On commémore à tour de bras, en cette année 2021. La Commune de Paris, Napoléon, Jean de La Fontaine et j’en passe. Beaucoup plus Napoléon que la Commune, c’est évident.
Pour La Fontaine, on verra plus tard. Et surtout en recourant bien souvent aux clichés les plus éculés de notre « histoire-de-France ».
Jusqu’à présent, je n’ai pas vu que l’on ait songé à citer les travaux de Guillemin sur les Origines de la Commune – 3 volumes – et ses Réflexions sur la Commune qui font suite à L’Avènement de M. Thiers (tous livres publiés chez Utovie).
Daniel Mermet dans « Là-bas si j’y suis » est le seul, si je ne m’abuse, à avoir l’excellente idée de mettre en ligne les conférences de Guillemin sur la Commune, 13 conférences, d’une demie-heure chacune, données sur les antennes de la RTS en 1971.
Et Jean Chérasse, après avoir écrit les 72 immortelles (éditions du Croquant, cliquez ici), continue, sur son blog de Mediapart, à rappeler l’importance de l’apport de Guillemin pour qui veut s’éloigner des visions convenues et soigneusement entretenues de la Commune.
Mais quoi, on le sait bien, Guillemin n’est pas un historien et son point de vue est abominablement partisan – ce que ne sont pas ceux des historiens patentés qui, eux, se reposent sur le socle inébranlable de l’objectivité de leur discipline.
Cela mérite qu’on aille y voir d’un peu près.
Guillemin a longuement relaté la guerre de 1870, le rôle pour le moins lamentable de l’armée (bien sûr, l’histoire, souvent bègue, remettra ça en 1939, cf L’affaire Pétain), le renversement de l’Empire et la proclamation de la République – celle des Jules honnis -, le siège de Paris et l’héroïque défense du peuple, l’instauration de la Commune, puis la capitulation, la trahison des dirigeants « républicains » pressés de rétablir l’ordre du Capital dans la Capitale et demandant cyniquement à l’envahisseur son aide pour écraser les factieux.
Nous y sommes enfin, Versailles a les mains libres, il est temps de se débarrasser de cette racaille qui a fait trembler les possédants.
Versailles, c’est Thiers et les Jules, rivalisant de zèle.
« L’ordre et la paix ne peuvent refleurir que par la sévère et ferme exécution des lois », proclame Jules Favre qui poursuit : la Commune offre « le scandaleux exemple de l’assouvissement des plus mauvaises passions. »
Guillemin, à son accoutumée, multiplie les citations et s’émerveille devant le cynisme du vicomte de Meaux : ces brigands de communards « ont découronné notre défaite. »
Ou la haine de Sarcey (*) qui ne voit dans ces brigands qu’une « abominable ménagerie de singes et de tigres. »
Pas même des hommes, des bêtes, on vous dit. Tout est bon pour déconsidérer les Parisiens qui se sont soulevés contre la lâcheté des dirigeants – on appelle ça de la propagande et ça marche, dans les campagnes et dans les salons – la lie de la population, des gens de sac et de corde, des ennemis de la société, de l’ordre et de la propriété. La preuve : ils ont détruit la maison de ce bon M. Thiers. Lequel, grâce à cela, ne réalisera pas une trop méchante affaire en faisant indemniser son bien à dix fois sa valeur initiale.
La Semaine sanglante a été préparée par les bombardements versaillais qui ont ravagé une partie de l’Ouest parisien ouvrant la route à l’armée « loyaliste ». Semaine de massacres dont on retient plus volontiers les 84 otages exécutés par la Commune que les milliers d’hommes, de femmes et d’enfants tués sans la moindre once de piété.
Guillemin, comme il en a l’habitude, se garde bien d’aller chercher des témoignages chez ceux qui défendent les victimes – on pourrait les juger trop partisans -, il les trouve chez ceux qui sont du côté des Versaillais. Et ils ne manquent pas, puisque après avoir tant tremblé, ils peuvent enfin respirer.
Les exécutions arbitraires du général Gallifet, les appels au meurtre des versaillaises sont applaudies par Sarcey (*), encore lui, qui évoque « ces faces patibulaires ou bestiales » dont il doute qu’elles aient pu jamais abriter « une âme », gibier tout trouvé pour ces braves soldats qui leur opposent leur « loyale figure » et leurs baïonnettes.
