EXTRAITS CHOISIS ET COMMENTÉS DE » LA CAPITULATION » (1871)
« La capitulation » est le dernier tome de la trilogie que Henri Guillemin consacre aux origines de la Commune.
C’est sans doute, des trois, le plus décapant, celui qui met à nu, sous couvert d’un Gouvernement prétendument de Défense nationale, le cynisme d’une classe de possédants soucieux avant tout d’en finir avec la menace intérieure que fait peser sur leurs intérêts le peuple en armes de Paris.
Que ce soit en abandonnant à l’Allemagne l’Alsace et la Lorraine leur importe peu. Au prix de quelques manipulations de vocabulaire – on parle d’armistice alors qu’il s’agit bel et bien d’une capitulation – et avec l’aide d’un état-major qui, dans sa plus grande partie, se veut plus garante de l’ordre social dominant que de l’intégrité du territoire national.
Les tractations secrètes vont bon train avec l’envahisseur, tout surpris et heureux de trouver en face de lui des gens de si bonne compagnie qui lui offrent ce qu’il n’osait espérer en échange de l’appui qu’il pourrait leur apporter pour mater ces horribles ouvriers qui se mêlent de résister.
L’ennui est que la victoire des Prussiens n’a rien de définitif : l’armée, malgré la reddition de Bazaine est encore en mesure d’infliger des revers à l’envahisseur et on peut, par une levée en masse, renverser la situation – Gambetta en est convaincu, qui a quitté Paris le 7 octobre 1870 et s’active, en province, à organiser la riposte.
Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est guère aidé par le Gouvernement des Jules et par Trochu. On promet une sortie et rien ne vient que mal organisé ou stoppé alors qu’une issue favorable est tout à fait possible. La jonction avec l’armée de Tours, qui aurait permis de rompre l’encerclement de Paris et de repousser les troupes allemandes, n’aura jamais lieu.
L’obstination à ne rien faire de la part de l’Etat-major est manifeste et ne s’explique que par la volonté de traiter avec l’Allemagne pour régler les problèmes de politique intérieure française. Blanqui en est parfaitement conscient qui, du fond de sa prison, parle de « l’ignoble comédie de vaillance » jouée depuis septembre.
Gambetta proclamant la République à l’Hôtel de ville de Paris le 4 septembre 1870
(tableau de Howard Pyle 1853 – 1911) (domaine public)
Paris assiégé est menacé d’une famine soigneusement entretenue – ce qui fait le bonheur des spéculateurs et n’empêche pas les riches de s’empifrer dans les restaurants des Grands Boulevards.
Une boucherie canine et féline au marché Saint-Germain pendant le siège de Paris, hiver 1870 (domaine public)
Deux remarques essentielles de Guillemin :
– sur l’équipe au pouvoir :
« Ces hommes « de gauche », depuis qu’ils sont au pouvoir, passent leur temps à donner des gages à la droite. On les voit affamés d’obtenir la considération des milieux où ils se sentaient, jusqu’ici, méprisés. A se renier comme ils le font pour séduire la société élégante, ils ne gagnent rien, du reste. On les emploie, mais avec un sourire où la condescendance se mêle au dégoût. »(p.90).
Curieux comme ces phrases, si l’on y change quelques mots, résonnent étrangement dans la situation qui est la nôtre !
– sur le peuple de Paris :
« Inouï, c’est vrai, à quel point ce peuple de Paris aura pu, durant tout le siège, se montrer docile et maniable tant il a la foi, tant il imagine peu – en dehors d’une poignée de « rouges » – son Gouvernement de la Défense Nationale autrement que sous les traits qu’il s’est faussement donnés, à savoir, un Pouvoir d’urgence et de salut public, uniquement soucieux de protéger la capitale contre l’envahisseur et de coordonner son action avec celle du pays pour rejeter l’ennemi hors de notre sol. »(p.131/132)
Pour conjurer le risque toujours redouté d’un succès de Gambetta et d’un soulèvement parisien, il faut manoeuvrer avec subtilité et l’aide de Bismarck – les Jules y parviendront, mais ils auront eu chaud.
