Les chroniques du Caire d’Henri Guillemin
Au fil de sa chronique hebdomadaire de La Bourse égyptienne Henri Guillemin a parlé trois fois de Georges Bernanos (1888-1948) : le 12 décembre 1937 pour la sortie de la Nouvelle histoire de Mouchette, le 19 juin 1938 pour Les Grands Cimetières sous la lune, et le 3 septembre 1939 (le jour où éclate la guerre, mais Guillemin l’ignore au moment où il envoie son article au journal) pour Nous autres Français, un des recueils d’articles de l’écrivain devenu polémiste.
À cette époque de sa vie Guillemin a évidemment lu Bernanos, mais ne l’a pas encore rencontré ; ce ne sera chose faite que juste après la guerre : alors, durant les dernières années de la vie de l’écrivain, les deux hommes se sont à plusieurs reprises, en Suisse ou à Paris, « parlé sérieusement » (Henri Guillemin tel quel, Utovie, 2017, p. 121. Publication en décembre 2017).
Pour les trois livres dont il s’agit ici, Bernanos est simplement quelqu’un que Guillemin admire comme écrivain, et surtout pour sa farouche droiture d’homme. C’est même beaucoup trop peu dire qu’il admire, et je vais essayer de montrer en quoi.
Analyse de Patrick Berthier
Bernanos 1 : Nouvelle histoire de Mouchette
Nouvelle histoire de Mouchette est la dernière grande œuvre romanesque de Bernanos (son ultime roman, Monsieur Ouine, publié au Brésil pendant la guerre, est de son propre aveu un livre moins achevé).
L’adjectif « Nouvelle » du titre renvoie au fait que, dans le premier roman de Bernanos, Sous le soleil de Satan (1926), un personnage féminin se nomme déjà « Mouchette ». Les deux Mouchette n’ont rien à voir l’une avec l’autre, sauf leur fragilité et leur terrible solitude, qui ont poussé le romancier à leur donner ce même prénom/surnom.
La Mouchette de 1937, une adolescente de quatorze ans, occupe le centre d’un récit tellement resserré que c’est plutôt une longue nouvelle (à peine plus de 80 pages en « Pléiade »).
Résumée brutalement, cette histoire, située dans la Flandre profonde, est sinistre. Fille d’un ivrogne, Mouchette vit à l’écart de ses camarades de classe, rêvant sa vie dans une rumination muette. Un soir d’orage, elle rencontre dans les bois Arsène, braconnier, compagnon de beuverie de son père, se donne à lui dans le seul moment de douceur qu’elle aura connu mais, le lendemain, dégrisée, désespérée peut-être, elle se suicide en se laissant rouler dans un étang.
Le film tiré de cette histoire par Robert Bresson (Mouchette, 1967) est d’une splendide fidélité à l’original avec son noir et blanc profond et l’interprétation somnambulique de la jeune Nadine Nortier.
Fin 1937, quand Guillemin lit la seconde Mouchette, il a en tête l’admirable réussite du roman précédent de Bernanos, Journal d’un curé de campagne (1936), publié avant que ne s’ouvre sa propre chronique égyptienne. Ce qu’il écrit sur Mouchette est moins un article de critique littéraire que la confidence personnelle d’un lecteur frappé de plein fouet par ce texte atypique. Il commence en citant le début du livre : [note de l’éditeur : les signes (« ) englobent le texte de Bernanos ; les signes («, ») encadrent le texte de Guillemin]
« “Mais déjà le grand vent noir qui vient de l’ouest – le vent des mers, comme dit Antoine – éparpille les voix dans la nuit. Il joue avec elles un moment, puis les ramasse toutes ensemble et les jette on ne sait où, ronflant de colère. Celle que Mouchette vient d’entendre reste longtemps suspendue entre ciel et terre, ainsi que ces feuilles mortes qui n’en finissent pas de tomber.” Ainsi commence la Nouvelle histoire de Mouchette, le dernier livre de Bernanos. L’ “attaque” est d’une audace extraordinaire. Ce “Mais déjà…” semble enchaîner ce qui suit à ce qui précède ; or ce qui précède n’existe nulle part ailleurs que dans l’âme du romancier, on dirait d’un homme qui parlait à voix basse, pour lui seul, qui se murmurait à lui-même une histoire, et dont soudain la voix éclate. Il continue tout haut ce récit pathétique et nous associe à son rêve, ce n’est point qu’il ait pensé à nous, viré de bord, changé tout exprès ses perspectives intérieures ; il ne s’est pas décidé tout à coup à faire le romancier pour nous plaire, l’amuseur. Tout se passe comme si la passion l’emportait, enflant inopinément sa voix. Ce rêveur hanté menait parmi ses fantômes un monologue où passait sa fièvre. Et subitement nous avons part à son secret. »
