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Un article anonyme de Guillemin sur Mauriac (1945)

 

Détail de La Création d’Adam- de Michel-Ange – 1508-1512 – fresque 280 x 270 cm – Chapelle Sixtine – Vatican

La découverte de l’énigme

Henri Guillemin, vers 1983, à l’époque où je commençais à travailler à l’établissement de la première version de ma bibliographie de ses écrits (Soixante ans de travail, Utovie, 1988), m’a confié une étonnante liste des titres de ses articles, qu’il avait tenue à jour entre les années 40 et les années 70.
Écrite en caractères minuscules, au crayon, et par endroits déjà illisible à cette époque, cette liste était constituée d’une succession de quarts de page remplis à ras bord, un défi à la patience et à l’acuité visuelle. Mais cette liste, en ces temps anté-informatiques, m’a permis de commencer à bâtir ma propre liste.

Je voudrais aujourd’hui en commenter un élément non pas inédit, mais qui n’a encore, sauf erreur, été commenté nulle part.

Un exemple de manuscrit d’Henri Guillemin. Il s’agit d’un manuscrit inédit qui a été le sujet d’une « newsletter » le 12 février 2016. Cette « newsletter » a été lue environ 15 000 fois ! Pour relire cette lettre d’information, cliquez ici

Aujourd’hui, un lecteur curieux de lire un article du Journal de Genève peut – s’il sait déjà où chercher – le trouver sur internet (sur le site suisse délicat à manier : www.letempsarchives.ch).
Il y a trente-cinq ans, j’ai dû me contenter de la liste fournie par Guillemin et de la confirmation partielle, par la rédaction du journal contactée postalement, des titres des articles et de leurs dates.

Pour quelques cas douteux, j’ai passé une demi-journée glaciale dans les caves de l’annexe de Versailles de la Bibliothèque nationale, où étaient alors conservés les quotidiens étrangers, mais l’article dont je vais vous parler était passé à travers les mailles de mon filet jusqu’à maintenant : il figure, certes, dans Soixante ans de travail (p. 42), mais réduit à son titre, « Mauriac », et à sa double date, 25 novembre et 23 décembre 1945.
Ce qui fait que cet article sur Mauriac se compose en deux parties, deux textes distincts mais ne formant qu’un seul ensemble consacré à l’écrivain.

Annexe de la Bibliothèque de Versailles – (photographie Agence Meurisse)

Dans la seconde version de la bibliographie (Une vie pour la vérité, Utovie, 2016, p. 30), je précise que cet article n’est pas signé, ou plus exactement est signé ***, mais que, comme il est dans la fameuse liste écrite au crayon, il est bien de Guillemin.

À l’avoir (enfin) lu, je confirme : il est de Guillemin, et on pourrait même dire : il ne peut être que de Guillemin.
Reste à savoir ce qu’il contient, et pourquoi il n’est pas signé.

L’enquête est lancée : l’étude des deux parties de l’article

Je vais commencer par la seconde question, à la fois parce qu’elle est facile à résoudre (au moins en partie) et parce qu’elle a faussé mon attente.

Le premier article, paru dans le supplément littéraire du numéro du samedi-dimanche, comme tous les textes de Guillemin pour le Journal de Genève, commence ainsi :

« En 1926, dans Le Jeune Homme, Mauriac écrivait avec mélancolie : “Qu’attendre d’un homme après cinquante ans ?”. Il venait alors d’atteindre la quarantaine. Il a soixante ans, à présent. Et nous pouvons mesurer à quel point sa force a grandi ».

Guillemin évoque les deux chefs-d’œuvre qui ont valu à Mauriac l’entrée à l’Académie en 1933 (Thérèse Desqueyroux et Le Nœud de vipères), la pièce Asmodée (1938), qu’il a vue et analysée avec enthousiasme (Chroniques du Caire, Utovie, 2019, p. 124-129) ; suivent Souffrances et bonheur du chrétien.
 
« ce profond livre, trop peu connu ; les trois volumes du
Journal ; enfin et surtout, depuis le mois d’août 1944,
cette espèce de dépliement, d’envergure enfin totale : Mauriac engagé ».

