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« L’humour de Victor Hugo » par Henri Guillemin

Couverture. Ouvrage édité par Utovie – 120 pages – 15 €

La recension de Patrick Rödel

On n’en a pas fini avec la redécouverte des oeuvres d’Henri Guillemin. Seuls quelques privilégiés connaissaient le petit livre qu’il avait consacré à l’humour de Victor Hugo, publié en Suisse aux éditions de La Baconnière en 1950.

Grâce à l’obstination des éditions Utovie, ce livre est maintenant accessible. Et c’est un bonheur.
D’abord parce qu’il donne de Victor Hugo une image très éloignée du portrait que l’histoire littéraire officielle continue de véhiculer – nous sommes loin, ici, du grand-père barbu dont on écoute les leçons avec un petit sourire ironique mais dont il est de bon ton de moquer la grandiloquence.
Quel rétrécissement de la carrure d’Hugo ! Quelle ignorance de la force créatrice de l’homme qui s’exprime aussi bien dans ses lavis que dans des romans comme L’homme qui rit ou dans Les travailleurs de la mer que l’on a cessé depuis longtemps de lire pour ne retenir que Les Misérables et Notre-Dame de Paris (et plus à cause des seins de Lolobrigida-Esmeralda dans l’adaptation de Jean Delannoy en 1956) !

C’est un aspect inattendu de Victor Hugo que Guillemin, agacé par les bêtises dans lesquelles se complaisent ses commentateurs, souligne dans cette anthologie : un Victor amoureux des mots au point de jouer sur eux avec une virtuosité déconcertante et s’amusant comme un gamin des calembours, des à-peu-près, des défauts de prononciation, des cuirs qu’il recueille. Un humour potache, pas toujours du meilleur goût mais d’une efficacité redoutable quand il s’agit de croquer ses contemporains ; et il y va à pleines dents, surtout, sous le Second Empire :

L’avènement de Napoléon le petit a « eu pour lui MM. les cardinaux, MM. les évêques, MM. les chanoines, MM. les curés, MM. les vicaires, MM. les archidiacres, diacres et sous-diacres, MM. les prébendiers, MM. les marguilliers, MM. les sacristains, MM. les bedeaux, MM. les suisses de la paroisse, et les hommes religieux, comme on dit, race précieuse, ancienne, mais fort accrue depuis les terreurs propriétaires de 1848, lesquels prient en ces termes : O mon Dieu, faites hausser les actions de Lyon ! Doux Seigneur Jésus, faites-moi gagner 25% sur mes Naples – certificats – Rothschild ! Saints apôtres, vendez mes vins ! Bienheureux martyrs, doublez mes loyers ! Sainte Marie, mère de Dieu, daignez jeter un oeil favorable sur mon petit commerce ! Tour d’ivoire faites que la boutique d’en face aille mal! »

Et des diatribes de ce ton, on en trouve contre la justice, contre l’armée, contre les prisons, contre l’Académie…
Mais rien que pour le plaisir, Hugo note sur n’importe quel support. Cette chanson : « J’ai fait le bossu/Cocu/J’ai fait le beau cu/Cossu ». Cette devise pour « un décrotteur chaste » : « Pas n’aime et cire sans cesse » (faut avoir fait un  peu de latin ou avoir fréquenté les pages roses du dictionnaire…).
Ou ce portrait des prêtres qui encensent le coup d’Etat et « Entonnent leur salvum fac imperatorum/ (au fait faquin devait se trouver dans le texte) ».