Toute l’admiration du Guillemin de trente-quatre ans pour Bernanos éclate dans ce début. Il ne se sent pas proche de lui comme de Mauriac, qu’il connaît depuis plus de dix ans et dont il est l’ami. De toute évidence, le génie nocturne, tourmenté, pessimiste de Bernanos l’impressionne. C’est un possédé de l’écriture, et cela aussi il le fait sentir avec force :
« Bernanos n’est pas de ces créateurs dégagés, libres d’eux-mêmes et qui règnent à leur gré sur un peuple de figures dociles, prêtes à paraître ou à s’effacer à leur commandement. En existe-t-il, d’ailleurs, parmi les vrais maîtres, de ces souverains si merveilleusement détachés des êtres auxquels ils donnent vie, et qu’ils font agir ? Je ne sais, toujours est-il qu’entre ceux que leurs personnages dominent et pour ainsi dire envoûtent, il n’en est pas, je crois, d’envoûté plus que Bernanos. »
Guillemin se met à raconter l’intrigue, semant son résumé d’une foule de citations courtes qui évoquent l’errance nocturne de Mouchette par des détails sensoriels, depuis « le grand peuplier à peine visible dans le ciel et qui fait un murmure de source » jusqu’à « l’immense chuintement du sol saturé » qui n’absorbe plus l’excès de pluie.
Il se fait presque romancier lui-même pour faire voir Arsène et Mouchette, qui se connaissent depuis toujours, dans ce petit village. « Tous deux se sont glissés, ruisselants, dans cette tanière où sont enfouies sous terre ses cartouches. Le vent de mer hurle autour d’eux. » Ils parlent, loin du monde entier. « Toute cette scène est d’une puissance inouïe, indicible » – Guillemin n’a que ces pauvres adjectifs pour suggérer à quel point le génie narratif de Bernanos est écrasant pour son lecteur. « Cette histoire ressemble à un cauchemar, tout s’y succède et s’y déroule dans je ne sais quelle épaisseur nocturne, quelle palpable et cotonneuse opacité. »
Guillemin plie, dirait-on, sous « la dureté sans nom de ce conte » qui se clôt « au bord de l’étang » par le « rendez-vous mystérieux » de Mouchette avec la mort.
Et le résumé s’achève comme il a commencé, par les mots mêmes de l’écrivain : « La vase du fond était d’un gris presque vert, douce aux yeux comme un velours », et Mouchette s’y couche comme dans un lit, en « pivotant doucement sur les reins, […] tandis que montait à ses narines l’odeur même de la tombe ».
Reste à conclure. Et la conclusion du critique saluant « la puissance de Bernanos » n’est pas moins forte que son évocation du récit lui-même :
« Nous lui en voulons sourdement de nous introduire dans un univers aussi noir ; et nous sommes tentés d’abord de crier au parti pris, à l’excès […]. Cet univers qui nous est tellement étranger, nous savons bien pourtant qu’il existe, mais notre cœur l’écarte et le récuse, car son existence même compromet notre bonheur, menace notre sécurité. C’est l’univers des misérables. Mouchette n’est qu’une des asphyxiées sous l’affreuse cloche des grands dénuements. »
À la date de cette chronique, qui n’est que la sixième d’une série de près de cent publiées en moins de deux ans, ce cri d’admiration à l’adresse de Bernanos est sans doute un des textes les plus forts qui soient encore sortis de la plume d’Henri Guillemin.
Note de l’éditeur sous forme d’un arrêt sur lecture : rencontre de deux génies sur Mouchette : l’écrivain Georges Bernanos et le cinéaste Robert Bresson
Le film de Robert Bresson, adaptation de La Nouvelle Histoire de Mouchette est comme un trait enragé de craie blanche sur un tableau noir, une ligne droite sans fioritures, directe et âpre. Dans ce film, Bresson avec le style qui lui est propre de rigueur janséniste, substitue toutefois à l’impétuosité de la langue littéraire, la sécheresse de son écriture filmique. Mais, et c’est la son génie, il sublime sans le déformer, le roman noir incandescent de Bernanos.
