Introduction
En juillet 2021, Catherine Seylaz (nom de plume Dubuis), nous proposa un texte relatant un souvenir d’enfance à propos d’une conférence de Guillemin sur Paul Claudel, donnée à Lausanne en 1955.
Texte qui donna lieu à une newsletter diffusée le 14 juillet et dont voici un court extrait :
« …Enfin, voici le souvenir d’un homme allant et venant sur la scène de l’Athénée; il parle de Claudel, et il pleure, tant l’évocation de ce grand poète l’émeut. La salle se tait, figée, la bonne société bourgeoise de Lausanne, embarrassée, ne sait trop comment recevoir ce témoignage à vif, ces propos enflammés auxquels elle n’est guère habituée…. »
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Quelques mois plus tard, au mois d’octobre, nous reçûmes un deuxième texte, cette fois-ci consacré aux rapports Henri Guillemin/Charles Péguy.
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Puis, à l’occasion de la Nouvelle Année 2022, Catherine Seylaz m’adressa une belle surprise : un échange épistolaire inédit entre Henri Guillemin et une jeune étudiante pleine de fougue qui l’apostrophait vivement au sujet de ses critiques contre Napoléon Bonaparte, dont voici un extrait :
« … les photocopies d’un échange épistolaire datant de 1968 entre son amie Anne Rivier, alors jeune étudiante, et Henri Guillemin, suite à une conférence qu’il venait de donner sur Napoléon 1er….
L’étudiante, avec la fougue de la jeunesse, apostrophait l’historien en lui déclarant son désaccord sur la façon avec laquelle Guillemin avait démoli la statue du héros national.
Guillemin lui répondit aussitôt…. »
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Quelques jours avant le colloque sur Emile Zola (12 novembre 2022), Catherine Seylaz nous a fait parvenir un nouveau texte concernant cette fois-ci Benjamin Constant, personnage qui fait partie des bêtes noires de Guillemin, à côté de George Sand, Alfred de Vigny et quelques autres.
Henri Guillemin, Benjamin Constant et Léonard Burnand. Par Catherine Seylaz-Dubuis.
Léonard Burnand a publié en mars 2022 une ample biographie de Benjamin Constant chez Perrin, sobrement intitulée Benjamin Constant. Léonard Burnand dirige l’Institut Benjamin Constant, sis à l’Université de Lausanne, préside l’Association Benjamin Constant, collabore à l’édition des Œuvres complètes de Constant et préside le comité de rédaction des Annales Benjamin Constant.
Il est par ailleurs professeur d’histoire moderne à l’UNIL (Université de Lausanne), et auteur de plusieurs livres. dont Necker et l’opinion publique (2004) et, en collaboration, Germaine de Staël, l’esprit de liberté (Perrin, 2017).
C’est comme constantien largement reconnu que j’étais impatiente de voir à quelle sauce Burnand allait assaisonner notre Henri Guillemin, dont la détestation de Constant est patente. [cf. Benjamin Constant muscadin – éd. Utovie ; pour en savoir plus cliquer ici – N.d.l’E].
Dans son Introduction, Burnand explore « l’image posthume » du personnage, « tout aussi ambivalente que celle qui s’est développée de son vivant1 ». Et il fait une assez large place à Guillemin, qu’il introduit à la suite d’une « prédiction » de François Mauriac, admirateur de Constant (« Benjamin Constant a des ennemis éternels2 ») : « le redoutable Henri Guillemin s’apprête à descendre dans l’arène pour réactiver la légende noire3. »
Disons tout de suite que les propos de Burnand m’ont surprise par leur modération.
Je m’attendais à une exécution en règle, et certes, les termes « en prétendant révéler », « ces prétendus imposteurs », « une prétendue “conspiration du silence”», accumulés sur quelques lignes, soulignent les sérieuses réserves du chercheur à l’égard de la démarche de l’historien Guillemin. Ce dernier « affectionne le genre du livre “à charge” », « cherche à déboulonner certaines idoles », possède « un tableau de chasse bien garni », « mène contre Benjamin une croisade acharnée […], véritable entreprise de démolition », etc.
Que voici le portrait d’un redoutable prédateur des lettres ! Plus grave, l’accusation de manipulation des sources, mettant en évidence le côté « hautement contestable du point de vue méthodologique » du livre que Guillemin consacre à Constant4 reprend l’essentiel des virulents reproches émis par la plupart des historiens, mais sur un ton toujours très mesuré.
Comme si l’auteur se gardait bien de tomber dans les mêmes outrances que l’on a reprochées à l’essayiste.
Par ailleurs, Burnand n’est pas insensible aux côtés séduisants du personnage de Guillemin : « essayiste et conférencier à succès », « fougueux essayiste » ; son livre « incendiaire et outrageusement partial » « ce brûlot », est cependant doté « de verve et d’humour ».
