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Guillemin et le pape Jean-Paul II

Jean-Paul II à Longchamp en 1997

L’occasion m’a été donnée, il y a quelques jours de réviser un jugement que j’avais porté sur la haine (le mot est peut-être trop fort) que Guillemin portait à l’égard de Jean-Paul II, le pape polonais, comme il ne manquait jamais de le rappeler – et « polonais » n’était pas un compliment sous sa plume, tant l’Eglise polonaise paraissait rétrograde à beaucoup de chrétiens.

J’avais mis sur le compte de son combat contre l’Institution cette détestation. Mais j’avais trouvé saumâtre qu’au prétexte que le frère Roger de Taizé ne cachait pas son admiration pour Jean-Paul II, Guillemin ait rompu avec lui alors qu’il avait entretenu avec lui des relations si fortes et écrit sur lui des pages si remplies d’admiration.

J’avais, dans Les petits papiers d’Henri Guillemin, traduit cela comme une sorte de meurtre du Père. [Pour en savoir davantage sur l’ouvrage de Patrick Rödel, cliquez ici NdE]

Et puis, j’avais mis sa réaction au compte de ce que même ceux qui l’aimaient appelaient son sectarisme.

294 pages – Editeur : Lessius – 25 €

Cette occasion fut la parution d’un livre intitulé Le pacte des catacombes, « Une Eglise pauvre pour les pauvres », un événement méconnu de Vatican II et ses conséquences (Lessius éditions).

Un texte que Guillemin aurait adoré parce qu’il met l’accent sur la volonté de l’Eglise sud-américaine de rompre avec tout l’apparat d’un autre temps (palais épiscopaux, voitures de luxe, vêtements et bijoux d’une richesse insolente et dépourvue de signification), de recevoir les intuitions premières du Pape Jean XXIII qui voulait que le Concile mît au centre de ses préoccupations non pas des problèmes d’organisation interne mais la priorité absolue des pauvres, centre même des Evangiles.

Le pacte des catacombes est un texte qui fut rédigé et signé par un certain nombre d’évêques du Tiers Monde (Don Helder Camara, entre autres) et de la vieille Europe convaincus qu’il fallait sortir d’une conception très européo-centrée du fonctionnement de l’Eglise.

Rien d’un complot, mais simplement un rappel de ce qui avait été le souhait profond du Pape et des conséquences pratiques que cela devait avoir dans la vie concrète des évêques, non plus princes de l’Eglise, mais serviteurs de leur Eglise et des plus pauvres en son sein.
Malgré des efforts non négligeables, les signataires de ce pacte ne parvinrent pas à redresser la direction de la barque. Ils se sont heurtés à une Curie où les conservateurs étaient en position de force et n’entendaient abdiquer d’aucun de leurs privilèges.

Leonardo Boff, né le 14 décembre 1938 à Concórdia (Brésil), est l’un des chefs de file de la théologie de la libération

Les évêques sud-américains, une fois rentrés chez eux, mirent tranquillement en œuvre les changements qu’ils avaient préconisés. Cela donna naissance à un travail théologique passionnant auquel on a donné le nom de Théologie de la Libération (parmi les théologiens qui s’y attelèrent, un des plus connus est Leonardo Boff) et à la création de communautés de base qui se caractérisaient par leur proximité avec les pauvres et s’éloignaient du cléricalisme longtemps dominant.

Au cours de trois conférences réunissant les évêques à Medellin (1968), à Saint Domingue (1981) et Aparecida (1994) cette ligne fut maintenue en dépit des coups de frein que Rome tentait d’y apporter.

Je ne pense pas que Guillemin ait particulièrement été attentif à toute cette vie ecclésiale sud-américaine, mais ce qui est sûr c’est qu’il a été sensible à la reprise en main par Jean-Paul II et par le cardinal Ratzinger d’une église locale qui leur paraissait prendre des libertés insupportable avec le centralisme vatican.

Il a suffi de remplacer les évêques qui atteignaient l’âge de la retraite par des prélats tout acquis au conservatisme romain ; il a suffi aussi de condamner les théologiens de la Libération coupables de se laisser influencer par le marxisme dans la lutte que menaient les peuples d’Amérique latine contre les dictatures qui régnaient dans leur pays.

