Navire le Var à Toulon (Département Marine du Service Historique de la Défense)
A travers cet ouvrage, Gérard Hamon fait le pari de reconstituer le journal de bord d’un inconnu, qu’il nomme XXX, l’un de ces 410 Communards ramenés en métropole par le navire le Var à l’été 1879. Si XXX est un personnage réel (1) qui fut fait prisonnier à la fin de la Commune de Paris en 1871 et condamné, comme plusieurs milliers de ses camarades de combat, à la déportation simple en Nouvelle-Calédonie, son journal de bord est entièrement imaginaire. Une fiction, mais une fiction enchâssée dans la réalité historique décrite et reproduite grâce à un important travail d’archives effectué par l’auteur. Les anecdotes, dialogues, faits divers, témoignages, descriptions, proviennent d’un étroit maillage de sources que Gérard Hamon a patiemment recherchées et étudiées (2).
Gérard Hamon – La Traversée – éditions Pontcerq – 296 pages – 12 €
Gérard Hamon a été professeur de mathématiques en France et en Afrique. Il a publié des ouvrages sur des sujets aussi divers que les mathématiques de la Renaissance italienne, l’histoire de l’algèbre arabe et celle des nombres complexes. C’est à l’occasion de recherches en archives qu’il a rencontré la figure de XXX, communard originaire d’une commune d’Ille-et-Vilaine et déporté en Nouvelle-Calédonie. Il s’est alors lancé dans un travail minutieux de recherches qui l’a conduit à écrire La Traversée et à rendre ainsi hommage à tous ceux qui se sont battus pour la Commune.
XXX n’est pas une grande figure de la Commune, ce n’est ni un théoricien ni un stratège, ni davantage un chef de guerre ou un leader politique. C’est un Communeux intègre, un combattant, un homme ; un homme du peuple, un des héros de la Commune. Après plus de six ans passés sur l’Île des Pins (petite île située au sud-est de Grande Terre en Nouvelle-Calédonie), il bénéficia de l’amnistie générale et regagna la France sur le même navire qu’à l’aller, le Var. C’est ce voyage de retour de onze semaines, onze semaines d’ennui, d’espoir ou tout au moins d’interrogations, mais aussi de rencontres et de souvenirs, qu’il raconte dans ce journal de bord imaginaire.
Autour de XXX gravitent des Communards qui ont réellement existé : Augustin Nicolle, Prosper Quiniou, Marc Gonthier, Paul Chibout, sur lesquels l’auteur a accumulé une importante documentation, passionnante et impressionnante de précision et de détails.
Grâce à cette documentation, on découvre l’organisation et le règlement maritimes à bord du Var, les conditions de vie des pas encore libres mais plus tout à fait prisonniers. On peut s’émouvoir à la lecture d’extraits de lettres ou de journaux de bord de Communards que Gérard Hamon a trouvés et qu’il nous restitue tels quels, en appui au journal imaginaire, lui, de XXX.
C’est alors, sur le plan littéraire, une soudaine vibration différente qui surgit du fil narratif général : des extraits d’époque, authentiques, écrits non seulement dans le style fin XIXe, mais aussi dans la prose populaire des Communards. Car tous les convoyés à bord du navire sont des ouvriers, des prolétaires, des gens d’en bas. Et dans cette classe-là, ce qui vient en premier, c’est la survie. Alors on parle net, on va droit au but, on ne s’émeut pratiquement pas mais on accuse le coup des vacheries de la vie.
Très nombreux passages sur le quotidien et les conditions de vie de gens du peuple dont on retiendra les pages 60, 71, 72, 86-87, 118, 119, 135, 196… A noter plus particulièrement le récit de la traque d’un Communard accompagné de son épouse enceinte (elle accouchera entre deux planques), par la police, obligé de se cacher ici et là (le détail des adresses est donné) pour fuir l’emprisonnement (pages 122, 123 et surtout 124) ; également l’acte d’accusation de XXX (page 152), ou la description détaillée des traitements abominables subis par les prisonniers (pages 140 à 143), ou encore l’étude de la presse, notamment le journal Le Gaulois (page 213).
