Incendie de Notre-Dame – 15 avril 2019 – Effondrement de la flèche
Henri Guillemin et l’Eglise
Les événements récents qui secouent l’Eglise catholique – abus sexuels commis par des prêtres sur des enfants, sur des religieuses, révélations sur l’homosexualité de certains membres du clergé – nous invitent à relire les ouvrages qu’Henri Guillemin a consacrés à l’histoire de l’Eglise et à une réflexion sur les fondements de la foi chrétienne.
C’est très tôt que Guillemin a commencé à poser sur l’Eglise, comme institution, un regard très critique.
La rencontre avec Sangnier ne pouvait que l’y inciter puisque les relations entre le Sillon et l’Eglise ont été pour le moins tendues, le Vatican, après avoir accueilli avec sympathie ce mouvement qui, dans la lignée de Rerum novarum, entreprenait de réconcilier la classe ouvrière avec l’Eglise, s’étant vite aperçu que le Sillon penchait beaucoup trop à gauche – pour dire les choses rapidement.
La condamnation du Sillon, en 1907, la soumission de Sangnier aux ordres du Pape ont durablement marqué la première génération de sillonnistes. Guillemin est arrivé presque 20 ans après ces événements, mais les récits que lui en font Marc Sangnier, Jacques Rödel et les autres témoins suscitent en lui une interrogation sur les dérives de l’institution ecclésiale qui ne cessera jamais.
Ce n’est donc pas un hasard si le premier article un peu conséquent en ce domaine qui paraît en 1937, Par notre faute, dans Sept, revue dirigée par les Dominicains (republié in Le Cas Guillemin, de Patrick Berthier Gallimard, 1979) dresse une esquisse très sévère de l’histoire de l’Eglise, de sa compromission avec les puissants – mais il n’y a rien de bien neuf dans cet article qui s’inscrit dans une veine anticléricale héritière des Lumières. On sait qu’il fut mal reçu par les autorités vaticanes.
Plus sérieuse est l’Histoire des catholiques français au XIXème siècle (1815/1905). (1947, rééd. Utovie 2003).
S’y dessine la préférence de Guillemin pour ceux qui ont su prendre la défense des pauvres, et de la classe ouvrière naissante– Lammenais, Lacordaire – et le plus aimé, Frédéric Ozanam – en face d’une hiérarchie qui se situe du côté des défenseurs de l’ordre et des gens de bien.
On y découvre aussi un thème qu’il déclinera toute sa vie et qui est sa sympathie pour les petits prêtres de campagne dont la vie ne se distingue guère de celle de leurs ouailles.
Le livre s’achève au moment des lois sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Sa conclusion mérite d’être citée : « Depuis cinq années environ, un nouveau groupe de catholiques s’était constitué sous l’impulsion puissante d’un jeune polytechnicien plein de flamme, Marc Sangnier. « Pour le Christ et par le peuple », tel était le mot d’ordre du Sillon. Aussitôt accueilli par les haines furieuses de la droite, le Sillon, où revivait l’esprit de Lacordaire et d’Ozanam, allait contribuer à changer le climat spirituel de la France. »
Guillemin n’écrira jamais le livre qu’il aurait pu écrire sur Sangnier ; il se donnait pour excuse que le livre de Madeleine Barthélémy-Madaule paru en 1973, Marc Sangnier 1873-1950, était excellent et qu’il ne voyait pas ce qu’il pourrait y ajouter.
Explication un peu courte qui lui permettait de faire l’impasse sur les raisons profondes de l’éloignement qu’il manifesta à l’égard de Sangnier, de 1945 à 1950. Et qui sont politiques, Guillemin reprochant à Sangnier de s’être laissé suborner par les amitiés de son fils et d’avoir été récupéré par le MRP [Mouvement Républicain Populaire, parti politique de 1944 à 1967, classé comme centriste démocrate chrétien – N.D.E.].
Pendant les années qui suivirent, Guillemin s’intéressa davantage au destin particulier des auteurs ou des personnages historiques qu’il étudiait et à leur position vis à vis de la religion.
C’est l’époque où, selon ses détracteurs, il baptise à tour de bras des hommes plutôt éloignés de la religion traditionnelle et débaptise avec autant d’enthousiasme ceux qui s’en font les avocats.