Bresson est le cinéaste des gestes, des objets du quotidien, de la pureté du jeu (le visage de Nadine Nortier est une toile blanche projetée sur le noir de la douleur du monde). Son propos cinématographique est d’être le témoin impassible de la violence qui s’exerce sur la vie courante des plus démunis. Il faudra trois essais successifs à Mouchette pour se noyer correctement alors que résonne le Magnificat de Monteverdi.
L’intransigeance bressonnienne a parfois donné matière au soupçon d’un certain sadisme. Tout le monde n’a pas la possibilité de demander à Jean-Luc Godard de s’occuper personnellement de la bande-annonce de son film. Bresson l’a eue.
Godard dira : « c’est un film chrétien et sadique. Mouchette nous toise de sa rage blanche, nous gratifie de son affection noire. Telle son héroïne jetée d’une rouste vers la messe, le cinéma de Bresson chancelle entre pieds dans la boue et regard vers le sacré ».
Ci-dessous, cet extrait anthologique de la fin de Mouchette.
Suite de la note de Patrick Berthier :
Bernanos 2 : Les grands cimetières sous la lune
Nous pouvons dire presque la même chose de son deuxième article, consacré sept mois plus tard aux Grands Cimetières sous la lune. Le ton, cependant, a changé : toujours aussi admiratif, mais sans cette horreur sacrée dont nous avons senti Guillemin saisi devant le néant terrible de Mouchette. D’entrée le critique salue l’homme de convictions fortes, « qui ne possède, pour vivre, rien d’autre au monde que sa plume », et qui avec ce nouveau livre « vient, sciemment, de s’exclure » du monde des petits profits de la presse et de la librairie par son inacceptable sincérité.
Résumer ce gros ouvrage est bien incommode, mais on peut en donner l’axe.
Installé à Majorque au moment où éclate la rébellion de Franco et la guerre qui l’oppose bientôt à la république en place depuis 1931, Bernanos, homme de droite, voire d’extrême-droite par ses origines intellectuelles, a d’abord approuvé les franquistes. Mais les exactions des deux camps et, surtout, la conduite des notables catholiques, laïcs ou évêques, qui soutiennent en masse Franco, lui font bientôt horreur, et il écrit ce livre pour dire son désespoir : non seulement l’Europe avait déjà bien oublié les « grands cimetières » de la terrible guerre de 14, mais voici que la malheureuse Espagne en crée d’autres.
Bernanos n’a pas de solution, il témoigne. Sa position est différente de celle du Malraux de L’Espoir, autre maître livre sur la guerre civile espagnole, et dont Guillemin a parlé cinq mois plus tôt (voir notre newsletter de juin 2016. Pour la relire, cliquez ici).
Bernanos n’est pas un combattant, sauf par la colère infatigable qu’exprime sa façon d’écrire. Comment Guillemin donne-t-il à son lecteur une idée de ce livre ?
Il se dit d’abord d’accord avec Bernanos lui-même pour refuser de le désigner comme un « pamphlet » ; mot facile, qui serait presque « une étiquette rassurante » ; Bernanos n’est pas un « bonimenteur » : « […] il s’agit d’un homme qui parle et qui s’engage dans ce qu’il dit ; la voix tremble parfois, mais on voit très bien qu’au lieu de hausser le ton, tout au contraire Bernanos se maîtrise, s’oblige à garder son sang-froid, se contraint et se crispe pour tâcher de parler posément, pour dire avec mesure ce qu’il a à dire, ce qu’il lui faut dire, ce qu’il ne peut pas ne pas dire. Ce qui est grave, précisément, c’est qu’il ne joue pas. On essaiera bien de sourire et de s’évader vers d’opportunes considérations littéraires. La route est barrée ; ce livre-là n’est pas un jeu. Pas moyen de crier : “Pouce !” On feindra qu’il nous taquine ? Pas longtemps. La bataille où cet homme se lance, il s’y lance pour de bon. »
Et Guillemin explique : « Il est arrivé quelque chose à Bernanos […], une épouvantable rencontre : la guerre civile espagnole vue de près », chez lui, à Majorque ; ces comités où dans chaque village figurent « le propriétaire le plus riche, le sacristain, quelques bien-pensants et leurs dames » ; ces paysans arbitrairement arrêtés et fusillés ; cette Église muette : « Pas un mot de blâme, pas même la plus inoffensive réserve des autorités ecclésiastiques qui se contentèrent d’organiser des processions d’action de grâces ».