Le journal imaginaire de XXX est bâti comme tout journal, avec des dates chronologiques où XXX narre le déroulement de chaque journée. Si les journées sont racontées de façon particulière, au gré des événements qui les composent, la narration n’est pourtant pas structurée verticalement, prisonnière d’une grille calendaire stricte, ce qui aurait procuré à la lecture un rythme mécanique et scandé. Au contraire, le journal imaginaire ressemble davantage à un monologue intérieur qui s’étire immuablement au long des jours de cette traversée, sans souci de respect des dates pourtant scrupuleusement indiquées, ce qui place d’avantage le récit sur un plan d’horizontalité. Au long cours en quelque sorte.
Sans aller jusqu’à employer la technique littéraire particulière du récit en flux de conscience (le style de Gérard Hamon est de facture classique), le monologue intérieur de XXX n’en aborde pas moins toute une série très variée de sujets, de pensées et de réflexions, qui permet d’approcher au plus près ce qui pouvait très vraisemblablement torturer les méninges de ces captifs.
XXX repense à sa vie passée, ses origines sociales, son enfance, ses parents, surtout son père (l’a-t-il déçu de ne pas avoir été médecin comme lui ?, Comment a-t-il considéré son engagement dans la Commune ?). Il se rappelle ses combats pendant la Commune et les affres de la question éthique quand, une fois prisonnier, il fut sommé de témoigner, de dénoncer, d’abjurer. Il se souvient des massacres abominables perpétrés par les troupes versaillaises, les incompréhensions et quiproquos entre Communards de Basse-Bretagne et soldats versaillais du Finistère qui s’interpellent en plein combat de rue pour cesser le feu et sauver les blessés au milieu des tirs, mais, hélas ne se comprennent pas car les dialectes sont trop différents (pages 38 et 39).
Il parle de l’amitié et des amis disparus.
L’accapare aussi, le retour en métropole : qui et que va-t-il découvrir à son arrivée ? Comment vivra-t-il son retour, avec quels projets, quel avenir ? Comme il y a un curé à bord, cela donne l’occasion de présenter, à chaque dimanche, l’anticléricalisme des Communards ou de façon générale leur ignorance sur le sens de la religion (pages 174, 175).
A un moment de son journal, XXX, en se remémorant les livres qu’il a lus et aimés, nous entraîne dans un voyage dans la littérature de l’époque, certes court mais couronné d’une bonne surprise. Sont cités tous les grands : Victor Hugo, Alexandre Dumas, Jules Verne, Eugène Sue, Théophile Gauthier, Gustave Flaubert, Prosper Mérimée, Emile Zola. Et la surprise arrive à la fin de cette illustre liste. J’avoue avoir ressenti le plaisir de lire ceci : « …il y a aussi Jules Vallès, notre compagnon élu du XVème, réfugié à Londres, dont nous savons qu’il a écrit un drame, La Commune de Paris« . Comment ne pas repenser à notre colloque du 19 novembre dernier et à l’intervention de Céline Léger sur ce sujet peu connu ?
Dates après dates, les pensées intimes de XXX courent et tourbillonnent. Mais le cours de ses pensées est régulièrement entrecoupé par les extraits historiques que l’auteur insère habilement dans le récit. Ainsi, une discussion avec ses amis, et c’est un extrait de lettre d’époque qui structure le dialogue. L’évocation d’un ami, et c’est le déroulé d’une biographie bien réelle que nous lisons. Le souvenir des combats et des malheurs, et les archives s’imposent avec tous les détails qui sonnent vrai.
Si bien que le journal de XXX alterne très subtilement les moments de réflexion fictionnelle, intimes, calmes, denses, (le calme-plat de l’introspection) et les passages historiques, plus vifs, imparables, factuels (la houle du bouillonnement de l’Histoire) dans un récit qui évolue jour après jour vers sa destination finale, sous la tension dramatique grandissante du trajet vers la liberté.
La Traversée a donc cette particularité d’offrir un double voyage, intérieur et extérieur, et on pourrait imaginer lui donner un second sous-titre : « Voyage intérieur par delà les mers ».
Un sujet historique qui reste à creuser
Prisonniers algériens en Nouvelle-Calédonie 1864-1920
Au milieu de La Traversée, (pages 165, 169 et 170 et plus loin, pages 226, 227 et 228) l’auteur évoque une amorce de réflexion politique sur la problématique du colonialisme. XXX s’interroge sur l’exploitation et les sévices subis par les Algériens, les Kanaks, les Indochinois et avoue, alors même que leur situation de classe dominée pouvait se comparer à la leur en métropole, que la conscience politique des Communards sur ce sujet n’était pas très développée.