Il faut attendre 1982 pour qu’il retourne à l’histoire du christianisme et d’abord à celle du Christ – c’est L’Affaire Jésus qui fut un de ses livres les plus vendus et qui lui valut quelques haines solides chez les catholiques pur jus.
Comme à son accoutumée, Guillemin a beaucoup lu, il a découvert un certain nombre de théologiens anti-conformistes qui allaient loin dans la démythologisation, il a dévoré les études historico-critiques qui commençaient à fleurir à cette époque, il a fréquenté des prêtres au parcours atypique, comme Jean Sulivan. [ pour en savoir plus sur l’histoire de ce prêtre atypique, il est utile de connaître l’ouvrage d’Henri Guillemin en cliquant ici – N.D.E.]
Et il écrit avec un zèle de néophyte, sans toujours beaucoup de nuances. Que reste-t-il après un tel travail de critique radicale de la foi dont il avait compris, jeune khâgneux lyonnais, en voyant son professeur de philosophie, par ailleurs kantien d’obédience stricte, communier à une messe matinale, qu’elle pouvait ne pas être aux antipodes de la raison ? Difficile à dire.
On est mauvais juge d’autrui en la matière. Guillemin avance sur une ligne de crête, enflammé comme à l’accoutumée quand il s’aperçoit qu’on lui a menti, mais hésitant, pour de multiples raisons, et pas toujours mauvaises, à accomplir la rupture que certains auraient aimé lui voir accomplir.
Si bien que la question de la foi de Guillemin me paraît indécidable.
Ce fut, en tout cas, un sujet de discussion toujours renouvelé avec François Mauriac et avec Jean Sulivan.
Les critiques les plus radicales ne vont jamais jusqu’à remettre en cause un attachement certain à une Eglise qui, en dépit de toutes ses faiblesses, de tous ses crimes a malgré tout transmis l’essentiel du message christique.
De Dieu, ce Dieu dont Saint Thomas d’Aquin parle au neutre « quod Deum appellamus », cela que nous appelons Dieu – la citation mériterait certainement d’être vérifiée et remise dans son contexte, mais Guillemin y tenait au point d’avoir voulu qu’elle figurât sur son faire-part de décès, – ce Dieu, nous ne pouvons rien dire ; nous ne savons de lui que ce que le Christ en dit et il en dit fort peu et de manière très peu dogmatique : il est un Dieu d’amour et de miséricorde.
Quelque part, Guillemin a continué de croire en ce Dieu de Jésus.
Intérieur de Notre-Dame au lendemain de l’incendie
En complément, la lettre d’information des éditions Utovie
Sur ce sujet, il nous semble utile de reprendre la lettre d’information de Jean-Marc Carité – Directeur des éditions Utovie, rédigée il y a quelques jours, pour, à la fois, exprimer son propre témoignage au sujet de l’engagement d’Henri Guillemin sur cette question, manifester son opinion sur les dérives de l’institution catholique et rappeler trois ouvrages importants d’Henri Guillemin dont L’affaire Jésus en nouvelle édition augmentée.
« Malheureuse Eglise » ?
De son parcours spirituel et religieux Henri Guillemin n’a jamais caché son évolution, ses doutes, ses certitudes.
Chrétien de gauche (il fut du Front Populaire au côté de Marc Sangnier et de mon père, Maurice, avec qui il travailla aux premiers Témoignage Chrétien), il ne renia jamais cette dimension essentielle de sa personnalité. Ce qui le rapprocha d’ailleurs de François Mitterrand.
L’Eglise catholique (dont il tenta jusqu’au bout de croire qu’elle pouvait retrouver ses origines chrétiennes), aujourd’hui patauge dans les marécages les plus sordides et l’absolution donnée par le Pape François au condamné Barbarin montre bien à quel point cette institution se sent toujours au-dessus des lois humaines et continue de les mépriser.
C’est dans son livre posthume « Malheureuse Eglise » qu’Henri Guillemin exprime, à la veille de sa mort, son sentiment profond d’incompréhension et, quasiment, d’hallucination, devant la manière dont cette Eglise nie la réalité, quand bien même elle est prouvée par la justice.
