On n’en a jamais fini avec les livres sur la Commune et, le colloque à peine clos, voilà que nous allons parler de livres que nous n’avions pas eu le temps de lire et qui nous paraissent valoir la peine d’en faire la recension. Parmi les nombreux livres publiés sur la Commune, trois livres ont retenu notre attention. Pour la force de leur témoignage, la diversité de leur point de vue, et pour la mise en perspective politique de cet événement qui, comme la braise, continue de couver sous la cendre.
Avant de présenter comment le cinéma s’y est pris, après la littérature, pour s’emparer et parler de la Commune (sujet d’une prochaine lettre d’information), voici les recensions réalisées par Patrick Rödel.
Edouard MANET
Le premier livre est la Correspondance du siège de Paris et de la Commune qu’Edouard Manet a échangée avec sa femme Suzanne qu’il avait jugé plus prudent d’envoyer à Oloron-Sainte-Marie et avec quelques-uns de ses amis. Correspondance publiée par L’Echoppe en 2014 par Samuel Rodary qui signe une préface extrêmement documentée. Manet est un témoin privilégié de la situation parisienne. Il est appelé, comme tous les citoyens âgés de 30 à 40 ans à rejoindre la Garde nationale. Il ne fait pas partie des combattants, il participe à des tours de garde sur les remparts. Il rejoindra plus tard l’artillerie qu’il quittera assez vite pour obtenir une fonction moins fatigante à l’état-major. Son souci principal est de voir les opérations. Il est républicain, il déteste Thiers, »ce vieillard en démence » il est proche de Gambetta en qui il voit « le seul homme capable » d’éviter l’humiliation d’une capitulation à laquelle l’impéritie et les manoeuvres de Trochu et des Jules conduisent inévitablement. Son témoignage sur les conditions de vie
Edouard Manet 1874 photographié par Nadar
durant le siège est extrêmement précieux, il souffre de la raréfaction des denrées alimentaires ou de leur enchérissement spéculatif, il souffre du froid particulièrement vif cet hiver-là et de l’absence de combustibles, il permet de comprendre la dignité du peuple parisien qui endure toutes ces souffrances et qui se bat malgré tout. Il sent monter une sourde révolte et ne sera pas surpris par les événements du mois de mars.
Mais il a quitté Paris en février pour rejoindre sa famille et se refaire une santé sérieusement ébranlée par les privations endurées. Les témoignages sur la Commune proprement dite sont contenus dans les lettres de son frère Gustave qui y sera engagé jusqu’à la fin. « Les beaux jours du siège sont revenus, écrit-il le 12 avril 1871, et jamais Prussiens n’ont bombardé Paris avec plus d’acharnement. Il y a encore des gens qui appellent Thiers un grand patriote. Paris n’est pas à feu et à sang, ni terrorisé. La plus grande partie de la population est ralliée au mouvement communal, et ne songe qu’à la conciliation. Mais Thiers est trop vieux et trop encroûté dans ses vieux préjugés centralisateurs pour faire un pas. Il préfère prolonger la lutte et tuer des femmes et des enfants. »
Correspondance du siège de Paris et de la Commune – Ed. L’échoppe – 153 pages 24 €
Jules ANDRIEU
Le deuxième livre dépasse le simple témoignage pour analyser les causes de l’échec de la Commune. Il s’agit des Notes pour servir à l’histoire de la Commune de Paris de Jules Andrieu que publient les éditions Libertalia.
On s’étonne que ce texte soit resté si longtemps connu d’un petit nombre de gens, tant il représente une approche quasi unique des événements de 1871. Andrieu ne se fait aucune illusion sur la responsabilité même des communeux dans l’échec de leur mouvement, il pointe avec une lucidité assez étonnante les faiblesses, les contradictions des membres de la Commune. Il est un observateur d’autant mieux placé qu’il est lui-même un des membres de cette Commune, c’est lui qui a en charge l’administration de Paris, il est délégué aux Services publics de la Commune. Et il est un administrateur-né, convaincu que la victoire ne sera possible que si les différents services sont organisés de main de maître.