« La presse belge contient de précieux reportages (mais quoi, ce sont des belges, les historiens français préfèrent de meilleures sources ; note de P. Rödel) sur les quelque 2500 hommes et femmes qu’on entassa là (aux docks de Satory), dans les premiers jours, à peu près sans nourriture et n’ayant pour boire que l’eau d’une mare où leurs gardiens se divertissaient à venir uriner. Une espèce de révolte a eu lieu – des cris, des imprécations ; que peuvent faire d’autre ces êtres parqués entre de hauts murs ? – et les mitrailleuses sont entrées en action. Deux à trois cents cadavres sont demeurés, là, éducatifs, pendant douze heures ; toute la horde a dû rester là collée au sol, à plat ventre, dans la boue ; feu sur qui s’asseyait seulement. » (Réflexions sur la Commune p.285)
Est-il besoin d’en dire plus ? Font écho aux cris de ces malheureux les « légitimes et glorieuses acclamations de l’Assemblée » auxquelles se joint l’archevêque de Lyon dans une lettre dégoulinante d’enthousiasme adressée au sauveur de la patrie.
Qui, pour sauver l’honneur ? Hugo ! « Aux « barbares« , comme on dit, du ruisseau, Hugo en oppose d’autres, « brodés, dorés, constellés » et qui accoudés à « une table de velours » ou à « une cheminée de marbre« , « insistent doucement pour le maintien de l’esclavage, glorifiant à mi-voix, et avec politesse, le sabre et l’échafaud« . Ceux-là, ce sont les « tueurs souriants« , les « viveurs féroces » ; tout compte fait, dit Hugo, sauvages pour sauvages, je choisis ceux d’en bas. » (Réflexions sur la Commune p.288).
Et quelques gaffeurs, comme Mac-Mahon, qui reconnaît que les communards « paraissaient croire qu’ils défendaient une cause sacrée » et « leur drapeau rouge à la main, se sont fait tuer sur les barricades. »
Restent les pétroleuses qui donnent encore des frissons d’horreur à Lorant Deutsch (animateur TV). Il est sans doute un des derniers à croire à cette histoire, mais c’est assez bon pour la télévision.
Guillemin, lui, va droit à l’essentiel et ne se perd pas en polémiques stériles. Il distingue deux choses : les dégâts causés par l’armée versaillaise et par la pluie d’obus qui s’abat sur l’Ouest parisien.
« Le premier bâtiment public qui flamba fut le ministère des Finances. Cet incendie-là n’est pas le fait des communards ; travail des obus versaillais. » (Réflexions sur la Commune p.278) Avis corroboré par Hélène Landowski dans un tout récent ouvrage, La face cachée de la Commune Editions du Cerf, cliquez ici).
Puis les actions symboliques que furent la destruction de la maison de Thiers et la démolition de la colonne Vendôme.
« D’autres incendies furent tactiques. C’est ce que réclamait Louise Michel, qui n’était pas la seule à souhaiter un barrage de feu devant les assaillants. » (Réflexions sur la Commune, p.278).
Hélène Landowski partage cet avis : les communards sont pris en tenaille entre l’armée versaillaise, à l’ouest, et l’armée allemande, à l’est, qui leur interdit tout repli.
C’est ainsi que, le 23 mai, les Tuileries furent incendiées. Beau thème d’indignation que les décombres encore fumants des Tuileries pour les peintres Meissonier, Clairin, ça a plus de gueule que les déplorations télévisuelles de Deutsch, mais le propos politique est le même – déconsidérer la Commune.
« Pourquoi, dit Vallès, l’incendie d’une ville par ses défenseurs serait-il, classiquement, digne d’admiration quand il s’agit de Numance et de Saragosse, par exemple, et exécrable pour le Paris de la Commune ? » (ibid.p. 278)
Deux poids, deux mesures, nous commençons d’être habitués à cette logique des dominants. Hélène Landowski ajoute à ses analyses que les incendies de 1871 ont fait place nette pour des opérations immobilières juteuses….
