Chemin de traverse n°6
Un chemin de traverse en période estivale présentant une sélection de livres que l’on recommande pour s’enrichir et passer du bon temps. Le chemin débute par Guillemin lui-même. Bien sûr, dans la perspective de notre colloque sur la Commune le 19 novembre prochain, rien n’empêche de plonger dans les ouvrages qu’il a consacré à cette importante page de notre histoire ; on recommande la trilogie : Cette drôle de guerre de 1870, suivi de L’héroïque défense de Paris (1870-1871) puis de La capitulation, ainsi que deux livres en complément L’avènement de M. Thiers (suivi de Réflexions sur la Commune) et Vallès, du courtisan à l’insurgé, dont nous avons publié sur ce site des extraits choisis et commentés. (Tous les livres qui viennent d’être cités sont publiés aux éditions Utovie)
Pour relire la recension de Patrick Rödel sur le premier volet de la trilogie, cliquez ici et sur le deuxième volet c’est là. Sur L’avènement de M. Thiers, c’est par là
1ère bifurcation
Le chemin pourrait continuer à serpenter parmi les quelques soixante-dix livres de la bibliographie de Guillemin, on n’y perdrait rien, mais une traverse tout aussi intéressante nous fait bifurquer pour nous mener aux livres et travaux réalisés par nos associés.
Ainsi, le livre que Patrick Rödel a écrit sur son oncle Les petits papiers d’Henri Guillemin (éditions Utovie), est sans doute une façon à la fois personnelle et objective, d’approcher l’homme, sa complexité et ses zones de mystère. C’est un portrait intime, parfois touchant, d’un admirateur de Guillemin qui n’hésite pourtant pas à relever ses contradictions et ses manquements. C’est aussi le récit d’un regard sur une époque, une famille, un milieu. Un livre sensible que l’on pourrait qualifier d’impressionniste pour les différents angles de lecture qu’il nous offre.
Dans un tout autre registre, j’en profite pour indiquer que Patrick Rödel vient de publier un portrait philosophique de Michel Serres : Michel Serres, la sage-femme du monde. Une ronde jubilatoire dans le monde des lettres, des mots, de la langue, rythmée en deux parties : Michel Serres écrivain et Michel Serres philosophe. Un « gloserre » de 350 mots permet de cheminer à travers la pensée et les concepts du philosophe.
Patrick Berthier a lui aussi cotoyé de près Henri Guillemin dans les années 70/80. Il lui a consacré deux livres :
Le cas Guillemin, (éditions Gallimard 1979). Un livre d’entretiens.
Guillemin, légende et vérité (éditions Utovie). Un essai en forme d’enquête qui vise à déméler le vrai du faux dans l’écheveau des commentaires contradictoires générés par la démarche et les engagements de l’écrivain.
Deux livres recommandés pour qui souhaite aller plus loin pour comprendre l’écrivain et l’historien, l’intellectuel engagé et le militant de la vérité historique, le passionné des trajectoires terriblement humaines et l’intranquille face à la question métaphysique.
Patrick Berthier a par ailleurs entrepris un travail des plus intéressants. Un chantier colossal. Retranscrire les 98 chroniques littéraires qu’Henri Guillemin écrivit chaque samedi entre 1937 et 1939, pour le journal La Bourse égyptienne, alors qu’il était professeur à l’Université du Caire. Ces chroniques portent sur les livres publiés à l’époque par Simenon, Sartre, Malraux, Mauriac, Céline, etc. Trois d’entre elles ont été publiées sur ce site : Quand Guillemin lisait Simenon (cliquez ici), Quand Guillemin lisait Malraux (cliquez ici), Quand Guillemin lisait Sartre (cliquez ici).
D’autres chroniques sont prévues et suivront prochainement. Je ne peux que recommander de lire les notes critiques réalisées par Patrick Berthier, mais également les chroniques de Guillemin (sur Simenon et sur Sartre, publiées avec l’aimable autorisation des éditions Utovie), pour savourer le style Guillemin.
L’ensemble des chroniques du Caire, en cours de préparation, sera édité chez Utovie.
2ème bifurcation
Notre chemin prend une nouvelle direction et nous conduit maintenant vers d’autres livres, que Guillemin aurait lus avec jubilation, des livres qui révèlent la face cachée de l’Histoire, qui tordent le cou aux mythes si largement répandus. Des ouvrages qui, en mettant au grand jour la vérité historique, démontrent le mensonge officiel.
Le dernier livre d’Annie Lacroix-Riz Les élites françaises entre 1940 et 1944 – de la collaboration avec l’Allemagne à l’alliance américaine en est un exemple parfait. C’est une démonstration implacable basée sur des faits et des archives qu’Annie Lacroix-Riz fouille et analyse scrupuleusement. Celle du fonctionnement des classes dirigeantes qui, par pur opportunisme et désir de sauvegarder leurs privilèges de classes, en arrivent, régulièrement à travers l’Histoire, à collaborer avec l’ennemi. C’est une histoire de la synarchie à l’œuvre en France avant et pendant l’Occupation. Ce livre montre de façon magistrale, comment les élites françaises, certaines que le Reich serait vainqueur, ont fait le choix stratégique de la défaite, celui de composer avec lui pour conforter leur position sociale dominante. Et dès fin 1941/début 1942, voyant le vent tourner, ont retourné leur veste pour se placer sous la tutelle américaine plus solide. Si l’on veut connaître la réalité de cette période de notre histoire nationale et si l’on veut comprendre notre système politique actuel, les manigances de nos élites d’aujourd’hui, la situation de l’Europe, alors ce livre est un outil précieux. L’ouvrage de A. Lacroix-Riz est sorti fin avril 2016. A ce jour, aucun écho, nulle recension dans les medias. Quand un livre aussi sérieux suscite une telle omerta, cela en dit long sur la situation actuelle.