L’armée prussienne encercle Paris (1870)
Du côté des Allemands, on redoute une guerre de partisans. Il faut à tout prix les rassurer. « Que les Allemands cessent de craindre » – écrit Guillemin qui se coule dans les pensées les plus secrètes, les moins avouables des dirigeants français, en une page tragique de lucidité. – « Si Trochu refuse de leur livrer Paris et si Gambetta leur fait peur, ils ont de sûrs auxiliaires qui vont arranger tout cela. Ils ont les généraux de Paris, et M. Favre, M. Picard, M. Ferry, M. Simon, grâce à qui Paris, attendant la fin de ses vivres, demeure «mort et muet devant nous», – comme le notera Schneider, [l’historiographe allemand] le 14 [décembre]. Ils ont Bourbaki, qui a peur de vaincre et honte de se laisser vaincre, mais qui appartient à son clan avant d’appartenir à la France. Ils ont M. Thiers, qui, tremblant à l’idée de ce que Gambetta pourrait bien réussir avec son plan de rupture des communications allemandes, suivie d’une triple offensive par Troyes, par Chartres et par Saint-Quentin pour délivrer la capitale – puissante manoeuvre que les Allemands prient le ciel de leur épargner – explique à qui veut l’entendre que ce dessein de Gambetta est, militairement parlant, une aberration (…). Et ils ont encore et surtout la connivence des possédants, notables et leurs paysans, banquiers et leur clientèle, archevêques et leurs ouailles, toute la légion des amis de l’ordre, des Talhouêt aux Cumont, des Falloux aux Broglie, des Daru aux d’Haussonville, et de Mme Sand à Mgr de Bonnechose, de Renan à Louis Veuillot, tout ce « pays réel » qui exècre les résistants, dénonce les francs-tireurs, et travaille à noyer «sous une mer de cendres» (dixit Goltz) cette flamme qu’attise désespérément Gambetta. »(p.206)
Gambetta va céder, malheureusement devant la coalition de ceux qui ne veulent en aucun son succès, au grand soulagement de ceux qui n’ont cessé de le traiter de fou furieux. Des élections vont avoir lieu où la Province va pouvoir imposer sa loi à Paris – les grands propriétaires, le clergé y veilleront, les paysans voteront comme il faut.
Dépêche annonçant l’armistice à Bordeaux le 29 janvier 1871
Le tour est joué, en janvier 1871. L’armistice est signé. C’est la capitulation. Les « honnêtes gens » peuvent respirer.
Puis ce sera le refus de cette trahison des élites et l’instauration de la Commune.
Note réalisée par Patrick Rödel.
Les citations sont reproduites avec l’aimable autorisation des éditions Utovie, éditeur exclusif des oeuvres d’Henri Guillemin.
Photo introductive : Reddition de l’empereur Napoléon III au roi Wilhelm de Prusse à Sedan le 2 septembre 1870. Tableau de Anton von Werner (1843 – 1915) (domaine public) A gauche de l’image, on distingue le drapeau blanc de la petite délégation française, accompagnée d’un officier prussien. Au centre, le général Reille salue le roi Guillaume, qui porte le casque à pointe. En retrait, à droite, se tiennent le Kronprinz, le chancelier Bismarck, le général Moltke et de hauts dignitaires. La chaise paillée, à droite, est destinée au roi pour qu’il puisse lire plus commodément la lettre de l’empereur déchu. Voici ce qu’il est écrit :
« Monsieur, mon frère,
N’ayant pu mourir au milieu de mes troupes, il ne me reste
qu’à remettre mon épée
entre les mains de Votre Majesté.
Je suis de votre Majesté le bon frère,
Napoléon, Sedan le 1 (sic) sept. 1870″
Sedan, le 2 septembre 1870 – Tableau de Anton von Werner (1843 – 1915) (domaine public)
QuatriÈME CONFÉRENCE FILMÉE D’HENRI GUILLEMIN, D’UNE SÉRIE DE 13 CONSACRÉE À LA COMMUNE :
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Colloque « Henri Guillemin et la Commune – le moment du peuple ? » le samedi 19 novembre 2016. Pré-programme et inscription : sur notre site en page d’accueil, ici (faire glisser le curseur)