Il ne reste plus que les cadavres (« Le sol de Paris est jonché de cadavres. Ce spectacle affreux servira de leçon », selon Thiers lui-même cité par Guillemin ibid p.295) et les prisonniers que l’on envoie croupir sur les pontons et au bagne. »
Vingt ou trente mille morts, quarante mille déportations, le poteau de Satory (« notre crucifix à nous », dira Vallès) (Satory est un camp militaire près de Versailles ; note de P. Rödel), les pontons, la déportation, le bagne, de quoi rassurer les « honnêtes gens », non ? »
(Pour en savoir plus sur les conditions de vie des prisonniers politiques au bagne, je vous conseille de lire Dans l’enfer du bagne, mémoires d’un transporté de la Commune, d’Alexis Trinquet (éditions des Arènes en 2013, cliquez ici).
Ces mémoires dormaient dans les archives du PCF où ils ont été découverts par Bruno Fuligni qui en a assuré l’édition.
(Pas inintéressant de voir qu’en la matière la République française jouit d’une réelle priorité sur les autres nations ; note de P. Rödel)
Les conclusions de Guillemin ne sont pas pour nous surprendre. Reprenant en quelques phrases le fil de sa démonstration depuis les Origines de la Commune jusqu’à ces ultimes Réflexions, il écrit :
« Pourquoi les conservateurs ont-ils été défaitistes, ou, pour mieux dire, les artisans de la défaite, en 1870-71 ? Pour assurer la protection des structures économiques et sociales menacées, à leurs yeux, par une victoire militaire des républicains. Le même souci les habite et dirige leurs comportements ; avec la prise de Paris et l’écrasement de la Commune, l’armée a retrouvé cette grande et véritable mission de « palladium de la société » que Bazaine prophétique, saluait en elle. (L’armée dernier rempart de la société libérale, disait un giscardien trop bavard. Note P. Rödel) Et que la colonne Vendôme soit promptement rétablie sur son socle ! La bourgeoisie victorieuse n’oublie pas ce qu’elle a dû, jadis, à « l’empereur« . La colonne, dit Lissagaray (**), il fallait à la classe possédante qu’elle se dressât à nouveau au centre de la ville, » bâton énorme, symbole de sa souveraineté« . » (ibid p. 308).
Par où nous sommes ramenés, mais ce n’est malheureusement pas un hasard, à ce qui était notre point de départ : l’avalanche de discours dithyrambiques sur Napoléon à l’occasion du bicentenaire de sa mort et le besoin de toujours ranimer la peur que les « honnêtes gens » éprouvent à l’idée que leurs privilèges puissent être remis en question, comme les Communards avaient commencé de le faire.
(*) Francisque Sarcey (1827/1899)
Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, journaliste, critique dramatique. Pendant le siège de Paris, il est membre de la Garde nationale. Farouche anti-communard, dans le Drapeau tricolore qu’il crée pour l’occasion il va jusqu’à réclamer qu’on fusille « 80.000 gredins » pour sauver l’ordre républicain et démocratique ; il déteste tout particulièrement Vallès. Ce républicain « modéré » (que n’aurait-il pas dit sans cette « modération » ?)
Il deviendra un anti-dreyfusard également « modéré » (Ligue de la Patrie française).
(**) Prosper-Olivier Lissagaray (1838/1901)
Homme de lettres, journaliste, haut en couleur, bretteur infatigable qui tâtera de la prison sous le Second Empire et préférera s’exiler quelques temps en Belgique.
Proche d’Henri Rochefort Il revient à Paris en septembre 1870. Il participera à l’insurrection communarde et publiera, durant cette période, le journal L’Action dont les thèses pourront être assez critique par rapport aux atermoiements du Gouvernement de la Commune.
Il réussit à s’enfuir à Londres. Il y rencontre Marx et tombe amoureux de sa fille Eleanor (fiançailles finalement rompues par Eleanor elle-même).
De retour en France, il se consacre à son grand oeuvre, l’Histoire de la Commune de 1871, qui reste une source importante pour les futurs historiens de la Commune. Il va poursuivre son travail de journaliste politique ; il dénonce le boulangisme, les scandales à répétition comme celui de Panama. Il sera secrétaire de la Société des. Droits de l’homme et du citoyen.
