Gertrud Kolmar (1894 – 1943)
On ne se plaindra pas que, du monde mystérieux de l’édition française, nous arrivent parfois, de véritables pépites. C’est le cas du recueil de poèmes Robespierre [poésie], suivi de Le portrait de Robespierre, de la poétesse Gertrud Kolmar, publié par les éditions Circé. Qui connaît Gertrud Kolmar ? Ce recueil de poèmes ? Qui plus est, consacré à Robespierre ?
Née à Berlin en 1894, Gertrud Kolmar publie en 1917 son premier recueil de poèmes. Douée pour les langues, elle enseigna quelque temps le français et l’anglais. Admiratrice de Romain Rolland, passionnée par la Révolution française, elle rédigea sous la direction d’Albert Mathiez un portrait de Robespierre (1933). Revenue à Berlin, elle refusa de quitter l’Allemagne, préférant « l’exil intérieur ». Arrêtée en 1941, elle meurt en mars 1943 à Auschwitz.
La publication des poèmes et du portrait de Robespierre, œuvre magistrale de Gertrud Kolmar, écrite pendant la montée du nazisme, revêt un intérêt particulier aujourd’hui où l’on voit s’installer en Europe un climat sociopolitique qui rappelle celui des années d’avant guerre.
La poésie, comme l’a analysé si génialement Gaston Bachelard, est le plus rapide chemin pour aller au cœur des choses. En pétrissant les mots, en inventant des paradoxes, elle génère des images, des rêveries fondamentales qui vont directement à l’inconscient. Elle remue les imaginaires qui y sont enfouis.
Les 80 poèmes sur Robespierre de Gertrud Kolmar nous mènent ainsi directement au centre d’un moment historique emblématique et au coeur d’un homme singulier. Ils mettent en lumière la puissance de la pensée de cet homme hors norme, dont l’œuvre politique dérange toujours aujourd’hui les thermidoriens au pouvoir, au point de se sentir obligés, plus de deux cents ans plus tard, de le caricaturer inlassablement.
Robespierre [poésie] – éditions Circé 2017 – 217 pages – 22,50 €
Le regard de Patrick Rödel
Henri Guillemin n’a pas lu Gertrud Kolmar. Il l’aurait pu si ses textes avaient été traduits en français. Ils ne le furent pas avant la présente édition. En Allemagne, ils ont été publiés en 1934. Nul doute qu’il les aurait aimés.
Gertrud Kolmar est née en 1894, dans une famille bourgeoise juive pour laquelle la question de l’intégration ne s’est jamais posée ; elle, comme tant d’autres, était de plain-pied avec la culture allemande et trouvait dans la société la possibilité de déployer ses talents. Walter Benjamin est le cousin de Gertrud. Elle est morte à Auschwitz en 1943.
C’est une belle femme, au visage ovale, aux immenses yeux noirs, au regard profond. Gertrud parle le russe et le français. Elle a vécu en France. A Dijon. Elle écrit des poèmes. Et curieusement, au moment de la montée des périls (la prise de pouvoir d’Hitler date de janvier 33), elle choisit de se pencher sur Robespierre. Non pas en historienne, mais en poète. Et je ne crois pas qu’il y ait eu une telle entreprise en France ni ailleurs.
80 poèmes pour évoquer la vie de Robespierre, de son enfance à son entrée dans le tourbillon révolutionnaire. Suit un texte en prose, Portrait de Robespierre, dans lequel elle s’interroge sur les raisons profondes de la légende noire de Robespierre.
Il peut y avoir ici ou là des incertitudes, des moments où elle ne fait pas un tri très précis entre ce qui est avéré et ce qui ne l’est pas. Mais peu importe. Elle est fascinée par le personnage de Robespierre qui s’élève, sous sa plume, à la dimension du mythe – pas seulement par lui, par Saint-Just également, par Marat
Sur Saint-Just, au moment de sa mort :
« Il entra dans sa froide et fière clarté
Et s’incrusta comme dans une colonne de cristal
(…)
Et il le sut : aujourd’hui je serai mort,
aujourd’hui seulement, car demain je vais vivre. »(p.153)
Sur Marat :
« Visage, profondément dévasté et défiguré
Par la soif, la faim des insatisfaits,
Des éternels opprimés dans les martyres,
Tourné vers un monde pauvre
Qui pleure sans bruit sa misère glacée. »(p.59)
C’est évidemment la figure de l’Incorruptible qui domine :
« Tu as dédaigné la coupe d’ivresse,
Tu n’es pas resté devant le rôti rebondi,
Tu as semé gravement ton grain dur,
Pour manger pauvrement avec des pauvres affamés
Et quand la main cherchait des sucreries,
Pelait avidement la pomme d’or,
Tu mourais de faim. Ils te redoutaient,
Toi qui quittas sans un mot leur table
Et comptais en silence leurs bouchées.
Ils te haïssaient… »(p.99)
Robespierre a choisi son camp, celui des pauvres, et toute sa politique n’a visé qu’à vouloir mettre à bas un système qui repose sur les inégalités les plus injustes. Ce faisant, ce n’est pas seulement contre la royauté et les privilèges de la noblesse qu’il luttait, c’était contre l’affairisme, la fascination pour l’argent qui gangrènent cette bourgeoisie voltairienne : en vérité, elle ne cherche qu’à faire sauter les verrous qui freinent sa progression et sa main mise sur tous les pouvoirs.