En Bernanos, c’est la découverte de « la monstrueuse falsification du patriotisme » que cause la peur du communisme ; par son horreur exemplaire la guerre d’Espagne permet de comprendre que ce qui s’exprime dans toute l’Europe c’est « le “nationalisme” des industriels » qui, « pour cette seule raison qu’ils gagnent moins d’argent, que leurs affaires sont plus difficiles […], traitent en somme leur pays “exactement comme les souteneurs une fille qui ne rapporte plus” ».
Ces derniers mots sont de Bernanos, et tout l’article est ainsi tissé de l’entrelacs des citations de l’auteur et du commentaire de Guillemin, tous deux unis dans la même indignation ; en voici un exemple éloquent :
« Il [Bernanos] a réfléchi sur la notion communément admise, la notion inculquée de l’ordre ; et il s’est aperçu que l’ordre, sur la plupart des lèvres qui font si grand usage de ce mot, ne signifie pas autre chose que la sécurité garantie aux profits : “Détruire à coups de canon le surplus des misérables ou consumer par le feu des récoltes entières de froment, jeter au ruisseau des tonnes de lait, sont des mesures absolument identiques” ; et il a reconnu enfin que le droit de légitime défense dans la société telle qu’elle est constituée se trouve en fait “de plus en plus réservé à une certaine catégorie de citoyens, et comme inséparable du droit de propriété” ; car, écrit-il avec logique : “On peut bien défendre à coups de fusil sa maison même si l’on en a plusieurs, alors qu’on ne peut défendre par les mêmes moyens son salaire, même si l’on ne possède rien d’autre” ».
Photogramme du film « Les sentiers de la gloire » de Stanley Kubrick (1957)
A ce point de sa lecture on voit que Guillemin lit sous le même angle social Mouchette et l’essai sur la guerre d’Espagne ; mais ce qui le frappe le plus, comme Bernanos, c’est la douleur de voir l’Église se ranger du mauvais côté. « C’est d’elle que je tiens tout ; rien ne peut m’atteindre que par elle », dit Bernanos, qui poursuit : « Le scandale qui me vient d’elle m’a blessé au vif de l’âme, à la racine même de l’espérance, ou plutôt il n’est d’autre scandale que celui qu’elle donne au monde » en bénissant – cette fois c’est une formule de Guillemin – « Franco et ses mitrailleuses ».
Pas étonnant, alors, que le peuple d’Espagne haïsse ses prêtres. Et Guillemin, au moment de clore son commentaire de ce « cri d’angoisse d’un chrétien », donne une dernière fois la parole à Bernanos et à cette formule amère, souvent citée depuis :
« Devenir la bête noire des hommes libres et des pauvres avec un programme comme celui de l’Évangile, convenez qu’il y a de quoi faire rigoler ! »
Bernanos 3 : Nous autres Français
Un mot, avant de finir avec Nous autres Français : s’il est vrai que, dans ces années qui précèdent sa grande carrière d’historien, Guillemin n’a pas encore acquis la stature que lui donneront notamment ses conférences, on peut quand même admirer le culot avec lequel il dit ce qu’il pense, dans ces chroniques égyptiennes que nous avons commencé à feuilleter ; certes sa position est sans doute plus confortable que s’il s’exprimait dans un journal de France métropolitaine, mais on peut aussi tirer son chapeau à la rédaction de ce quotidien de la riche élite francophone du Moyen-Orient pour avoir laissé Guillemin s’exprimer avec toute sa liberté de passionné.
Nous autres Français réunit une série de textes écrits depuis les accords de Munich, signés moins d’un an plus tôt, et à les lire ainsi regroupés on y trouve, dit Guillemin, « cette même passion flamboyante que dans Les Grands Cimetières sous la lune ».