Burnand reconnaît à Guillemin un « talent de pamphlétaire », mais qui a eu « un effet dévastateur pour l’image de Constant auprès d’une partie du public », participant activement à la consolidation de la « légende noire » qui poursuit le personnage.
Les énormes travaux conduits par les historiens dès le début des années 1980 sur l’œuvre de Benjamin Constant ont amené un climat plus apaisé. L’angle « scientifique » sous lequel elle est envisagée désormais suscite des interprétations plus sereines, moins polémiques. « L’histoire, conclut Léonard Burnand, semble graduellement prendre le pas sur la légende. »
L’adjectif « scientifique », orné de guillemets par l’historien lui-même, notons-le, m’a renvoyée à cet article d’Henri Guillemin5, qui éclaire, s’il en était besoin, sa démarche, et pointe clairement ce qui la sépare de la méthode historienne « scientifique ».
A mes yeux, il ne s’agit pas du même « métier », même si Guillemin se considère comme historien (« Le rôle de l’historien est de dénouer les masques et d’arracher les oripeaux6. »).
Sa méthode subjective, affective et émotionnelle (tout en étant basée sur un travail de documentation fouillé), qui dit haut et fort ses amitiés et ses détestations, n’est évidemment pas celle d’historiens tels que Burnand. Certes, « tout critique […] sait parfaitement, dans son for intérieur, ce qu’il pense de l’écrivain qu’il étudie. […] il est loyal, et simplement honnête, d’avouer avec franchise le penchant qu’on éprouve pour l’auteur dont on traite ou l’éloignement qu’il vous inspire7. »
Mais, là où l’historien met en sourdine ses antipathies, le chercheur façon Guillemin leur laisse libre cours : « Je n’aime pas Benjamin Constant. […] Tout compte fait, de tant de documents interrogés, de tant d’écrits lus et relus, l’homme que l’on voit apparaître me glace, m’est odieux8. »
Il en a le droit, mais cela ne fausse-t-il pas un peu la lecture ?
En conclusion, parmi ces mêmes aveux, cette caricature de Benjamin (on sait que Constant a été abondamment caricaturé par les dessinateurs dans les journaux de l’époque), que Guillemin ne peut s’empêcher d’offrir à ses lecteurs, après quelques douceurs concédées (« Constant écrit admirablement […] Un écrivain du premier rang ») :
« Paix à ses cheveux jaunes, à ses taches de rousseur, son petit ventre rond sous sa poitrine creuse, sa vérole, son air entendu, et sa myopie clignotante. »
Catherine Seylaz-Dubuis
1 Léonard Burnand, Benjamin Constant, Paris, Perrin, 2022, p. 11.
2 François Mauriac, « Quelqu’un ou personne », Le Figaro littéraire, 6 octobre 1956, p. 1 et 7.
3 Léonard Burnand, op.cit., p. 15. Toutes les citations qui suivent : pp. 16-19.
4 Henri Guillemin, Benjamin Constant muscadin (1795-1799), Paris, Gallimard, 1958 ; rééd. Utovie, 2009.
5 Henri Guillemin, « Aveux spontanés », Journal de Genève, 16-17 février 1952, cité par Léonard Burnand, p. 16.
6 Henri Guillemin, « Benjamin l’imposteur », Le Nouvel Observateur, 18 octobre 1967, cité par Léonard Burnand, p. 17.
7 « Aveux spontanés ».
8 Ibid.
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Note réalisée par Edouard Mangin
Une réponse sur « Henri Guillemin et Benjamin Constant »
Merci de nous faire connaître ce livre sur Constant. Je le suppose fort bien documenté, son auteur étant un spécialiste émérite de cet auteur. Les jugements qu’il porte sur Guillemin, d’après ce que vous en retenez, me semblent ne pas dépareiller les levées de boucliers que les livres de HG ont toujours suscitées chez les historiens de la littérature – les spécialistes de Péguy, ceux de Chateaubriand et quelques autres : HG n’est pas un historien, il est un pamphlétaire qui se laisse guider par ses partis pris politico- religieux. Rien de très nouveau sous le soleil. S’agissant de Constant, le noeud du problème réside dans l’attitude de Constant à l’égard de l’abbé Oudailles, ce prêtre qui contrariait ses propres ambitions politiques et qu’il n’hésita pas à dénoncer aux autorités ; Oudailles fut arrêté et condamné au bagne. Je ne vois pas qu’il s’agisse ici du « ressenti » de Guillemin et d’un quelconque parti-pris, il s’agit d’un fait avéré. Même Mauriac, qui vénérait Constant, fut obligé de reconnaître que Guillemin avait raison.
C’est sur ce point que j’aurais aimé savoir comment Burnand rend compte de cette très fâcheuse histoire. Ou bien il défend Constant et cherche à minimiser sa responsabilité ou bien il est contraint de donner raison à HG et cela tempère les critiques qu’il lui réservé.