Hugo s’amuse aussi avec les lettres et on y verra un précurseur d’un certain Arthur.
A propos d’Y : « Méfiez-vous de cette lettre-là ! L’Y exprime l’inondation. Regardez : qu’est-ce qu’un Y? Deux courants qui se réunissent. Un Y de plus, NOE était NOYE ! »
Quant aux chiffres, il n’est pas en reste ; il évoque la querelle du 6 et du 9 : « Tu n’es que le 9 en révolte ! Tu n’es qu’un 6 découragé! »

Les témoignages sont multiples de ses amis qui évoquent des soirées où Hugo, bonne chère et bons vins aidant, se livrait à ses plaisanteries débridées. Un gamin, dit Guillemin, un « loustic », Guillemin qui avait une faiblesse égale pour cette insolence à l’égard du vocabulaire qui ne peut naitre que chez ceux qui ont gardé une âme d’enfant découvrant les mille et un tours de la langue. A propos du gamin de Paris, dans les Misérables, ceci qui lui va parfaitement : « Il est doué d’on ne sait quelle jovialité imprévue ; il ahurit le boutiquier par son fou-rire. »

PS : je disais qu’on n’en avait pas fini avec Guillemin. Patrick Berthier qui a la patience de travailler à établir une bibliographie qui se voudrait exhaustive, nous donne, toujours chez Utovie, un complément à l’ouvrage qu’il y avait consacré, Guillemin, une vie pour la vérité, en 2016.
Et nous laisse espérer une autre édition qui incorporera les références qu’un chercheur suisse a découvertes et que les fans de Guillemin ignoraient.

Patrick Rödel


Victor Hugo esquissant un sourire avec ses petits-enfants, Georges et Jeanne en 1881 (b/w photo A. Melandri)

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par notre faute

Il est accompagné de quatre textes illustrant de façon diverse cette même thématique. « Témoignage de l’Histoire », publié en 1948 dans le volume collectif Les Chrétiens et la politique, développe un des aspects de « Par notre faute », l’attitude politique des catholiques au fil du XIXe siècle, de la Révolution à la loi de séparation de 1905. Suit le chaleureux compte rendu, en 1950, d’un essai de Karl Barth, théologien protestant d’envergure, sur le christianisme face à la guerre froide. Puis on pourra lire « Ma conviction profonde », texte plus personnel écrit en 1962 pour une émission de la radio suisse, et pour finir une brève synthèse sur Rousseau, Robespierre et Jaurès, trois grands croyants méconnus aux yeux de Guillemin.

Aucun de ces textes n’était aisément accessible, et leur lecture permet de comprendre la vision qu’a pu se faire Guillemin, entre 1937 et 1973, de ce que son cher Jaurès, justement, appelait « la question religieuse ».

Ignorer la dimension spirituelle, voire religieuse, de la quête de vérité d’Henri Guillemin serait, à coup sûr, passer à côté de cet historien hors-normes. Cette remise à disposition de textes introuvables est à ce titre nécessaire.

Patrick Berthier est également l’auteur, chez Utovie, 

d’un Henri Guillemin tel quel et d’une bibliographie exhaustive 

Une vie pour la vérité.

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Charles Péguy et Henri Guillemin

Henri Guillemin

Avant-propos : le logiciel utilisé pour la mise en ligne de nos newsletters ne permet pas de reproduire fidèlement la mise en page du texte de Catherine Dubuis, notamment les notes de bas de page.

Aussi, afin de garder la parfaite mise en forme originale, le texte, mis en format pdf, sera accessible le plus simplement du monde, en cliquant sur un lien spécifique.

Ci-dessous, les premières lignes de la note de Catherine Dubuis.

Péguy, un « raté » ?

« L’étroite voie de notre ciel propre passe toujours par la volupté de notre propre enfer. »
Nietzsche, Le Gay Savoir, 1901.

