Introduction
Après la présentation introductive visant à replacer les travaux d’Henri Guillemin sur les rapports entre dominants et dominés dans leur perspective historique afin de bien expliciter sa vision des « Gens de biens/Gens de rien », le colloque se déroulera de manière à faire le point sur la réalité, aujourd’hui, des Gens de Biens et des Gens de Rien.
Suite à la première intervention de Michel Cabannes qui posera le cadre général de la problématique dans lequel vont se déployer les différents exposés (son thème : Les politiques économiques : origines, applications, implications.), la matinée sera consacrée aux « gens de rien ou de peu », ceux qui créent la valeur réelle des choses, les travailleurs, le salariat, les conditions de travail, le travail en général.
Trois interventions sont consacrées à ce sujet : celle de Luc Sigalo Santos (se reporter à son interview diffusée le 9 juin dernier) ; celle de Nicolas Roux (interview en cours de préparation).
Et celle de Danièle Linhart qui s’intitule : Modernisation managériale et atomisation des salariés.
En présentant comment les techniques de management du régime ultralibéral mises en oeuvre par les dominants détruisent le collectif au profit d’une atomisation des travailleurs de plus en plus mis en concurrence entre eux et avec eux-mêmes, l’exposé de Danièle Linhart, qui clôturera la matinée, sera en quelque sorte le pont pour aborder les thèmes de l’après midi consacrés aux « Gens de biens », aux dominants, aux riches.
Parmi les nombreux ouvrages et articles de Danièle Linhart, citons :
● Danièle LINHART, avec Barbara RIST et Estelle DURAND, 2009, « Perte d’emploi, perte de soi », Erès Poche, 214 pages.
● Danièle LINHART « Travailler sans les autres ? » Février 2009, Le Seuil, Coll Hors Normes, 213 pages.
● Danièle LINHART, « La comédie humaine du travail ; de la déshumanisation taylorienne à la sur humanisation managériale », Erès, coll sociologie clinique ; 2015, 158 pages. Lauréat du Prix 2015 de l’Ecrit Social et du Prix EGOS BOOK AWARD 2018.
● Danièle LINHART, Zoé TOURON, « Burn out ; Travailler à perdre la raison« , La Petite Bédhétèque des Savoirs, Le Lombard, 2020, 66 pages.
● Danièle LINHART, « L’insoutenable subordination des salariés », coll Sociologie clinique, Erès, 2021, 281 pages.
Interview exclusive de Danièle Linhart
Comme nous l’avons fait pour nos précédents colloques, afin permettre à nos adhérents et abonnés de mieux vous connaître, cette première question : pouvez-vous vous présenter ?
Je suis sociologue du travail. J’ai fait des études d’histoire (licence) et de sociologie (licence, M1 M2, Doctorat, Habilitation à diriger des recherches). Je suis directrice de recherche émérite au CNRS, dans le laboratoire CRESPPA-GTM (associé à Paris 8 et Nanterre Université). Je travaille essentiellement par enquêtes de terrain, c’est-à-dire par interviews qualitatifs et observations.
Vos travaux dans le champ de la sociologie du travail sont aujourd’hui largement reconnus. Qu’est-ce qui vous a amené à vous spécialiser dans l’étude des techniques managériales ultralibérales et leurs effets sur les travailleurs ?
Mes travaux au début ont porté sur le vécu du travail ouvrier, sur l’organisation de leur travail, puis progressivement alors que celui-ci changeait, je me suis intéressée aux stratégies patronales, pourquoi tous ces changements, quelles stratégies se dégageaient, quels effets sur les salariés, quelle idéologie patronale pour justifier ces évolutions ?
Sans déflorer le contenu de votre exposé lors du colloque, pouvez-vous, en quelques mots, nous indiquer comment il sera structuré, quelles seront ses lignes de force ? En quelque sorte, donnez-nous l’envie d’en savoir plus en se rendant au colloque !
Je souhaite analyser les contradictions internes au nouveau modèle managérial, qui crée des problèmes d’efficacité du travail mais aussi de grande souffrance pour les salariés : mobilisation à tout crin de la dimension personnelle, émotionnelle, affective des salariés, de leur besoin d’engagement et d’autonomie dans le cadre d’une organisation du travail largement inspirée encore de la logique taylorienne, et donc très prescriptive, dans le cadre également d’un changement permanent qui les met en situation de précarité subjective.

« Le Vif », collage de Nadia Diz Grana (née en 1977), artiste française, graphiste, illustratrice et iconographe, spécialisée dans les collages et les compositions d’images.
« Le Vif » symbolise pour elle « la course égoïste pour la réussite de l’homme autoconstruit dans le monde des affaires ».
