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« L’humour de Victor Hugo » par Henri Guillemin

Couverture. Ouvrage édité par Utovie – 120 pages – 15 €

La recension de Patrick Rödel

On n’en a pas fini avec la redécouverte des oeuvres d’Henri Guillemin. Seuls quelques privilégiés connaissaient le petit livre qu’il avait consacré à l’humour de Victor Hugo, publié en Suisse aux éditions de La Baconnière en 1950.

Grâce à l’obstination des éditions Utovie, ce livre est maintenant accessible. Et c’est un bonheur.
D’abord parce qu’il donne de Victor Hugo une image très éloignée du portrait que l’histoire littéraire officielle continue de véhiculer – nous sommes loin, ici, du grand-père barbu dont on écoute les leçons avec un petit sourire ironique mais dont il est de bon ton de moquer la grandiloquence.
Quel rétrécissement de la carrure d’Hugo ! Quelle ignorance de la force créatrice de l’homme qui s’exprime aussi bien dans ses lavis que dans des romans comme L’homme qui rit ou dans Les travailleurs de la mer que l’on a cessé depuis longtemps de lire pour ne retenir que Les Misérables et Notre-Dame de Paris (et plus à cause des seins de Lolobrigida-Esmeralda dans l’adaptation de Jean Delannoy en 1956) !

C’est un aspect inattendu de Victor Hugo que Guillemin, agacé par les bêtises dans lesquelles se complaisent ses commentateurs, souligne dans cette anthologie : un Victor amoureux des mots au point de jouer sur eux avec une virtuosité déconcertante et s’amusant comme un gamin des calembours, des à-peu-près, des défauts de prononciation, des cuirs qu’il recueille. Un humour potache, pas toujours du meilleur goût mais d’une efficacité redoutable quand il s’agit de croquer ses contemporains ; et il y va à pleines dents, surtout, sous le Second Empire :

L’avènement de Napoléon le petit a « eu pour lui MM. les cardinaux, MM. les évêques, MM. les chanoines, MM. les curés, MM. les vicaires, MM. les archidiacres, diacres et sous-diacres, MM. les prébendiers, MM. les marguilliers, MM. les sacristains, MM. les bedeaux, MM. les suisses de la paroisse, et les hommes religieux, comme on dit, race précieuse, ancienne, mais fort accrue depuis les terreurs propriétaires de 1848, lesquels prient en ces termes : O mon Dieu, faites hausser les actions de Lyon ! Doux Seigneur Jésus, faites-moi gagner 25% sur mes Naples – certificats – Rothschild ! Saints apôtres, vendez mes vins ! Bienheureux martyrs, doublez mes loyers ! Sainte Marie, mère de Dieu, daignez jeter un oeil favorable sur mon petit commerce ! Tour d’ivoire faites que la boutique d’en face aille mal! »

Et des diatribes de ce ton, on en trouve contre la justice, contre l’armée, contre les prisons, contre l’Académie…
Mais rien que pour le plaisir, Hugo note sur n’importe quel support. Cette chanson : « J’ai fait le bossu/Cocu/J’ai fait le beau cu/Cossu ». Cette devise pour « un décrotteur chaste » : « Pas n’aime et cire sans cesse » (faut avoir fait un  peu de latin ou avoir fréquenté les pages roses du dictionnaire…).
Ou ce portrait des prêtres qui encensent le coup d’Etat et « Entonnent leur salvum fac imperatorum/ (au fait faquin devait se trouver dans le texte) ».

Hugo s’amuse aussi avec les lettres et on y verra un précurseur d’un certain Arthur.
A propos d’Y : « Méfiez-vous de cette lettre-là ! L’Y exprime l’inondation. Regardez : qu’est-ce qu’un Y? Deux courants qui se réunissent. Un Y de plus, NOE était NOYE ! »
Quant aux chiffres, il n’est pas en reste ; il évoque la querelle du 6 et du 9 : « Tu n’es que le 9 en révolte ! Tu n’es qu’un 6 découragé! »

Les témoignages sont multiples de ses amis qui évoquent des soirées où Hugo, bonne chère et bons vins aidant, se livrait à ses plaisanteries débridées. Un gamin, dit Guillemin, un « loustic », Guillemin qui avait une faiblesse égale pour cette insolence à l’égard du vocabulaire qui ne peut naitre que chez ceux qui ont gardé une âme d’enfant découvrant les mille et un tours de la langue. A propos du gamin de Paris, dans les Misérables, ceci qui lui va parfaitement : « Il est doué d’on ne sait quelle jovialité imprévue ; il ahurit le boutiquier par son fou-rire. »

PS : je disais qu’on n’en avait pas fini avec Guillemin. Patrick Berthier qui a la patience de travailler à établir une bibliographie qui se voudrait exhaustive, nous donne, toujours chez Utovie, un complément à l’ouvrage qu’il y avait consacré, Guillemin, une vie pour la vérité, en 2016.
Et nous laisse espérer une autre édition qui incorporera les références qu’un chercheur suisse a découvertes et que les fans de Guillemin ignoraient.

Patrick Rödel


Victor Hugo esquissant un sourire avec ses petits-enfants, Georges et Jeanne en 1881 (b/w photo A. Melandri)

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