« J’ai beaucoup aimé l’article de ce lecteur de Genève au sujet de Guillemin sur Péguy, ce type m’est insupportable. Il ne cherche que l’anecdote, comme tous les gens bêtes et superficiels. »

Qui exécute Henri Guillemin de façon aussi péremptoire ? On peut lire ces lignes sans appel dans une lettre de la poétesse Pierrette Micheloud à sa mère, datée du 23 avril 1981(*).
Cette autrice, née en Valais (Suisse) en 1915, réside à Paris depuis le début des années cinquante, où elle mène une carrière de poète, de journaliste culturelle et de peintre. Elle a à son actif une vingtaine de recueils de poésie et plusieurs expositions dans la capitale française, ainsi que de très nombreux articles de critique dans diverses revues, en France et en Suisse. Elle décède en 2007 dans un hôpital du canton de Vaud. Ses archives sont déposées à la Médiathèque-Valais Sion.

Pour lire la suite du texte, cliquez ici

Colloque Henri Guillemin – les toutes dernières informations

6 novembre 2021 – Ecole Normale Supérieure – Salle Jean Jaurès

Le programme est actualisé :

Shlomo Sand, dont l’intervention était sous réserve, nous a informé que ses obligations et différents empêchements ne lui permettaient pas de se rendre au colloque.
A un mois du colloque, compte tenu des délais, il ne nous a pas été possible de trouver un remplaçant.

Même si nous aurions tous aimé écouter les propos de Shlomo Sand sur « Le crépuscule de l’Histoire », son absence ne chamboule en rien ni la structure, ni l’équilibre général de la rencontre. Une demi-heure supplémentaire sera ainsi affectée à la dernière partie du colloque, l’importante séance du dialogue entre les intervenants et le public, qui commencera à 16h00.

Pour prendre connaissance du programme actualisé, cliquez ici

Comment s’inscrire au colloque – clôture des dates :

Rien n’a été modifié pour l’inscription en ligne. Pour s’inscrire, il suffit de cliquer ici . Une fois arrivé sur la page du programme, cliquez ensuite sur le gros bouton bleu

Ouverture du colloque : nous sommes à jour J – 17
Inscriptions en ligne : nous sommes à jour J – 14 (elles se terminent le mercredi 3 novembre à 18h00)

Comme déjà indiqué, après ce délai, si vous souhaitez participer, il suffit d’adresser un mel à manginedouard@yahoo.fr en indiquant votre nom et prénom.
Toutefois, ce procédé prendra fin la veille du colloque à 20h00.

L’entrée à l’ENS :

Le portillon du 24 rue Lhomond étant fermé le samedi, il faudra sonner sur l’interphone en sélectionnant « poste de sécurité » qui déclenchera l’ouverture. Si nécessaire, dire « Colloque Henri Guillemin » ou « Salle Jean Jaurès ». photo ci-dessous.


Une fois entré, suivre les panneaux « salle Jean Jaurès ».

Conditions sanitaires :

Le passe sanitaire est obligatoire (version papier ou numérique sur phone). Il devra être présenté à notre accueil qui est en même temps chargé du contrôle des inscrits.

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Guillemin, l’Eglise et la religion

170 pages – 15 €

Par notre faute

On est loin d’avoir fait le tour de l’oeuvre d’Henri Guillemin. Patrick Berthier apporte une pierre supplémentaire à la connaissance de cette œuvre en publiant plusieurs articles de dimensions différentes qui éclairent la question toujours délicate des rapports de Guillemin avec l’Eglise et celle, encore plus délicate, de la foi personnelle de Guillemin.
Ces articles s’échelonnent entre 1937 et 1973 et donnent une image assez précise de la position d’un homme qui n’a jamais cessé de se dire croyant tout en portant sur l’histoire de l’Eglise romaine et sur son fonctionnement des jugements d’une extrême sévérité.