Une pièce de théâtre récente de Jean-Philippe Daguerre, « Du charbon dans les veines », fait l’éloge du travail, de la fierté d’être mineur dans les années 50. Vous semblez dire que cette fierté, aujourd’hui, est non seulement bafouée mais a disparu. D’après vous, peut-on redonner aujourd’hui un sens au travail, s’émanciper par le travail ? Et si oui, à quelles conditions ?
Ce qui pourrait redonner un sens au travail, ce serait la fin de la mise en concurrence des salariés les uns avec les autres (à travers les objectifs, évaluations et primes personnalisées), qui permettrait de reconstituer des collectifs informels de travail où s’échangeraient à nouveau de la transmission de savoirs, de la coopération, de la mise en commun des difficultés et de leurs résolutions ; la fin également du lien de subordination qui paralyse toute parole critique, toute initiative visant à modifier la définition des missions et de l’organisation du travail ; le ralentissement du changement qui est devenu incontrôlable et délétère.
Si le régime ultralibéral vise à instaurer la croyance en une société sans conflit de classes où le collectif disparaît au profit de l’individu, les rapports de force dans le travail, eux, existent toujours bel et bien. Quelles sont alors les nouvelles formes prises par les luttes sociales, comment s’organisent-elles ? Comment voyez-vous les choses ?
Les choses ont bien du mal à se mettre en place. Dans un monde du travail atomisé, où le lien de subordination est comme une laisse installée au cou de chacun, où la compétition crée un isolement et un sentiment de solitude, on voit mal comment une action collective d’ampleur pourrait se mettre en place et faire évoluer les situations. Les organisations syndicales sont nombreuses et divisées, elles ne se focalisent pas réellement sur le contenu et l’organisation du travail.
Ce qui manque c’est une lutte idéologique pour dévoiler l’inconsistance de la rationalité économique ultra libérale face aux enjeux fondamentaux : mettre fin à la maltraitance des salariés, respecter les consommateurs et usagers, stopper la prédation des ressources de notre planète.
Ces changements affectent aussi la sémantique. Si dans les années 60/70, on disait ouvertement « exploitation capitaliste » pour dénoncer les conditions de travail, on parle aujourd’hui de stress, de mal être, de mieux être, etc. Si on disait « lutte des classes », on parle aujourd’hui de rapport de confiance, de relation de collaboration, voire d’affects positifs. Quelles conséquences chez les travailleurs ? Restent-ils malgré cela conscients de leur réalité sociale ? Et dans ce cas, comment réagissent-ils ?
La révolution des mots a largement contribué à effacer la réalité dans les représentations du travail. Il n’y a plus d’ouvriers mais des opérateurs, des qualifications mais des compétences, des savoir-faire mais des savoir-être, il y a l’importation de mots anglo-saxons qui brouillent les cartes. Les mots sont pourtant des vecteurs importants des représentations de la réalité, et ce n’est pas un hasard si le monde du travail en entreprise est l’objet du déversement d’un vocabulaire qui a pour vocation à dissimuler les enjeux fondamentaux.

Dessin de Glen Baxter, dessinateur britannique né en 1944 à Leeds, connu pour ses dessins ironiques.
Encre et crayon sur papier 52 x 38 cm
L’historien Johann Chapoutot a publié récemment « Libres d’obéir : Le management, du nazisme à aujourd’hui », qui explique que les techniques managériales nazies (conçues par Reinhart Höln) ont perduré après l’effondrement du IIIe Reich. Il montre qu’elles servent aujourd’hui de modèle pour un management qui fait croire qu’on obéit librement à une injonction obligatoire. Qu’en pensez-vous ?
Je ne suis pas historienne mais je pense que l’on peut retrouver des indices sérieux du fait que Hitler s’est inspiré des méthodes d’organisation du travail de Henri Ford.
Enfin, cette dernière question : sur quels travaux ou projets travaillez-vous en ce moment ?
En ce moment avec deux collègues nous travaillons sur une analyse de notre société des egos.
Le colloque mode d’emploi
Précisions utiles concernant la date :
Les choses se précisent. Des quatre dates initialement demandées à l’ENS (nous les rappelons ici : samedi 11 octobre ; 8 novembre ; 15 novembre et 29 novembre), deux dates sont éliminées.
Restent donc en lice les deux dates du 8 et du 15 novembre avec une priorité souhaitée pour le 8/11.
La bonne nouvelle : ce n’est pas fin août que l’ENS pourra nous confirmer la date défitive mais le 21 juillet prochain.
Dès réception de cette confirmation, nous vous infomerons aussitôt à travers une newsletter.
Le programme du colloque :
Il est prêt. Pour le découvrir, cliquez ici.
Modalités d’inscription :
Aucun changement par rapport aux colloques précédents. S’inscrire au colloque se fait toujours par Internet, sur un site dédié, entièrement sécurisé. Ce site sera ouvert dès début septembre.