Ainsi se termine le premier paragraphe.

François Mauriac en 1926 (Photo Getty)

Et je me dis : voilà pourquoi l’article n’est pas signé. Guillemin veut décrire l’entrée de Mauriac en politique et, pour des raisons évidentes, lui, diplomate de fraîche date (il vient de prendre son poste d’attaché culturel à Berne), ne veut pas laisser apparaître son nom.

Erreur sur toute la ligne, ou presque.
Oui, certainement, Guillemin a voulu signer sans signer, mais les raisons de sa discrétion ne sont pas politiques. Elles ne sont, d’ailleurs, pas faciles à deviner, car tous les autres articles de Guillemin pour le Journal de Genève en 1945 (presque une dizaine) sont signés.

Il faut lire l’article en entier, et même le relire, et identifier, autant que faire se peut, les citations dont il est truffé, pour comprendre quel est l’«engagement» dont parle Guillemin.

J’avais cru à une signification politique à cause d’un article antérieur sur Mauriac, qu’il faudra aller lire un jour en Suisse pour savoir exactement ce qui s’y trouve : « Le silence de Mauriac », publié le 18 mai 1944 dans un périodique de Neuchâtel intitulé Curieux.
L’article du Journal de Genève, un an et demi plus tard, semble être une réponse à ce « silence ».

En effet, sans jamais le dire explicitement, Guillemin réagit en novembre et décembre 1945 à la publication récente du dernier livre de Mauriac, Le Bâillon dénoué, sous-titré Après quatre ans de silence. Il s’agit de la reprise en volume des articles publiés par Mauriac depuis août 1944 dans Le Figaro et dans Carrefour.
La rupture du silence est, évidemment, politique au sens large du terme, patriotique si l’on préfère.

François Mauriac en 1945 

Eh bien ce n’est pas de ce côté que s’oriente l’article de Guillemin, pas du tout.

Mon étonnement, à le lire, a été de constater qu’il prenait la suite exacte des articles écrits par lui sur Mauriac dans La Bourse égyptienne : sur Journal II, sur Asmodée, sur Les Chemins de la mer (voir Chroniques du Caire, p. 69-72, 124-129, 198-203).

Les deux mêmes thèmes s’y développent : le grand écrivain (premier article), le croyant (second article).

Pour ce qui est de l’écrivain, retenons d’abord ce passage caractéristique :

« […] cet écrivain a réussi ce qui n’est accordé qu’à un petit nombre, à un très petit nombre de prédestinés ; il a jeté dans le monde des créatures de songe et qui ne cesseront plus, cependant, d’y vivre. Comme Rastignac ou Vautrin, comme Jean Valjean, comme Emma Bovary, Thérèse Desqueyroux, et la femme qui est Genitrix, et M. Couture, ces personnages inventés respirent maintenant parmi nous, à côté de nous. Ils sont adjoints à notre univers. Ils nous accompagnent ; ils font à notre pèlerinage une escorte invisible. Espèce d’anges sombres, ou d’anges noirs, fantômes qu’à jamais nous ne pourrons plus répudier. »

Suit un autre développement, destiné à combattre l’idée réductrice que Mauriac le Bordelais serait un « écrivain régionaliste ».
Il faut lire lentement l’extrait qui suit, car derrière sa formulation un peu complexe c’est le meilleur Guillemin critique littéraire intimiste qui s’y révèle :

« S’il [Mauriac] a situé presque tous ses récits dans le pays qui est le sien, cette terre et ces choses, quelles que soient la force et la passion avec lesquelles il y adhère, s’il sait nous en fournir la vision et comme le contact charnel, […], attention, tout cet environnement qui ne se contente pas de nous assiéger, mais qui nous pénètre, toute cette réalité obsidionale et contagieuse, pour François Mauriac (et pour nous grâce à lui) elle se transfigure insensiblement dans l’acte même qui nous la donne ; concrète, elle assume un visage de mystère, elle se charge de signes et d’appels, elle parle un langage de silence, soustraite au poids comme à la durée ; et la terrasse de Malagar que le soleil dévore se détache de l’espace et du temps pour rejoindre la terrasse brumeuse d’Elseneur ; et la mer au-delà des dunes est celle où Rimbaud voit l’éternité. »