PS 1 : La Commune de Paris reste un sujet qui continue de hérisser le poil des réactionnaires. La palme revient à celui que le Figaro qualifie de « pilier de l’intelligentsia française » (17 mars 2021) qui, sur France inter, dans l’émission « L’invité de 8h20 ; le grand entretien » du 4 mars 2021, répondait à la question de Léa Salamé « faut-il commémorer le bicentenaire de Napoléon et la Commune de Paris ? » par ces mots sans appel : « Oui Napoléon, non la Commune ». Bien sûr Nora qui aspire maintenant, après avoir fait oeuvre d’historien, à entrer en littérature est libre de manifester ses préférences. Mais on admirera la profondeur de son argumentation : l’évocation des martyrs de la Commune a perdu tout son sens, dit-il, « à partir du moment où, en 1971, le président de la République Georges Pompidou est venu s’incliner devant le Mur des Fédérés. » J’avoue que l’argument me paraît étrange qui se colore du rappel que Pompidou avait travaillé pour la Banque Rothschild…
Je rappelle aussi qu’en début d’année, au Conseil de Paris, lorsqu’il s’est agi de voter une subvention de 12.000 € à l’Association Les Amies et Amis de la Commune de 1871 les élus de droite ont poussé des cris d’orfraie.
Pour être juste, je ne suis pas convaincu par ceux qu’une volonté de radicalisation des revendications anime et qui réclament une résurrection de l’insurrection de la Commune de Paris – l’histoire ne se répète pas, c’est une loi qui jusqu’à présent n’a pas connu d’exception.
PS 2 : pour ceux qui veulent approfondir leurs connaissances sur l’histoire de la Commune, je signale l’existence de l’album publié en 1901 par Armand Dayot – L’Invasion, Le Siège, la Commune 1870-1871, d’après des peintures, gravures, photographies, dessins, médailles, autographes, objets du temps. (Flammarion éd. ; rééd. Tristan Mage, 2003).
C’est une mine ; on y trouve, entre autres, les photos des principaux acteurs de la Commune mais aussi de simples insurgés. J’ignore si Guillemin a eu ce livre entre les mains.
Note rédigée par Patrick Rödel
Complément 1
D’une période historique à une autre.
Nous présentons ci-dessous le second volet du diptyque réalisé par Jocelyne et Pierre Mallet, adhérents LAHG, concernant le témoignage de Sébastien Navarro à propos du mouvement des Gilets Jaunes.
(Rappel : pour (re)lire le premier volet du diptyque, la recension de l’ouvrage Péage Sud de S. Navarro, cliquez ici).
Ce second volet est une interview audio de Sébastien Navarro, son témoignage sur ce mouvement, vécu de l’intérieur.
Interview, montage et réalisation effectués par Jocelyne et Pierre Malet.
Ci-dessous leurs travaux :
Sébastien Navarro est né à Sète en 1972. Diplômé d’une maîtrise en droit privé, il est salarié dans le secteur public depuis une vingtaine d’années. Dans sa jeunesse, il a milité dans des groupes libertaires (CNT, réseau No Pasaran) dont il a conservé un solide ancrage anarchiste. Il a participé pendant plus d’une dizaine d’années au mensuel de critique sociale CQFD.
En 2018, il écrit Panchot (éditions Alter ego, cliquez ici) récit historique sur la résistance en Roussillon et la fabrication d’un mythe mémoriel.
Complément 2
Nous rappelons que la série de 13 conférences d’Henri Guillemin sur la Commune est actuellement diffusée en accés libre sur le site de « Là-bas si j’y suis ».
Ces conférences ont fait l’objet d’un important travail de restauration, réalisé par l’éditeur Les Mutins de Pangée qui a donné lieu à l’élaboration d’un coffret de 3 DVD, accompagnés d’un livret qui reprend Réflexions sur la Commune de Henri Guillemin (livret spécial – 200 pages en partenariat avec les éditions Utovie).
Ce coffret est disponible dans toutes les bonnes librairies, mais le plus simple est de le commander directement chez l’éditeur en cliquant ici
Complément 3
Partons au Canada (Québec).
On parle de la Commune, de Henri Guillemin et aussi de notre association LAHG, notamment de notre colloque du 19 novembre 2016 « Henri Guillemin et la Commune – le moment du peuple?« .
Il s’agit d’un long article (du 15 mai 2021) de synthèse sur la Commune, sa fin, ses détracteurs… , paru dans le journal Le Devoir et rédigé par Stéphane Baillargeon, journaliste québécois, diplômé de philosophie et de sciences politiques de l’Université de Montréal.
Nous sommes mentionnés dans la conclusion.
Le Devoir est un quotidien d’information publié à Montréal, fondé le 10 janvier 1910.
Le journal est lu par environ 1,5 million de personnes. C’est l’une des sources du Courrier international.
Pour lire l’article, cliquez ici