Avec Napoléon et George Sand (et Vigny dans une large mesure), Benjamin Constant est de ceux, finalement moins nombreux qu’on ne l’a dit, devant qui Guillemin a un réflexe de recul. Dans l’avant-propos de ce livre de 1958, il parle de « ces réflexes que l’on a, viscéralement, devant les êtres, selon ce que leur abord, leur regard, leurs paroles et leurs gestes, nous révèlent d’eux-mêmes », et bien sûr ces réflexes peuvent être enthousiastes.
Dans le cas de Constant, non : ce jeune Suisse, à Paris, sous le Directoire, pousse l’arrivisme et l’opportunisme jusqu’à la délation, en signalant aux autorités le curé Oudaille, prêtre réfractaire de Luzarches.
Guillemin, qui a découvert aux Archives nationales le document accusateur, ne peut qu’en faire le point fort d’un réquisitoire : « quand Benjamin Constant, l’homme de la liberté, envoie au bagne, en tapinois, un prêtre qui le gêne […], je n’arrive pas, c’est vrai, à branler doucement de la tête ».
Si, pour l’historien Bernard Gainot, « l’ouvrage s’apparente davantage à une entreprise de démolition qu’à une étude de biographie historique », pour le lecteur actuel que Guillemin passionne, c’est au contraire un livre typique de sa façon de lire l’histoire à travers les hommes, admirables ou non, qui la font.