L’auteur aborde la question de l’impérialisme et du colonialisme dans le journal imaginaire mais, toujours selon le schéma général du livre, en s’appuyant sur des archives. Cela donne l’extrait suivant, tiré du journal Le Gaulois du 18 novembre 1878 qui donnait la parole au ministre de la Marine de l’époque : « Le Canaque, je l’ai dit, n’est pas un occidental, c’est un assassin : il n’est pas armé pour la lutte, il ne l’est que pour le meurtre, et le meurtre isolé (…/…). Il est probable que beaucoup des griefs des Canaques étaient plus ou moins chimériques… ». A la suite de ce passage, XXX, sensibilisé à ce problème par la proximité avec les autochtones, analyse la révolte des Kanaks comme une réaction à la brutale dépossession de leur terre et à la politique coloniale. Plus loin, le journal mentionne les cas de Cochinchine et d’Algérie.
Si l’on souhaite approfondir cette question, ci-dessous un extrait pris sur le site de l’association des amies et des amis de la Commune.
En 1871, dès que Paris proclame la Commune, les délégués de l’Algérie, Alexandre Lambert, député des départements d’Algérie, Lucien Rabuel, Louis Calvinhac, déclarent, « au nom de tous leurs commettants, adhérer de la façon la plus absolue à la Commune de Paris. L’Algérie tout entière revendique les libertés communales. Opprimés pendant quarante années par la double centralisation de l’armée et de l’administration, la colonie a compris depuis longtemps que l’affranchissement complet de la Commune est le seul moyen pour elle d’arriver à la liberté et à la prospérité ». Paris, le 28 mars 1871 (Journal Officiel de la Commune de Paris). Pour en lire davantage, cliquez ici.
Pour finir, un extrait : la fin de La Traversée, l’arrivée en métropole
« Le 1er septembre 1879 arrive à Port-Vendres, Pyrénées-Orientales, un ancien navire militaire de transports de chevaux, reconverti et employé depuis une dizaine d’années à la déportation de condamnés : le Var. C’est un trois-mâts de 1900 m2 de voilure, doublés d’un puissant moteur actionnant une hélice à deux ailes doubles de quatre mètres.
À son bord, 410 communards, qui après un exil en Nouvelle-Calédonie de six ou sept ans pour la plupart ont obtenu du gouvernement de la République l’amnistie ; ce 1er septembre ils touchent le sol français après un voyage en mer de dix semaines depuis Nouméa. « Lorsque les premiers déportés sont descendus, ils ont crié : “Vive la France !” Et la foule a répondu par les cris de : “Vive la France ! Vive la République !” Ces cris se sont reproduits à différentes reprises. Dans la journée, un seul cri de “Vive la Commune !” a été poussé par un marin de Port-Vendres qui est connu et aura probablement à en répondre. » (Le Journal des Débats, 3 septembre 1879) ».
Recension réalisée par Edouard Mangin
Notes
(1) XXX est inspiré d’un Communard réel – Amédée Guélet, natif de Saint-Aubin-d’Aubigné en Ille-et-Vilaine – embarqué sur le Var en septembre 1872, et rentré en métropole sur le même navire. L’auteur dédie son livre à sa mémoire.
(2) Parmi les archives étudiées par l’auteur, citons :
– Les archives d’Outre-Mer à Aix-en-Provence
– Les bulletins officiels du ministère de l’Intérieur
– La presse (Le Gaulois, Le Petit Parisien, Le Temps)
-Ouvrages historiques : Alphonse Messager Deux cent trente-neuf lettres d’un Communard déporté – éd. Le Sycomore 1979 ; Roger Perennès Déportés et forçats de la Commune : de Belleville à Nouméa – éd. Nantes, Ouest-Editions 1991 ; Charles Malato De la Commune à l’anarchie – éd. Stock 1894 ; journal de la société des océanistes – année 1971.