Cette double envolée vers Hamlet et vers cette citation de Rimbaud plus tard choisie par Godard pour conclure Pierrot le fou, voilà (comme quand on lit les Chroniques du Caire) de quoi faire regretter que Guillemin ne soit pas resté critique ; quand il aimait un écrivain, il avait le génie de deviner ses secrets, non pas ceux de sa vie privée comme il l’a fait ensuite, mais ceux de son art.

François Mauriac en 1952 lisant le manuscrit d’Arthur Rimbaud « Une saison en Enfer »

Une dernière preuve dans le premier article, cette définition du style de Mauriac :

« […] les termes possédant à la fois cette richesse plénière issue de leur extrême justesse et de leur enracinement étymologique, et cette pulpe aussi, cette suavité poignante qui font qu’à les prononcer seulement tout ce qu’ils contiennent de délices nous est communiqué ; et, quittant les mots eux-mêmes, si l’on voulait considérer de près leur groupement, leurs connivences, le glissement où ils s’ordonnent – fleuve de miel ou fleuve de feu – on discernerait tout un jeu des césures, des rapports de timbres, des accentuations, tout un agencement très subtil, entièrement exempt de rouerie, mais qui n’en est pas moins cette science non savante, ce discernement quasi organique qui sont le propre de l’écrivain-né, de l’homme qui a reçu le don ».

Voilà donc pour ce qui concerne le premier article.

Mais, disons-le franchement, le second article, sur Mauriac homme de foi, ne me paraît pas aussi réussi.
Aussi sincère, certainement. Et admiratif. Et puis il y a, là aussi, des réussites d’expression, par exemple lorsque, au terme d’une comparaison entre « l’exultation » de la foi de Claudel et la « plainte » de celle de Mauriac, Guillemin définit la présence de « l’Esprit » chez Mauriac par cette image :

«C’est le grattement au fond de la sape, les coups sourds, cet appel, qui n’en finit pas, de mineur enseveli».

En fait, ce qui rend difficile la lecture de ce second article, c’est que Guillemin (autre raison, sans doute, de l’anonymat dont il se protège) attaque sans les nommer – sauf Ramon Fernandez – un certain nombre d’athées ou d’irréligieux qui pour lui ont contribué, depuis avant la guerre, à l’abaissement de la France, alors que Mauriac, lui, a suivi le chemin inverse :

« Vint une heure solennelle, dans le milieu de sa vie, où Mauriac accomplit son option, comprenant que Dieu ne se contente pas de se donner à nous mais encore il nous donne à nous-même ».

C’est cela, le Mauriac « engagé » du début du premier article : le croyant déclaré, offensif, qui ne se dissimule plus, et qui montre la route contre « cet humanisme d’illusion et d’imposture que d’aucuns dressaient devant lui naguère dans un fracas avantageux et dont la vie s’est chargée de révéler l’aboutissement » – mais qui ? Brasillach ? Gide ?
On regrette que, puisqu’il ne signait pas, Guillemin n’ait pas donné de noms ! Il nous manque assurément des clés pour tout comprendre, et il faudrait plonger dans tout Mauriac, dans sa correspondance, dans ses nombreux articles, pour avoir une vue plus nette des choses.

La Vocation de saint Matthieu – Caravage vers 1600 –  Huile sur toile – 322 × 340 cm – Église Saint-Louis-des-Français – Rome 
« En passant, Jésus vit Lévi, le fils d’Alphée, assis au bureau de la douane, et lui dit : Suis-moi. Et, se levant, il Le suivit. » Marc II, 14
Le Christ, dans le même geste qu’Adam dans la fresque de la « Création » de Michel-Ange, prolonge la création de l’homme par Dieu, en vocation à suivre son appel.

 

L’enquête progresse : une découverte !

