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Chemin de traverse n°22 : Perversus de Claude Froidmont


Editions Weyrich – 368 pages – 17€

Claude Froidmont est un de ces amis de rencontre d’Henri Guillemin qui ont vu leur vie changée par les échanges qu’ils ont pu avoir avec lui. Guillemin avait cette capacité d’écouter et de reconnaître la parenté qui pouvait l’unir à ces jeunes gens pleins de passion. Claude Froidmont avait 27 ans quand il découvrit Guillemin. Celui-ci fut pour lui « ce pourvoyeur d’imaginaire » qui, non content de devenir le fidèle correspondant d’un gamin ignorant, le tira d’un coup de sa médiocrité, en le propulsant dans un monde auquel rien ne le préparait.

J’avais toujours rêvé d’écrire, continue Froidmont, il me laissa entendre que cet horizon était atteignable. J’avais subi les études que j’ai dites, il me montra du doigt une autre direction, où il ne s’agirait plus de disséquer les textes, mais d’entrer dans la chair des vies et de voir comment tous ces hommes, ou ces écrivains, mais c’est la même chose, s’étaient comportés sur les grandes questions humaines qui nous requièrent tous. Ce fut une bénédiction. (Chez Mauriac à Malagar, p.33).
Guillemin aurait été heureux de voir son protégé suivre ses conseils.

Nous avions rendu compte, ici-même, du très joli récit que Claude Froidmont nous avait donné des mois qu’il avait passés à Malagar, habitant solitaire de la vieille maison mauriacienne qu’il faisait, le jour, visiter (Chez Mauriac à Malagar, Les impressions nouvelles éd.) Claude Froidmont est né à Liège ; il vit et enseigne dans un collège girondin.
Il nous revient avec un roman aux éditions Weyrich.

Perversus ou l’histoire d’un imprimeur liégeois au temps des Lumières

Un roman picaresque et par son volume et par le foisonnement des histoires adjacentes autour de l’axe principal que constituent les métamorphoses de Guillaume Roosen, petit employé d’un imprimeur liégeois, orphelin de père, soumis à une mère qui ne cesse de le châtrer dans ses désirs d’émancipation, marié, sans très bien savoir ce qu’il doit faire pour que le mariage soit consommé, à une triste copie de sa mère, en un aventurier coureur de filles, piétinant allègrement les conventions sociales, fasciné par les idées qui président à l’Encyclopédie, taraudé par le désir d’écrire.

Un roman parce qu’ « il n’y avait que cela. C’était ce qui convenait à Guillaume. C’était là qu’on pouvait tout dire. » (p.280).

Il y a, sur le désir d’écrire, les ruses pour n’y pas céder, les folies qu’il engendre quand on s’y laisse aller entre exaltation et dépréciation, surestimation et dénigrement des pages vraies qui sortent du cœur même de Claude Froidmont. Pour ce qui est des imprimeurs/éditeurs, aussi, leur complaisance face à la médiocrité, à la nullité de ceux qui les payent, la transposition avec les déboires que nous connaissons est flagrante.

Guillaume se fera imprimeur pour que paraisse son œuvre, Histoire de Guillaume et Perversus, ce texte qui l’accompagne depuis le début et qui est la prémonition du travail des Encyclopédistes.

Une reconstitution très vivante

Claude Froidmont nous donne une reconstitution très vivante du contexte historique et social de ce XVIIIème siècle, une description fidèle du foisonnement d’idées et de sentiments contradictoires, jusqu’au cœur même de ses personnages, qui est la marque des périodes de grands changements. L’époque n’est plus aux intrigues simples quand couvent les forces qui vont bouleverser l’Europe.

Guillaume a beau tarder à découvrir plaisir et lucidité, il se rattrape, sans qu’on perçoive toujours comment il va parvenir à se sortir des mauvais pas où il s’engage. Il a, pour le tirer d’affaires, quelques présences tutélaires et paternelles qui veillent sur lui.
Et le lecteur se laisse prendre à ce tourbillon d’événements, entraîné par le style même de Froidmont dont l’élégance s’adapte au mieux à l’esprit du temps.

« Guillaume pardonnait tout et à tous. Il se sentait aussi vivant que quand son père le regardait faire ses devoirs, dans le silence de son recueillement. Cette admiration le remplissait d’assurance et de dignité, et elle le portait, aujourd’hui encore, à croire à l’impossible.
Imprimeur et écrivain, voilà ce qu’il était, voilà ce qu’il serait pour toujours. Et il y aurait un grand livre, bientôt, qui donnerait un prolongement à son rêve. Et on l’accueillerait, à bras ouverts, à Paris, pour ce qu’il était. »

La rage d’écrire est bien la ligne directrice de ce livre.