Ce qui frappe le lecteur c’est à la fois la fidélité de Guillemin à la personne de Jésus et la complexité de sa position à l’égard d’une Eglise qui, à plus d’un titre, semble avoir trahi l’enseignement du Nazaréen tout en transmettant l’essentiel de cet enseignement. Ce paradoxe est source de déchirement selon la gravité des déceptions qu’entraînent tel ou tel aspect de la vie de l’Eglise et l’on voit Guillemin osciller entre condamnation d’un système et affirmation de sa croyance en ce qui, dans l’homme, passe l’homme, selon la formule de Pascal.
Il n’est pas le seul dans ce cas. Mauriac, pour ne parler que de lui, aura au moment de la crise des prêtres ouvriers, des mots extrêmement durs à l’égard de l’aveuglement de la hiérarchie catholique tout en réaffirmant qu’il n’est pas question pour lui de quitter l’Eglise. Et son accord avec Guillemin est à ce moment-là douloureusement et rageusement total.

La tentation est grande pour certains lecteurs de Guillemin de ne retenir de lui que ce qui s’accorde avec leurs préférences personnelles. Guillemin est fréquentable quand il tape sur l ‘Eglise ; il cesse de l’être quand il continue de se proclamer croyant. Il vise juste quand il dénonce l’hypocrisie de ces cathos de façade, de ces pharisiens habitués des premiers rangs de leur paroisse, qui oublient l’enseignement du Christ sur la place éminente des pauvres et sur l’impossibilité de servir deux maîtres à la fois, Dieu et Mamon. Mais leur vue se trouble quand il réaffirme sa foi dans le Dieu Amour que le Christ a révélé.


L’incrédulité de Saint Thomas (107 x 146 cm) – Tableau de Le Caravage (1571 – 1610) – Palais de Sanssouci – Potsdam

Il faut tenir ces deux images apparemment contradictoires et comprendre que la critique de l’Eglise n’est possible qu’à partir de cette foi. Il faut aussi se départir d’une vision de la foi comme certitude, il n’est de foi que traversée de doute. On oublie trop fréquemment que Guillemin n’a jamais rompu avec la pratique religieuse. Et qu’il lui est même arrivé de diriger ce que l’on appelle une célébration en l’absence de prêtre, dans son petit village de La Cour-des-Bois.

Ces articles, c’est la loi du genre, balayent à grands traits l’histoire de l’Eglise. Mais ils sont bien documentés. Par exemple, la déchristianisation n’y est pas présentée comme l’effet récent des Lumières ou plus récent encore des lois sur la laïcité mais comme un long processus qui a commencé à la suite des guerres de religion et qui s’est installé durablement dans une partie importante des campagnes ; l’éloignement de l’Eglise de la classe ouvrière s’est accompli au XIXème siècle et sous la troisième République. « Toute l’histoire de la IIIème République en matière de politique religieuse sera celle, lamentable, des querelles bourgeoises sur la meilleure façon de tirer parti des catholiques dans l’unique affaire en cause : la sauvegarde du régime économique et social, la persistance de la mainmise d’une équipe étroite sur la fortune de la nation. Les uns continueront à estimer les électeurs catholiques, bien dirigés et fortement encadrés par des ligues conservatrices, forment leur clientèle l plus sûre et leur instrument le plus efficace ; les autres croiront plus propice de se faire hisser au pouvoir par ceux-mêmes qu’il s’agit de berner (les prolétaires) en orientant contre l’Eglise leurs ressentiments. » (Témoignage de l’histoire, p.97).

Guillemin met en avant les quelques catholiques, qui durant toute cette période, ont maintenu les exigences de l’Evangile en faveur des pauvres – Lacordaire, Ozanam, Sangnier -. On le voit, et c’est plus surprenant, louer Léon XIII et l’Encyclique Rerum novarum ; car si le but de cette encyclique est clairement de s’opposer au socialisme dont l’influence est grandissante dans la classe ouvrière, il faut mettre à son actif une lucidité nouvelle sur les conditions de vie du prolétariat.
Il n’y a qu’à voir les réactions que ce texte a suscitées. « L’Encyclique Rerum novarum, tenue pour un acre aberrant, fut dissimulée le plus possible à la connaissance des « fidèles ». Léon XIII ayant ajouté une nouvelle « provocation » à celle de mai 1891 en conviant (février 1892) les catholiques français à reconnaître de bonne foi la République, la résistance s’organisa ouvertement contre lui… ».