Une seule certitude : l’anonymat n’est absolument pas dû au fait que Guillemin critiquerait Mauriac ; au contraire, il l’admire plus que jamais, à la fois comme artiste et comme chrétien.

Mais surtout, ce que je trouve passionnant à bien lire ces deux articles, et surtout le premier, c’est l’évidente (mais peut-être pas consciente) identification de Guillemin à son aîné.

Je vais vous proposer d’autres extraits, dans lesquels je vous invite à remplacer mentalement « Mauriac » par « Guillemin ».
Il me semble que la superposition est quasi parfaite, si on rapproche ce que Guillemin dit de Mauriac de ce qu’ont dit de Guillemin ses admirateurs – et de ce que je crois que nous pouvons percevoir de lui quand nous le lisons (ou l’écoutons, ou le regardons) sans préjugés.

Guillemin dit que Mauriac a une « prise sur nos cœurs », et n’est-ce pas ce qui se passe quand Guillemin nous parle ? Oui, et c’est bien ce qui agace ceux qui le détestent !

Premier exemple. Guillemin parle de la « technique [du] romancier », de ce qu’il appelle le « tempo » de Mauriac.

« Cette foulée rapide, […] cette hâte, cette impatience, ce bondissement dominé mais toujours prêt, cette intolérance des lenteurs, cette détestation du remplissage, cette sorte d’incapacité de poursuivre dès que l’homme, en lui, ne participe plus de tout son être à ce qu’il écrit, cet état d’éveil à l’égard des procédés, ce refus des automatismes, cette vigilance presque fiévreuse, cette passion de l’authentique ».

Vous comprenez, maintenant, ma proposition de lire de telles lignes comme si elles parlaient de Guillemin et non de Mauriac ?

Je reprends le texte :
« […] cette tension et ce feu caché, c’est cela, précisément, dans l’art de Mauriac, qui nous gagne et qui nous brûle. Le feu n’a jamais besoin d’être prouvé. Il se fait éprouver tout seul. Le “temps” de François Mauriac romancier n’est pas celui des romanciers anglais ou russes ; sa “durée” n’est pas la leur. Ils opèrent par infiltration, et lui par conquête ; non par la séduction mais par le rapt. S’ils sont les spécialistes de l’envoûtement, il est celui de l’embrasement ».
Oubliez les Anglais ou les Russes, gardez « l’embrasement », la « tension ».

Autre exemple. Guillemin parle de l’impossibilité de comprendre le génie de Mauriac de l’intérieur :

« Pour en deviner la substance il faudrait pouvoir procéder comme Mauriac a fait avec Jean Racine, avec Blaise Pascal. Non par la route des professeurs, celle qui prétend aller du dehors au-dedans, et qui n’est souvent qu’une impasse ; l’autre voie, royale : la méthode de l’irruption. Elle n’est, hélas, permise qu’aux êtres du même sang, aux égaux. Notre lot à nous autres, c’est le tâtonnement et le commentaire ».

Exactement ce qu’il disait sans cesse de sa propre méthode, essayer de comprendre, humblement.

Spectaculaire rencontre du feu et de l’eau, la lave du volcan Kilauea se déverse dans l’océan –Hawaï – mai 2018

Même dans le second article, qui met au centre de tout Mauriac « le royaume de Dieu, la présence divine », nous savons bien, les croyants ou incroyants que nous sommes tous, que chez Guillemin aussi, cette présence est centrale, au sein même de tous les doutes qu’elle apporte avec elle sur l’Église, sur les dogmes, etc.

Ce qui me frappe, c’est encore le parallèle entre le discours de Guillemin sur Mauriac, en 1945, et son discours sur sa propre perception des choses plus tard.

Un autre exemple. En 1945 Guillemin montre Mauriac luttant contre le matérialisme contemporain, contre « cette grande rumeur des propositions que les docteurs de ce monde ont multipliées dans ce siècle, et ces conseils que leurs aînés prodiguaient aux jeunes écrivains : qu’il importe avant tout d’être soi, de cultiver sa différence ; que l’humanisme véritable est de ne renoncer à rien, d’épanouir nos virtualités ; qu’au reste la personne n’est qu’un leurre, que nous sommes uniquement carrefour, lieu de passage, existence insubstantielle, que notre permanence consiste en notre dispersion ».

