se mêlent, comme dans la vieille Commune, et tant d’instincts féroces et tant d’idéalisme passionné.
Et une immense pitié affectueuse montait en moi pour ces Fédérés, souvent inconscients et fous, parfois criminels et parfois magnifiques ; mais qui, au moins, étaient morts pour leur idéal.
Henri Guillemin
La Jeune République, 29 mai 1925
Deuxième mouvement
Après avoir lu cet article, Patrick Berthier continua son intervention proprement dite. Nous la reproduisons ici. Elle expose avec brio l’évolution de la pensée de Guillemin sur la Commune. C’est un texte à lire et relire, riche de références.
Trois périodes sont érigées, qui montrent oh combien ce sujet taraudait Guillemin et comment son regard évolua au fur et à mesure de l’avancée de ses travaux et aussi de son âge.
Pour des raisons techniques de mise en page, lire le texte de P. Berthier va se faire par un simple clic vous amenant au texte format pdf.
Mais en amorce, en voici les premières lignes :
Le texte que l’on vient de lire [« premier mouvement » N.d.l’E] est le premier, s’agissant de 1871, qui soit sorti de la plume d’un Guillemin de vingt-deux ans, partisan passionné de Marc Sangnier – dont il est alors le secrétaire – et de son mouvement « La Jeune République ».
Dans la suite de ses travaux écrits, de ses conférences ou de ses émissions télévisées il n’a jamais cessé de s’intéresser à la Commune et à ses origines, puisque le dernier texte où il est question d’elle date de 1990. C’est ce long chemin que je voudrais rapidement reconstituer, en trois grands mouvements chronologiques qui se dessinent naturellement……. Pour lire la suite, cliquez ici.
Troisième mouvement
Je remercie notre adhérente, Catherine Seylaz, d’avoir attiré notre attention sur une vidéo datée de 1971, montrant Henri Guillemin présenter, dans le cadre du centenaire de la Commune, une série d’ouvrages qu’il commente, analyse et critique, dans un style dont on ne se lassera jamais.
Emission La Voix au chapitre du 18 juin 1971. Ouvrages commentés par Henri Guillemin :
- La Commune de 1871 de Jean Bruhat, Jean Dautry et Emile Tersen,
- Grande histoire de La Commune de Georges Soria,
- La proclamation de La Commune de Henri Lefebvre,
- Le procès des communards et Paris libre 1871 de Jacques Rougerie,
- Les communards de Jean-Pierre Azéma et Michel Winock,
- La Commune de Paris 1871 de André Decouflé,
- La Commune au coeur de Paris de Maurice Choury,
- Les Hommes de la Commune de André Zeller,
- Histoire de La Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray,
- L’Insurgé de Jules Vallès,
- La troisième défaite du prolétariat français de Benoît Malon.
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Note préparée par Edouard Mangin