Par notre faute date de 1937, dans La Vie intellectuelle, revue dirigée par des dominicains. Guillemin y montre une impétuosité de jeune homme mais l’article fait mouche et déplaît à Rome. En 1946, il en publie une version remaniée et quelque peu édulcorée ; mais il dira à Patrick Berthier combien il regrette d’avoir mis un peu d’eau (bénite!) dans son vin. P. Berthier nous donne ici dans des notes minutieuses un relevé des variantes entre les deux éditions.

Témoignage de l’Histoire est un texte de 1948 paru dans un ouvrage collectif intitulé Les chrétiens et la politique ; il ne s’encombre d’aucune précaution. « La déchristianisation qui s’était opérée dans notre pays, en un siècle, et par la faute, avant tout, de la démission des chrétiens revêtait une ampleur immense. Non seulement la foi s’était perdue de toutes parts, en un Dieu dont les « serviteurs » même semblaient si bien comprendre que l’on se passât de lui (comme à L’Action française), mais dans les masses souffrantes, délaissées par ceux dont le premier devoir terrestre était de se constituer leurs défenseurs, une autre foi prenait consistance, virile, forte de beaucoup de vérités nées d’un regard lucide sur l’Histoire, une foi cependant qui proscrivait Dieu et désignait la Vérité comme un mensonge des oppresseurs. » (p.103).


Karl Barth (1886 – 1968) pasteur réformé et professeur de théologie suisse. Il est considéré comme l’une des personnalités majeures de la théologie chrétienne du XXᵉ siècle, en particulier de la théologie dialectique

Suivent un article sur Karl Barth (1950), le grand théologien protestant ; un autre de 1963, Ma conviction profonde, dont le titre est éloquent. Enfin, en 1973, un petit texte, Croire en actes, est plus intéressant par le lieu où il est édité (le mensuel Economies et sociétés) que par son contenu – un rapide recensement des écrivains et des hommes politiques que Guillemin mettait dans son panthéon.

Il faut rendre grâce à Patrick Berthier d’avoir réuni ces textes et d’y avoir apporté tous les éclaircissements nécessaires pour les resituer dans leur contexte ; les générations actuelles, malheureusement, ne brillent pas par leurs connaissances historiques. C’est un grand service qu’il rend pour une meilleure compréhension de l’oeuvre de Guillemin et pour l’instruction des lecteurs de cet ouvrage que l’on souhaite nombreux.

Dans l’espérance d’une parole

Editions L’enfance des arbres – 378 pages – 20 €


Ce livre est un hommage à Jean Sulivan, mort en 1980. On sait l’attachement d’Henri Guillemin pour ce prêtre écrivain inclassable qu’était Sulivan. Il lui a consacré, en 1977, un beau livre qu’Utovie a republié en 2015, Sulivan ou la parole libératrice (pour en savoir plus, cliquez ici).

Ils sont du même tonneau, tous les deux, rétifs à une institution ecclésiale qui semble bien éloignée avec ses fastes et ses rites d’un autre temps de la radicalité du message évangélique, supportant mal la rigidité dogmatique d’une hiérarchie trop accommodante avec les puissants, fustigeant une prétendue morale chrétienne qui n’est que le masque d’une morale bourgeoise, profondément hypocrite.

Dans l’espérance d’une parole est composé de deux parties. La première reprend les articles parus dans Le Monde à l’occasion de la sortie des principaux livres de Sulivan ; la seconde est un recueil de témoignages d’hommes et de femmes, connues ou inconnues qui ont rencontré Sulivan et dont la vie a été bouleversée par la force de sa parole.

Je ne retiendrai que les textes de la première partie parce qu’il y a parmi eux 4 articles de Guillemin échelonnés de 1968 à 1976.