En lisant ces mots j’ai aussitôt pensé à ce que Guillemin, dans nos conversations de 1977, me disait du structuralisme :

« […] ce qui m’a navré de plus en plus chez les structuralistes, c’est l’interprétation philosophique qu’ils ont fini par donner à leurs idées. […] les structuralistes en sont venus, premièrement, à nier qu’à l’intérieur d’un discours il y ait une substance intellectuelle, à dire que ce discours n’a de valeur que réduit à des rapports de langage, de timbres, de phonétique ou de composition, bref à vider le texte de son sens – ça me paraissait déjà un suicide de la pensée. Et, deuxièmement, ils se permettent de plus en plus de dire qu’il ne peut y avoir d’expression dans un langage, puisque l’homme n’a rien à exprimer, n’étant lui-même qu’un carrefour éphémère de réflexes et de reflets ; cela revient à nier l’identité de la personne humaine, à la vider de toute substance. Et cela les structuralistes y ont été entraînés, me semble-t-il, par leur mouvement même. C’est en tout cas un mouvement semblable qui a conduit le nouveau roman à s’intéresser à l’objet et non plus à la personne, parce que les personnes, selon lui, n’existent pas, ne sont que des compositions catégorielles, tandis que l’objet existe. Eh bien, en arriver là c’est vraiment pour moi toucher le mur du fond de la littérature » (Henri Guillemin tel quel, p. 239-240).

Dans ce que me disait là Guillemin, il n’est pas question directement de la foi, mais si vous lisez la suite de l’extrait que je viens de reproduire, vous verrez sans étonnement qu’on y vient presque tout de suite : le structuralisme ou le nouveau roman, pour Guillemin, nient la profondeur de l’homme et sa raison d’être sur terre, comme le faisaient avant 1939 les professeurs de jouissance auxquels s’opposait Mauriac.

On voit la complexité, finalement, de ce que soulève cet article : il dépend entièrement du contraste que perçoit Guillemin entre l’immédiat avant-guerre et l’immédiat après-guerre ; pour lui, que Mauriac s’engage de plus en plus ouvertement comme chrétien est une pierre de touche de la construction d’un monde renouvelé.

Est-ce une des raisons pour lesquelles lui-même, déjà religieusement engagé avant 1939 (Par notre faute, ce texte capital sur l’Église, est de 1937), n’a plus cessé d’accorder dans son œuvre, dans ses conférences, de plus en plus de place au spirituel, à la destination métaphysique de l’être humain ?
Je le crois.

Mais ce que je sais, surtout, c’est que ce texte, publié dans le Journal de Genève en novembre et décembre 1945, est un des plus passionnants autoportraits précoces de Guillemin que lui-même nous ait légué, « à son insu, qu’il le veuille ou non, qu’il y consente ou non » (pour reprendre les mots de Victor Hugo, tant admiré de Guillemin, sur la tombe de Balzac, le 21 août 1850).

Henri Guillemin

La conclusion de l’enquête

En guise de conclusion, je citerai encore quelques extraits de la fin du second article, sur le fait que, « depuis 1930 environ, Mauriac est l’homme qui a dit oui ».
Oui à Dieu, mais pas seulement : oui à ce qui le mènera, lui Mauriac, à son « accomplissement » entier d’homme.

Guillemin unit quatre noms : Pascal, Péguy, Claudel, Mauriac (à cette époque, il n’a de réserves à émettre ni sur Péguy ni sur Claudel !).
Pourquoi les cite-t-il ensemble ?