Pour compléter
Dernière minute /1
La Commune est toujours vivante en 2016. A peine notre colloque du 19 novembre s’était terminé que quelques jours plus tard, cette information extraordinaire paraîssait dans le journal Le Monde daté du 30/11/2016 :
L’Assemblée réhabilite les communards victimes de la répression
Durant cette insurrection populaire, en 1871, entre 10 000 et 20 000 personnes ont été exécutées par les forces loyales au gouvernement d’Adolphe Thiers.
A l’initiative des socialistes et au grand dam de la droite, l’Assemblée nationale a voté dans la soirée de mardi 29 novembre un texte proclamant la réhabilitation de toutes les victimes de la répression de la Commune de Paris.
Dernière révolution du XIXe siècle et première tentative d’un exécutif de la classe ouvrière, ce mouvement populaire fut la réaction à la défaite française lors de la guerre franco-allemande de 1870. L’insurrection des Parisiens contre le gouvernement provisoire dirigé par Adolphe Thiers, installé après la déchéance de Napoléon III, a duré soixante-douze jours, du 18 mars au 27 mai 1871.
Lors de la Commune, notamment durant la Semaine sanglante, entre 10 000 et 20 000 personnes ont été exécutées. Des milliers de condamnations à mort, à la déportation, aux travaux forcés ou à de la prison ont en outre été prononcées postérieurement. En mars 1879, une amnistie partielle des communards avait été votée par l’Assemblée, puis, en juillet 1880, une loi d’amnistie générale concernant les condamnations prononcées après la défaite de cette insurrection populaire.
Communards en 1871
Combat « pour la liberté »
Evoquant un « acte solennel » par « devoir d’histoire » autant que « de justice », le président socialiste de la commission des affaires culturelles et élu parisien, Patrick Bloche, a plaidé que « le temps est désormais venu » pour le pays de rendre ainsi justice à tous les communards, « victimes d’une répression impitoyable ».
Secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement et ancien député de Paris, Jean-Marie Le Guen a appuyé un texte qui « favorise la transmission de la mémoire » de « patriotes » et « insurgés » aux valeurs ayant « inspiré la République ».
La proposition de résolution, signée notamment par le chef de file des députés socialistes et écologistes réformistes Bruno Le Roux et plusieurs élus parisiens, souhaite notamment que soient rendus « honneur et dignité à ces femmes et ces hommes qui ont combattu pour la liberté au prix d’exécutions sommaires et de condamnations iniques ».
Dernière minute /2
Marc Sangnier, Henri Guillemin sur France Culture les 3 et 10 décembre prochains.
Dans le cadre des Nuits de France Culture est programmée la rediffusion, en deux volets d’une heure chacun, de l’émission Profil perdu qui avait été consacrée à Marc Sangnier les 21 et 28 septembre 1995.
Ces deux formidables émissions proposées par Marlène Belilos permettent notamment d’entendre de nombreux témoignages et certaines voix aujourd’hui disparues comme : Maurice Schumann, Georges Montaron, Jeanne Caron, Madeleine Barthélémy-Madaule, Jean Sangnier (fils de Marc Sangnier), Jean-Marie Mayeur, Henri Guillemin et Marc Sangnier, lui-même.
Retour des Parisiens après l’écrasement de la Commune juin 1871 tableau anonyme – Saint-Denis, musée d’art et d’histoire.
(Cliché I. Andréani)
2 réponses sur « La Traversée – retour du bagne de Nouvelle-Calédonie d’un Communard 1879 »
Merci pour ce compte-rendu fouillé qui me donne très envie de plonger dans l’ouvrage ! Je me suis en effet aperçue récemment que mon ancêtre (Henri Victor Demonceaux) avait été déporté à l’île des Pins et j’ai pu consulter son dossier aux Archives de la défense… Ce « journal » me semble très à-propos, même si mon ancêtre est parti sur La Virginie (avec Louise Michel) et revenu sur La Picardie… C’était lui aussi une homme du peuple, bourrelier de son état…
Je suis à la recherche d’un membre de ma famille, un jeune papetier Leon Albert Boucher déporté en 1872 sur la guerrière et gracié en 1879 comme ses camarades. J’ignore le nom du navire navire sur lequel, il est revenu et ce qu’il est devenu. Quels conseils me donneriez vous pour retrouver cette information (le navire) ? Merci d’avance