Dans Jean Sulivan vu par Henri Guillemin, le 13 juillet 1968, le ton est d’entrée enthousiaste : « Moins d’une année que j’ai découvert Jean Sulivan. Un gros choc et quel profond contentement ! Enfin, enfin, dans le roman français, un homme à la fois qui sait écrire et qui nous parle, brûlant, de choses d’hommes ! »
Dans sa hâte de donner à ses lecteurs l’envie de se plonger dans les livres de Sulivan, Guillemin rassemble un florilège de citations et conclut son article d’un « Vas-y Sulivan ! » assez inhabituel sous sa plume.

Jean Sulivan, pseudonyme de Joseph Lemarchand, est un prêtre et écrivain français né le 30 octobre 1913 à Montauban, en Ille-et-Vilaine, et mort le 16 février 1980


Le 10 mai 1969, Guillemin rend compte du dernier texte de Sulivan, Les mots à la gorge.
Plus classiquement, il parle de l’intrigue, des personnages, du style inimitable de Sulivan. Mais ce qu’il retient surtout, c’est l’irremplaçable miracle – ce sont ses mots – de la pensée profonde de Sulivan : « Il dit : C’est dégoûtant de laisser à la mort le soin de nous décrisper ; il dit : Sans doute faut-il l’expérience du vide pour rencontrer le dieu inconnu au-delà du dieu trop connu ; il dit que c’est dans la simplicité, dans la bonne volonté la plus pauvre et la plus quotidienne, que cela, cela, la merveille, le réel, le bonheur, cela se met à exister, non pas parmi la foudre ou la tempête, mais tout bas, comme un souffle, une seconde, sur le cœur, à peine un bruissement dans l’herbe. »

Le 9 octobre 1976, sous le titre Tambourinaire – le mot est rare qui est emprunté au provençal et qu’on trouve chez Mistral (Frédéric Mistral, ou Frederi Mistral en provençal, écrivain et lexicographe français provençal de langue d’oc (1830 – 1914) – N D E) pour désigner le joueur de tambour -, Guillemin revient sur un livre de Sulivan paru l’année précédente Je veux battre le tambour et se désole que l’audience de Sulivan ne soit pas plus grande.
Mais il faut bien reconnaître que Sulivan ne joue pas le jeu qui mène à la célébrité. Il est bien mal élevé, le Sulivan : « Pas convenable d’aller supposer en prison les gros fraudeurs du fisc, les falsificateurs de bilans, les requins des sociétés anonymes immobilières, pour conclure que les dites prisons, où l’on se suicide aujourd’hui un peu trop, s’amélioreraient sans tarder ; inimaginable, en effet, de laisser des hommes riches vivre dans des conditions dégradantes. »

Et c’est cela que Guillemin aime en lui : « Sulivan semble n’avoir de penchant que pour les êtres en lambeaux, les en-marge, les rebelles, ou les apparentes épaves, tout ce qui échappe aux mailles du social. Le monde ordonné, avec toute sa basse comédie, c’est un univers de mensonge, de sclérose et d’asphyxie. »

Mais surtout cette : « passion fiévreuse nous révèle le grand secret, à la fois infime et sans limites, l’espérance qui est au-delà de l’espoir, le bonheur qui commence au-delà des illusions, un bonheur sauvage, terrible, increvable, compatible avec la douleur même, plus fort que la mort et qui vous met, le jour, la nuit, des bulles de joie dans chaque cellule du corps. »

Enfin, dernier article, en octobre 1976, Jean Sulivan, témoin de l’ombre.
« Ce que j’aime chez Sulivan, c’est qu’il se tient à l’écart du cirque. Ils sont si drôles, je veux dire si comiquement affligeants, ces spécialistes de l’humilité chrétienne qui mènent un tel vacarme autour de leur foi et s’exhibent en permanence à la télévision. »
L’essentiel de Sulivan, c’est sa recherche de « la vérité des profondeurs », « la seule capable – écrit Guillemin – d’échapper aux régionalismes et aux folklores occidentaux, c’est-à-dire d’être réellement universelle. Oui, si vous êtes fatigués des opinions et des déclamations, écoutez une voix qui parle. »