Mais l’administration des cimetières, la surveillance des égouts ne sont pas des préoccupations subalternes Or, il se désole que les communeux au lieu d’agir et de prendre les décisions qui s’imposent se perdent dans des discussions infinies qui ne débouchent sur rien, que les rivalités personnelles l’emportent sur le sens de l’intérêt commun, que les références au passé révolutionnaire bloquent toute créativité et toute réactivité devant les dangers qui s’amoncellent; que la gauche républicaine ne parvienne pas à s’unir [déjà!!! note de P. Rödel].
« Les comités électoraux avaient inventé autant de nuances du rouge que cette robuste couleur peut en supporter. »
Il dessine une galerie sans complaisance des différents protagonistes – l’extrémiste Felix Pyat, les généraux incompétents de la Commune, la pusillanimité de Jourde qui se refuse à s’emparer de la Banque de France…
« Si le mouvement a été si mal conduit du 18 mars au 28 mai, c’est qu’il a eu pour chefs des hommes qui, sauf de rares exceptions, n’ont jamais rêvé semblable situation ; ils en ont été pour la plupart ahuris ou affolés (…) La Commune avait besoin d’administrateurs ; elle regorgeait de gouvernants (…)La Commune a été violente et faible. Elle devait être radicale et forte. »
Sur le problème des incendies, Andrieu détruit la légende des « pétroleuses » et montre que cette réaction aux bombardements des Versaillais n’a guère été réfléchie, il aurait mieux valu miner les voies d’accès à Paris et établir des barricades qui ne soient pas faites de bric et de broc.
« La faute des incendies retombe donc, pour toutes les parts moins une, sur la cruauté implacable des vainqueurs, et pour cette dernière part sur l’impéritie des chefs du mouvement, qui, du 18 mars au 28 mai, n’ont rien préparé pour faire face aux éventualités de la fin. »
Une autre erreur fatale à la Commune : »avoir copié toutes les autres assemblées et d’être descendue par la pente fatale des choses au rôle stérile d’un parlement. Là où il y a des bureaux constitués en vue de l’exécution d’une besogne taillée à l’avance, les beaux discours ou les grands parleurs ne trouvent plus l’emploi de leurs facultés ; il y a seulement place pour les capacités, pour le dévouement et pour l’assiduité au travail « .
Il est clair que Jules Andrieu plaide pour sa paroisse mais l’issue tragique de la Commune lui donne raison.
Notes pour servir à l’histoire de la Commune de Paris – Ed. Libertalia – 387 pages – 18 €
Andrieu parvient à s’échapper et à rejoindre Londres. L’exil sera dur pour lui comme pour tant d’autres. Il en passera une partie à réfléchir sur les causes de l’échec de la Commune. Et il s’adresse aux puissants en des termes que Guillemin aurait aimés : »Depuis le temps que vous enseignez l’histoire au peuple, pour le berner avec des chroniques de batailles, avec des généalogies de rois, en frappant de temps en temps son imagination par des fables grossières comme de l’image d’Epinal, il doit arriver infailliblement un instant où le peuple voudra, à son tour, vous enseigner l’histoire, mais à sa façon, non avec des mots mais avec des actes, sous des dates simples et parfaitement mnémotechniques, selon toutes les lois de l’art scénique,sans d’autre faute que de se souvenir trop de ce que vous lui avez mal enseigné. Cette histoire en action, cette leçon des peuples aux rois, vous le savez bien, c’est la Révolution. »
Ou encore ce jugement dont la cruauté n’a d’égale que la lucidité : » l’histoire véritable ne se trouve jamais dans les manuels à l’usage de ce dauphin ridicule qu’on appelle le Vulgaire, et qu’on divinise sous le nom de peuple, quitte à le salir et à l’égorger ensuite sous le nom de populace, quand le tour est joué. »
Belle figure que celle de ce fonctionnaire, collègue de Verlaine, qui a su comprendre que la culture est nécessaire aux ouvriers comme la rigueur l’est pour donner à la Révolution toutes les chances de réussir.