« Pourquoi eux ? parce qu’on sait bien, parce qu’on sent bien que ceux-là ne trichent pas ; que ce qu’ils disent, ils sont dedans, à fond, à plein ; qu’il y a chez eux une saisie du réel, un accrochement, une lucidité, une violence aussi qui ne permettent pas de les récuser », mais qui suscitent, ajoute joliment Guillemin, « les hargnes dévotes ». Hargnes compréhensibles, étant donné « l’aversion, dès le début si nettement perceptible en Mauriac […], l’exécration des satisfaits, l’horreur des pharisiens nantis, de ceux qui s’intitulent eux-mêmes les “honnêtes gens” ».
Encore une fois, remplacez « Mauriac » par « Guillemin », ça marche !

De même pour cette citation sur le Christ :

« Beaucoup, qui croient le haïr, n’ont jamais cessé de l’aimer ; et beaucoup, qui font profession de le servir, n’ont jamais su qui il était ».

Guillemin ? non, Mauriac cité par Guillemin.

Mauriac, dit encore Guillemin dans sa conclusion, voit sa mission comme Victor Hugo voyait celle du poète.

« Oui, le poète à charge d’âmes ; oui, le poète est un témoin ; oui, il a quelque chose à dire qui nous concerne, capitalement » [ces derniers mots, avec l’adverbe à la fin, si typiques du style de Guillemin !].

Et encore ceci, sur un thème lui aussi « capital » pour Guillemin :

« Mauriac est un de ceux qui ont su tenir bon, qui ont gardé l’esprit d’enfance. Parce que c’est cela, en fin de compte, le génie, au-dessus du talent : le cœur qui se préserve et de pourrir et de durcir, l’âme en dépit de tout qui persiste à rester transparente […] ».

Ailleurs dans cet article complexe mais si riche, Guillemin écrit que « les morts même continuent d’agir, dans notre souvenir ou dans notre sang ».

Ainsi Mauriac pour lui, ainsi lui pour nous.

Note établie par Patrick Berthier

Fin mai, je commande et reçois le livre « Éclaircissements », d’occasion : un beau vieux livre comme je les aime.
Je respire son odeur, je l’ouvre…
Et en première page, je tombe sur ça : l’exemplaire du livre que j’avais commandé avait été, un jour, celui d’un ami d’Henri (un certain Jean Grossin ?) qui lui avait fait cette gentille dédicace ; et cette trace d’encre, dessinée par ce bonhomme que j’aime tant (sans l’avoir même connu de son vivant) devait aboutir un jour dans mon bureau… C’est idiot, je sais, mais je trouve ça émouvant.
(extrait du blog « Plan C pour une constitution citoyenne » – E. Chouard)

 

Les compléments de l’enquête : pour aller plus loin (N.D.E.)

Grâce à la brillante recherche menée par Patrick Berthier, nous pouvons lire, in extenso, cet article de Henri Guillemin sur son ami François Mauriac.
J’invite à le faire, car ce document parachève cette lettre d’information. Pour continuer la métaphore de l’enquête, il en donne en quelque sorte les preuves.

Pour des raisons techniques (lourdeur des documents), nous avons créé un extrait du pdf initial du Journal de Genève, ne reprenant que l’article de Guillemin. C’est écrit assez petit mais un curseur zoom équipe maintenant tous les ordinateurs. 

Pour lire la première partie de l’article cliquez ici

Pour lire la seconde partie, cliquez

Enfin, pour être complet, je rappelle nos précédentes « newsletters » sur le sujet.
L’une, rédigée par Patrick Rödel, du 24 octobre 2018, intitulée « Témoignage d’Henri Guillemin sur François Mauriac au début de la guerre ».
Pour la relire, cliquez
ici 

L’autre, citée au début de la note de Patrick Berthier, a été mise en ligne le 27 avril 2017. Intitulé « Quand Guillemin lisait Mauriac », il s’agit d’un texte comme extrait des Chroniques du Caire qui étaient alors en pleine préparation.
Pour le lire, cliquez
ici

NB. Tous les intertitres sont de l’éditeur.

Une réponse sur « Un article anonyme de Guillemin sur Mauriac (1945) »

Texte remarquable , précis et fraternel, qui nous apporte (peut-être) le meilleur éclairage que l’on peut avoir sur Guillemin .

Schlanser Gino
membre de l’association Présence d’Henri Guillemin de Mâcon

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