Danton, bien sûr, en est l’incarnation. Il faudra se résoudre à s’en débarrasser en dépit de l’amitié.
Buste de Robespierre par Houdon
« Il était, lui, fort ! Celui que célèbrent les bouches,
Que louent les grands livres,
Un de ces êtres sauvages, impétueux,
Qui se déchaînent, grandioses, gigantesques
(…)
Et ils rient quand ils meurent.
(…)
Toi tu sombras en silence, sans rires,
Ensanglanté, haï ;
Toi, frêle et pauvre, ami des misérables, des faibles
(…)
Tu t’appuyas plus fermement sur les béquilles d’airain,
La foi en Dieu,
Afin qu’avec toute ton impuissance, soutenu par l’invisible
Tu assumes ta mission :
Faux du moissonneur, clé des pouvoirs,
Et langue du prophète. »
Henri Guillemin aurait apprécié. Mais plus encore le visage christique du Robespierre de Gertrud Kolmar.
« Mais lui, le Pur, le Juste
fut engendré pour être l’agneau du sacrifice. »
L’image que Guillemin donne de Robespierre avant son exécution m’avait fait penser à la tradition picturale du Christ aux outrages. Gertrud Kolmar n’en est pas très éloignée.
« Il est couché sur cette table dans la salle
Pour des siècles dans l’aube grise ;
Aucun droit, aucun abri : la bacchanale ;
Pas une cruche et pas une main de femme. »(p.147)
Aux yeux de Gertrud Kolmar, il ne fait pas de doute que Robespierre est un croyant. « Mais Robespierre et les siens voulaient arracher Dieu à l’Eglise, tirer Dieu hors de l’église qu’ils abandonneraient comme un écrin vide, inutile et absurde. Cela, ni un ami des prêtres ni un athée n’aurait pu le faire. Robespierre non plus n’y est pas parvenu, le 9 Thermidor est arrivé entre temps. Mais ses discours et ses actes prouvent assez qu’il en avait l’intention, qu’il tenta de le faire. Est-ce que cela dépasse les capacités de l’imagination humaine ? Faut-il qu’un homme qui ébranle les trônes sans détruire en même temps tous les autels passe pour un monstre ? »(p.191)
Il est sûr qu’Henri Guillemin aurait aimé cette approche de Robespierre dont il est lui-même proche, aussi bien dans ses conférences sur Robespierre, sur les deux Révolutions françaises 1789/1792 – 1792-1794 (cliquez ici) que dans son Robespierre, politique et mystique (cliquez ici)
Note rédigée par Patrick Rödel
Portrait de Robespierre à l’âge de vingt ans, par Pierre-Roche Vigneron (1789 – 1872)
d’après un pastel de Adélaïde Labille-Guiard (1749 – 1803)
Pour aller plus loin
Outre les travaux d’Henri Guillemin cités précédemment, de nombreux livres ont été écrits sur Robespierre. Ne parlons pas, évidemment, de ce tas d’ouvrages à charge qui perpétuent ad nauseam les mêmes bêtises sur la Terreur quand ce n’est pas sur l’homme lui-même (à remarquer que ses discours ne sont jamais, ou très rarement, attaqués ; et pour cause).
Nous ne mentionnons que deux ouvrages.
Le premier : Robespierre, la fabrication d’un mythe aux éditions Ellipses (456 pages – 24,50 €) de Yannick Bosc et Marc Belissa.
Ces deux historiens comptaient parmi les intervenants à notre colloque du 26/10/13 « Henri Guillemin et la Révolution Française – le moment Robespierre » (Actes du colloque aux éditions Utovie ; vidéos des interventions ici). Dans ce livre, les deux auteurs effectuent une très salutaire déconstruction des légendes et autres affabulations accumulées à propos de Robespierre depuis sa mort en 1794 et permettent ainsi d’apprendre et de comprendre en peine objectivité, l’engagement politique de l’Incorruptible.
Le second : Robespierre, une politique de la philosophie – éditions La Fabrique (209 pages – 10 €) de George Labica.
Cet ouvrage permet de comprendre l’action de Robespierre, comme homme d’Etat, en prise avec l’inédit politique révolutionnaire en train de se réaliser.
4 réponses sur « Robespierre toujours vivant »
Il existe bien des livres sur cet homme intègre dont nous sommes à même depuis et aujourd’hui de mesurer l’immense catastrophe que signifiait son meurtre. Et ses assassins sont au pouvoir depuis, c’est d’une tristesse incommensurable pour le Peuple !
Je rajouterais un livre à vos deux ouvrages cités : Robespierre parle aux Français de Philippe LANDEUX qui est un recueil de l’intégralité ou quasi des discours de l’Incorruptible. C’est devenu pour moi presque un livre de chevet tant on est au coeur de la pensée de cet immense personnage.
Merci pour votre commentaire et vos observations, et donc vos encouragements qui seront publiés sur le site.
Quel bonheur que les écrits de cette poétesse aient été traduits en français ! Robespierre a décidément inspiré les meilleurs dans le monde entier, bien au-delà des frontières de son pays où on ne songe qu’à le dénigrer. Il est vrai que les Thermidoriens sont revenus au pouvoir en France et que leur idéologie domine le paysage politique depuis des décennies, stérilisant toute pensée émancipatrice.Merci à vous de nous avoir livré cette information. Je ne doute pas que nombre d’entre nous se précipitent chez leur libraire …
Merci pour votre commentaire. On peut effectivement penser que cet ouvrage sera ainsi mieux connu.