Seul bémol. Concernant le travail d’éditeur, il manque cruellement les notes nécessaires pour éclairer certaines allusions ou certaines expressions. Je doute que le lecteur sache que Tragaldabas est le héros d’une pièce d’Auguste Vacquerie , et sache qui était Auguste Vacquerie lui-même ! Ou qu’il connaisse le sens de « puffistes » qui désigne les journalistes qui font de la publicité mensongère !
Eric FOURNIER
Dernier titre, « La Commune n’est pas morte ». Les usages politiques du passé, de 1871 à nos jours, d’Eric Fournier, publié aux éditions Libertalia.
La question est classique : la Commune est-elle la dernière des révolutions du XIXème siècle ou la première du XXème ? On comprend que la réponse à cette question est un enjeu politique de première importance. La littérature versaillaise, tout de suite après les événements, a répondu à une double nécessité : »Assurer la promotion des écrivains, et, surtout, légitimer et encourager la répression versaillaise en transformant l’utopie communarde en un exemplaire conflit de classes, plus encore en une récapitulation de toutes les barbaries, une apocalypse rouge, un mal métaphysique inouï. » Dans cette veine, la palme revient à Maxime Ducamp, qui fut l’ami de Flaubert, avec ses quatre volumes sur les Convulsions de Paris.
« Au silence exigé par les autorités répond souvent un sourd refus, un murmure, un bruissement… », écrit Fournier en une jolie formule. » Une mémoire clandestine se forme et s’exprime, jouant avec la censure, notamment dans des banquets républicains. »
Eric Fournier souligne le rôle que les chansons ont pu jouer dans cette perpétuation de la mémoire de la Commune, de même que les graffitis. Très vite, les exilés cherchent à donner leur témoignage sur les événements – Benoît Malon, Lissagaray, bien sûr, et beaucoup d’autres dont Jules Andrieu -. « L’écriture de l’histoire des communards par eux-mêmes – et donc l’élaboration de la mémoire des vaincus – s’inscrit dans le présent d’un combat politique. »
La Commune n’est pas morte – Les usages politiques du passé, de 1871 à nos jours – Ed. Libertalia – 187 pages- 13 €
« Ces histoires alternatives, imperceptiblement, minorent le côté communal de « Paris, ville libre » et la transforment en un mouvement plus ample ayant le pays comme horizon. Elles négligent tout autant le bricolage politique, le caractère impromptu de cette révolution, et donnent une image simplifiée de la Commune, qui devient une insurrection sûre d’elle-même, immédiatement consciente de ses objectifs, mais trop généreuse avec l’ennemi, ce qui, il est vrai, ne peut que favoriser la postérité du soulèvement. »
A partir de la loi d’amnistie de 1879, c’est autour du Mur des Fédérés que se regroupent les anciens de la Commune « mais la mémoire de la Commune se divise, devient l’objet de violentes querelles d’héritiers, dont les chemins ont fortement divergé depuis 1871 ».
Vers le début du xxème siècle, la commémoration de la Commune devient l’affaire des partis politiques dominants – la SFIO, d’abord, qui « se contente le plus souvent de conserver pieusement le souvenir héroïque de l’insurrection, de son martyre en premier lieu, sans insister sur un programme politique, dans lequel elle ne se reconnaît pas, peu, ou plus », et, plus tard, le PCF qui utilise la mémoire de la Commune afin de se « rattacher à la fois au passé révolutionnaire et au présent de la révolution russe ». Avec des moments forts et des baisses d’enthousiasme, l’enjeu de la mémoire de la Commune retrace les péripéties de la vie politique française.
Sommes-nous parvenus à une vision moins passionnelle de cette histoire ? Rien n’est moins sûr ; les débats sur le nombre des victimes de la répression versaillaise restent un enjeu important, de même que la question de la légitimité de l’action violente.
Je ne suis pas sûr que l’on puisse conclure, comme le fait Fournier, que « la prise d’armes [soit, à notre époque] illégitime » alors que « les communards se définissaient comme des citoyens travailleurs en armes prompts à exercer leur droit à l’insurrection. »
Si l’oligarchie au pouvoir n’hésite pas à se servir de la force pour mâter les contestations, je ne vois pas pourquoi ne serait pas légitime la résistance du peuple et le recours à la violence.
Recensions effectuées par Patrick RÖDEL