Aussi est-il « impossible de passer sous silence » ce qui est « pour ainsi dire un “discours à la nation française” » envoyé depuis le Brésil, où Bernanos s’est exilé. Guillemin tente de bien dire ce que cela signifie pour l’écrivain polémiste : à la fois une tristesse, et une liberté plus grande encore.
Le passage que je vais citer est encore une fois typique de l’intensité de commentaire qui se fait jour en Guillemin dès qu’il parle de Bernanos :
« Son destin est sans doute de ne plus jamais revoir la France, cette terre qu’il aime d’un tel amour. Il est au loin ; la distance accroît toujours notre lucidité sur les objets de nos attachements. Il est libre ; il l’a toujours été, d’ailleurs, n’ayant jamais joué le jeu du monde, ce remue-ménage des habiles, ces politesses intéressées, ces éloges hypocrites et qui visent à séduite ceux dont on attend, en échange, d’autres éloges, ou des services. Par son exil volontaire, il s’est acquis une position unique et inexpugnable. Il n’attend rien d’âme qui vive, hormis de soi-même et de Dieu. C’est un homme pauvre, qui élève six enfants et qui n’a jamais désiré l’opulence ; un homme d’honneur, que les pharisiens s’empressent d’appeler don Quichotte parce qu’il les gêne, terriblement, et que, privés des moyens de lui nuire ou de le contraindre au silence, ils n’ont d’autre recours que d’essayer de rire (jaune) en répétant qu’il est devenu fou. Mais sa voix parle ; elle vient de traverser les mers, et l’écho de cette formidable clameur n’a pas fini de retentir. »
En fait, Bernanos incarne pour Guillemin le courage de celui qui ose, à contre-courant de ce que nous appellerions le « politiquement correct », dire ce qui est ; c’est en somme ce qu’il fera lui-même, à son échelle plus modeste, dans son œuvre écrite et orale.
Les colères de Bernanos en 1939, notamment contre Maurras, on en retrouvera l’écho bien plus tard dans Nationalistes et “nationaux” (1974) [pour lire le synopsis, cliquez ici ] où Guillemin met au jour les scandales de l’avant-guerre.
Lorsque nous lisons le portrait de ces « “bons Messieurs” si dévots à l’office, le dimanche, mais qui “sont, à la ville, des avoués ou des huissiers très experts, des commerçants plus âpres que le coing vert et de très acides procureurs”, […] si parfaitement dociles à l’autorité ecclésiastique, “mais qui redeviennent eux-mêmes dès qu’il s’agit de leur carrière et de leurs sous” », nous devons être attentifs aux guillemets pour distinguer les mots de Guillemin de ceux de Bernanos qu’il cite, tant tous deux parlent d’un même ton.
En conclusion
Il est probable, à cette date d’imminence du pire, que Guillemin jette sur la situation de la France le regard même de Bernanos, tout en ne se permettant pas, pour des raisons évidentes (il n’est pas connu), de se porter explicitement à ses côtés.
Mais les formules qu’il applique à Bernanos : « Nous autres Français, c’est le cri d’un homme supplicié par ce qui s’offre à ses regards », ou : « le témoignage d’une âme fière et que le scandale ensanglante », sont si crues dans leur vocabulaire qu’on ne saurait y lire les simples propos d’un “critique”.
Lorsque Guillemin dit en finissant : « Je ne connais pas beaucoup d’écrivains, en France et ailleurs, qui soient de cette taille », et que pour lui « Bernanos luit comme une grande flamme », il le situe bel et bien au-dessus des autres, comme écrivain, comme chrétien, comme homme que blessent toutes les bassesses.
Recension de Patrick Berthier
Pour aller plus loin :
la conférence audio de Guillemin sur Bernanos
https://youtu.be/mUPl3oiF7XI
La lettre de Simone Weil à Bernanos :
En août 1936, alors que Franco fait son coup d’Etat, Simone Weil prend part à la guerre civile en s’engageant dans la colonne Durutti. Cette expérience lui laisse d’importantes traces et elle écrit, deux ans plus tard, à Georges Bernanos, dont la lecture de Les grands cimetières sous la lune, lui a fait revivre cet engagement. Vibrant hommage à la littérature, à l’écrivain et à la vérité humaine.
Pour lire ce texte, cliquez ici