Encore, à l’époque n’avait-il pas eu connaissance des développements actuels sur la perversité et l’obscénité de ses dérives pédophiles… Quel cri d’indignation aurait-il lancé alors…
Henri Guillemin n’était pas, on s’en doute, en odeur de sainteté dans les cuisines du Vatican. Son témoignage, ici, en est d’autant plus accablant.
Jean-Marc Carité
Depuis un certain temps, ce qui se préparait en moi – assez largement à mon insu – s’est carrément « déclaré » dans mon esprit : une « passion de comprendre » ma foi chrétienne elle-même, en inventoriant son contenu, ses structures et la consistance de ses éléments…
J’ai donc, à mon tour – mais sans rompre, catholique pratiquant, fidèle à la messe du dimanche, l’été, dans cette région de la Bourgogne Sud, où les statistiques confirment que si, à Mâcon même, dans la vieille ville, les « fidèles » avoisinent encore les 10 % de la population, dans mon coin rural, ils atteignent à peine 2 % –, j’ai donc étudié, un par un, les « articles de foi » qui constituent la doctrine de la « Sainte Eglise catholique, apostolique et romaine », passant du « difficile à « l’impraticable ».
Les pages finales de mon livre sont bien celles que j’ai écrites les dernières, ayant mis du temps à repérer ce qui a conduit l’Eglise là où elle en est.
Henri Guillemin
En fin de parcours, j’ai voulu dire une bonne fois, brièvement mais clairement, ma pensée sur ce Nazaréen dont le passage parmi les hommes (d’Occident, tout au moins) n’aura pas été sans conséquence. Dans ces pages, en somme, l’aboutissement d’un demi-siècle – et plus – de lectures, réflexions, ruminations ; d’expériences aussi.
Quelque chose comme un témoignage testamentaire.
Je sais très bien que n’a vraiment guère d’importance ce que peut dire à ce sujet quelqu’un qui n’a jamais été un créateur, mais un simple commentateur, au surplus, comme tel, très contesté. Pourtant je me risque. Dans l’espoir d’aider peut-être, avant de mourir, quelques esprits – de jeunes esprits surtout – guettés par la tentation, trop explicable, de l’« à quoi bon ». C’est ma seule justification.
Henri Guillemin
Il se trouve que j’ai eu la chance de voir d’assez près, en 1939-1940 d’abord, à Bordeaux, puis entre 1945 et 1963, quand j’appartins au « service culturel » de l’ambassade de France à Berne, quelques personnages diversement « historiques ». La chance aussi – et très particulièrement – d’avoir très bien, ou assez bien, ou un peu connu trois hommes qui ont compté dans la vie spirituelle de ma génération : Marc Sangnier, François Mauriac, Paul Claudel (Massignon et Bernanos, je les aurai seulement côtoyés). J’y ajoute quelqu’un d’inattendu mais dont le souvenir me reste cher : Maurice Chevalier. Il ne m’a pas été indifférent non plus de voir mon parcours se croiser avec les trajectoires de Sartre, d’Etiemble, de Georges Simenon, de Romain Gary, de Pierre-Henri Simon, et du « prieur » de Taizé.Des réflexions, de-ci, de-là, des notes de lectures, des citations que j’aime relire. Au total, quelque chose comme la déposition, émiettée, d’un témoin de notre temps. »
Henri Guillemin
Note rédigée par Patrick Rödel
2 réponses sur « HENRI GUILLEMIN ET L’EGLISE »
Etant moi-même un catholique devenu athée, j’ai eu avec Henri Guillemin de nombreuses conversations au sujet de la foi, qui faisaient souvent référence au déisme de Robespierre et à l’anti-cléricalisme communeux. Nous étions finalement d’accord pour reconnaître l’un et l’autre la figure christique d’Eugène Varlin, symbole du sacrifice prolétarien de la Semaine sanglante.
Par ailleurs, la magnifique étude de l’ami Rödel est tout à fait éclairante…
Chers amis,
Chers amis,
Merci pour cet article de synthèse sur le point de vue de Guillemin sur l’église.
Ses travaux, et particulièrement son livre « Malheureuse Église », m’ont personnellement beaucoup interpellé et encouragé à faire des recherches sur l’histoire et les déviations de l’église.
Si ça vous intéresse j’ai fait un exposé ici :
https://www.youtube.com/watch?v=lqH7mTgSDeM
Bien cordialement,
Luc