Patrick Rödel

Nos collaborateurs publient

Editions Michel Calmejane – 116 pages – 20 €

Paysages avec tombes – Un héritage protestant en Aquitaine est le dernier ouvrage de Patrick Rödel, réalisé avec le photographe Victor Cornec.

Dans une bibliothèque, cet ouvrage se placerait sur le rayon consacré aux Beaux Livres, aux livres d’Art. Au cours d’une centaine de pages, qu’on feuillette aussitôt, on est d’abord happé par les somptueuses photographies en noir et blanc très contrasté, parmi lesquelles circule le texte de P. Rödel mis en page comme un texte poétique.
On comprend alors que ce livre va exiger plusieurs lectures. Peut-être trois.

On commence par les images, car l’image est toujours plus immédiatement captivante que l’écrit. Ce sont donc les photographies qu’on découvre en premier, qu’on regarde et dans lesquelles bientôt on s’absorbe. On admire leur force d’évocation jusqu’à parfois les ausculter pour certaines.
Elles montrent des tombes abandonnées, seules, isolées, en plein champ sous le soleil, ou cachées par la végétation des sous-bois, mais toujours seules et uniques. Petits temples mystérieux et non pas simples stèles plates à peine remarquables, elles sont délabrées, cassées, austères, nues, à l’opposé du décorum des cimetières catholiques. Rares sont celles qui sont restées vaillantes face au ravage du temps.

Et il y a les arbres. Presque toujours de grands arbres majestueux autour d’elles. Quand ils sont absents, un épais fouillis végétal, sauvage les enveloppe « transformant ces modestes monuments en reproduction miniature des temples d’Angkor » ; car la sylve est autant le sujet des photographies que le minéral des tombes abandonnées. D’où le titre.

Photo Victor Cornec – page 17

Puis c’est au tour de la lecture du texte. Il ne s’agit pas d’un commentaire, ou d’une analyse sémiologique de chaque photo. Pas du tout.
Le texte est une méditation, sous forme de poème en prose – parfois quelques lignes sur la page, à droite ou à gauche, parfois en regard d’une photo, parfois seul, au centre ou en décalé, mais toujours posé de façon délicate.

Et puisque la nature est omniprésente, sauvage, vierge (aucun personnage n’est représenté, pas même son ombre), que le règne végétal et minéral s’entrelacent de photos en photos, on ressent le mouvement, la liberté d’un texte qui circule en virevoltant entre les photos comme la végétation qui sillonne autour des tombes et on se dit alors que le troisième règne, l’animal est lui aussi bien présent, à travers la lecture d’un texte qui ne fait que circuler et voleter comme un papillon parmi les photographies.

« Curieuse rencontre, en tout cas, qui fait naître comme un léger malaise » car « depuis quand les tombes s’échappent-elles des murs protecteurs des cimetières ? » lance, non sans humour, Patrick Rödel au début de l’ouvrage.

A partir de là, la méditation va s’accompagner d’une enquête pour comprendre la raison de ces blocs en plein champ. Commence une rêverie éveillée se tressant autour de la singularité des sites comparée aux cimetières orthonormés catholiques, autour de la puissance esthétique des scènes ouvrant la réflexion sur l’Au-delà et surtout, autour du salutaire rappel historique de l’incroyable persécution dont furent victimes les protestants.

De la boucherie de la Saint Barthélémy (nuit du 23 au 24 août 1572, des dizaines de milliers de morts à Paris et en province, sans commune mesure avec la Terreur de 1793 dont on nous rebat les oreilles), en passant par la valse-hésitation de l’Edit de Nantes, jusqu’à l’accalmie enfin venue à partir de 1789, Patrick Rödel, sans se départir de son parti pris poétique, détaille les souffrances, les horreurs et les crimes subits par « les Religionnaires, les tenants d’une Religion Prétendument Réformée, RPR » pendant des siècles.
Et l’on comprend alors pourquoi ces tombes sont posées ici et là comme d’étranges monolithes : les cimetières leurs étaient interdits.

Une troisième lecture ? Pourquoi pas. Ne serait-ce que pour goûter au plaisir de découvrir le jeu du texte avec les photos et s’apercevoir ainsi d’une chose passée inaperçue au début : ils se font sans cesse, l’air de rien, de continuels et discrets clins d’oeil.

Edouard Mangin

Photo Victor Cornec – page 50