Pour celles et ceux que la question allemande intéresse, il faut plonger dans le chef d’œuvre de Ernst Von Salomon Le questionnaire, que les éditions Gallimard ont eu la très bonne idée de republier.
Le questionnaire, paru en 1951, alors que l’Allemagne de l’Ouest vivait encore sous le régime du Statut d’Occupation est apparu, à sa sortie comme un livre politiquement incorrect. En effet, il nous apprend que dès 1945, les treize millions d’habitants de la zone sous contrôle américain sont soumis à un long questionnaire de 131 questions aussi incongrues que futiles, censées mesurer leur degré de compromission avec le nazisme. Dans ce long roman, l’auteur décortique ce fameux questionnaire élaboré par les bureaucrates américains pour en dévoiler la supercherie, raconte sa propre vie, dépeint la réalité de la société allemande après-guerre et dénonce l’imbécillité des vainqueurs. Il montre en effet qu’ils ne valaient pas mieux que les vaincus et dénonce les injustices et les mauvais traitements infligés aux Allemands. On pense immédiatement à Automne allemand de Stig Dagerman.
Et pourquoi pas continuer sur le même sujet par un autre livre qui tord sèchement le cou à deux mythes historiques fabriqués par les dominants pour servir leurs intérêts.
Wolfram Wette est professeur d’Histoire contemporaine à la Faculté de Fribourg et professeur honoraire de l’Université russe de Lipezk. En 2002, après quelques difficultés, il publie Les crimes de la Wehrmacht. Deux mythes sont ici abattus. Le premier est relatif à l’idée communément admise selon laquelle l’armée allemande (la Wehrmacht) a combattu durant la Seconde Guerre mondiale sans être impliquée dans les atrocités commises par les SS. Il y aurait eu d’un côté les sales nazis et de l’autre la belle armée régulière. C’est faux. C’est ce que prouve Wolfram Wette, expliquant que la propagande nazie a embrigadé des millions de soldats pour des actes d’une sauvagerie et d’une brutalité rares. Cette légende d’une Wehrmacht « propre » s’explique par le contexte de la Guerre froide et surtout par la nécessité de réhabiliter à tout crin l’Allemagne vaincue au nom des intérêts géopolitiques américains. Le second mythe qui s’écroule touche au fait, également largement répandu, que sur le front de l’Est, la barbarie était le fait des soldats russes, les allemands restant dans le militairement correct. W. Wette apporte la preuve qu’au moment de l’invasion de l’Union soviétique, les responsables de la Wehrmacht avaient bien conscience de participer à une guerre d’extermination et que les militaires ont contribué à la Shoah.
Ultime bifurcation
Notre chemin arrive à son terme et débouche sur la mer, symbole du recommencement, où tout peut être imaginé. Alors, période estivale oblige, en guise de conclusion, et à titre tout à fait exceptionnel, je m’autorise à citer deux derniers livres qui n’ont pas de rapport avec Guillemin. Simplement, leurs auteurs sont issus des pays où j’ai choisi de séjouner cet été.
Le premier : Pas facile de voler des chevaux du norvégien Per Petterson. Un roman d’apprentissage travaillé par le drame et par une très grande émotion, à l’image de la nature norvégienne, tantôt implacable tantôt généreuse.
Le second : Un été avec Kim Nowak du suédois Hakan Nesser. Si c’est un polar, il est rudement décalé. Et l’histoire d’amour singulière sous-jacente ajoute un autre suspens.
J’espère que ces quelques titres vous procureront tout le plaisir souhaité pendant ces vacances. Ce sont des livres généreux. Ce sont des amis, des livres-amis.
Au nom de toute l’équipe des Ami(e)s d’Henri Guillemin, je vous souhaite un bel été. Nos billets d’actualité reprendront à la rentrée. Vous pourrez continuer à lire les extraits choisis et commentés du dernier volet de la trilogie Guillemin sur la Commune, apprécier de nouvelles chronique du Caire, sur Céline, Mauriac, etc…, découvrir les interviews des intervenants au colloque, parcourir de nouveaux chemins de traverse et découvrir d’autres auteurs contemporains dans l’esprit de Guillemin… et plein d’autres informations inédites sur Henri Guillemin.
Une annonce en forme de clin d’œil : dans quatre mois, se tiendra le colloque « Henri Guillemin et la Commune – le moment du peuple ? »
Qu’on le dise Urbi et Orbi !
Devoirs de vacances rédigés par Edouard Mangin