216 pages – 18 €

Dans Le Monde, Guillemin n’est pas le seul à rendre compte des livres de Sulivan. Sulivan a des avocats également convaincus que son oeuvre est une œuvre qui compte tant par sa forme que par son contenu, une œuvre puissamment originale : Jacqueline Piatier, critique littéraire habituelle du Monde, ne tarit pas d’éloges et dans son article en octobre 1980, sur la mort de Sulivan, écrit :
« Le plus passionné de nos critiques littéraires, Henri Guillemin, lui a consacré une étude qui était un aveu de reconnaissance » ; Jacques Madaule (historien, proche d’Esprit, catholique d’ouverture) ; Jean Onimus. (universitaire spécialiste de Péguy fait, en 1977, un parallèle entre Guillemin et Sulivan : «  J’appelle Guillemin justicier parce qu’il n’a cessé – parfois jusqu’au sectarisme, mais avec une passion et une conscience admirables – de poursuivre le sectarisme partout où il en flairait la trace, et parfois chez les écrivains les plus respectés. Par contre, quand il rencontre la sincérité ou mieux la transparence (Rousseau, Lamartine, Zola, Jaurès…) ses enthousiasmes donnent chaud au cœur. C’est ainsi qu’il a rencontré Jean Sulivan, un des rares dont la plume se trouve si près du cœur qu’elle est incapable de mensonge.».

Le seul à émettre des réserves est Pierre Henri-Simon et c’est assez réjouissant ; il voit bien la proximité du « cher Henri Guillemin » (la formule est trop convenue pour bien masquer l’énervement qu’il ressent devant les prises de position de son ancien condisciple) avec Sulivan, mais il supporte mal les diatribes de Sulivan contre les agrégés, contre les académiciens, contre les gens de droite – il se sent visé personnellement puisqu’il cumule ces « défauts ».

Il lui reproche d’user et d’abuser des tics hérités du Nouveau Roman – déconstruction du récit, volonté de laisser parler la langue plus que de suivre les carcans de la grammaire et de la rhétorique -.
Il lui reproche sa sévérité à l’égard des critiques qui lui sont adressées : « lorsqu’un critique, parlant de son œuvre, dépasse l’objectivité descriptive (ce qui est le credo de Pierre Henri-Simon) pour passer aux louanges, il ne s’en plaint plus : à preuve quelques belles pages de gratitude à Guillemin, qui sont sur le ton de l’amitié et de l’admiration intellectuelle ; c’est authentique et touchant, mais cela prouve que le dialogue du critique et de l’auteur ne peut être, finalement, qu’un rapport personnel, une affaire d’engagement, à ce qu’on croit la vérité. » Sulivan est visé mais Guillemin aussi bien évidemment.

Par où l’on comprend cette proximité entre Guillemin et Sulivan qui les fait aimer ou détester l’un et l’autre. J’aime le titre du dernier chapitre de Sulivan ou la parole libératrice, « Petit chrétien d’incertitude, mon camarade » qui exprime admirablement le sens de cette rencontre.
La parole de Sulivan n’est plus très entendue à notre époque – Guillemin le redoutait – ; celle de Guillemin l’est davantage mais par un malentendu qui le prive d’une dimension essentielle de sa pensée, celle justement qu’il partageait avec Sulivan.

Patrick Rödel

Rappel : Colloque Henri Guillemin

Dans un mois, le 6 novembre, s’ouvrira le colloque sur le thème : L’enseignement de l’Histoire en péril – histoire politique, littéraire, histoire de la pensée économique.

Ecole Normale Supérieure – salle Jean Jaurès – entrée par le n° 24 rue Lhomond – 75005 Paris.

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