Je savais tout cela, mais je n’avais pas pris suffisamment conscience de ce que cela allait entraîner pour toute une partie du clergé, Guillemin, lui, en avait l’intuition et il faut lui rendre hommage de sa clairvoyance.

L’archevêque Óscar Romero, né le 15 août 1917 au Salvador, mort assassiné le 24 mars 1980 en pleine messe par la junte militaire. Sa canonisation est célébrée le 14 octobre 2018 à Rome, sous le pontificat du pape François.

Les pouvoirs militaires, les milices armées prirent pour cible les prêtres engagés auprès du peuple dans le combat contre les dictatures, il y eut de nombreuses exécutions, il y eut des évêques assassinés (Mgr Romero) sans que cela ait suscité de la part de Rome beaucoup d’indignation.

La politique menée par Rome était axée sur la lutte contre le communisme et tout l’Occident applaudissait ce Pape qui, disait-on, avait fini par faire plier le gouvernement polonais et permis le retour de la Pologne dans le giron du camp du Bien.

L’option pour les pauvres était bien oubliée, l’Eglise pouvait se consacrer à consolider son fonctionnement et à recentrer son discours sur les questions morales et sexuelles. Les luttes pour une société plus juste et fraternelle étaient condamnées et l’on vit des évêques se porter garants de la bonne catholicité des nouveaux tyrans comme Pinochet.
Il y eut durant ces années une véritable persécution des prêtres et des évêques progressistes tant de la part des régimes autoritaires que du Vatican lui-même.

Le fondateur des Légionnaires du Christ, Marcial Maciel, reçoit la bénédiction du pape Jean-Paul II en 2004.

Pire encore, dans cette volonté obsessionnelle de faire barrage au marxisme, Jean-Paul II porta sur les fonds baptismaux Les Légionnaires du Christ dont on apprit, du vivant même du Pape, que le fondateur Maciel était un prédateur sexuel, qui avait violé ses propres enfants qu’il avait eus avec plusieurs femmes, qui avait su se faire donner des sommes considérables par de riches veuves qu’il parvenait à manipuler – on ne sait pas encore, à l’heure actuelle, où tout cet argent a pu passer.

Les Légionnaires du Christ existent toujours – le moins qu’on puisse dire d’eux est qu’ils ne sont pas progressistes, que leur théologie ne dépasse pas une vision tristement moralisatrice des Evangiles, qu’ils brandissent davantage la menace de l’enfer à l’égard des divorcés remariés qu’à l’égard de leur fondateur.

Pour les auteurs du Pacte des catacombes : « Ainsi des mouvements comme l’Opus Dei, les Légionnaires du Christ (..) reçoivent la bénédiction du pape polonais aveugle devant les dérives autoritaires vécues à l’intérieur de ces mouvements.
Leur importance dans son projet de reconquête chrétienne du monde leur donne une place prépondérante, leur garantissant une certaine impunité dans leur modus vivendi. Derrière ce choix se cachait sans doute une critique voilée du Concile lui-même. »

Guillemin ignorait les détails de cette histoire ; il devait concentrer sa méfiance sur l’Opus Dei, comme beaucoup de chrétiens progressistes à l’époque, que l’on soupçonnait à juste titre de complicité avec tous les mouvements d’extrême droite.

S’il l’avait connue cela aurait été pain bénit pour lui, si j’ose dire. Il n’empêche que la canonisation de Jean-Paul II l’aurait empêché de dormir et qu’il y aurait vu une preuve supplémentaire de la maladie de l’Eglise qu’il déplorait depuis qu’il avait commencé à s’intéresser à son histoire (Cf « Par notre faute », article publié en 1937 et repris par Patrick Berthier Le Cas Guillemin, Gallimard, 1979).

Il n’aurait pas vu non plus d’un bon œil l’élection de Ratzinger comme successeur de Jean-Paul II.

En revanche, on peut être sûr que le Pape François aurait été pour lui un « chic type », lui qui a pu mettre en œuvre, au Vatican même, les principes du Pacte des catacombes, dénoncer le cléricalisme, et les maladies de la Curie, c’est-à-dire les abus de pouvoir de certains membres de la hiérarchie, leur carriérisme, leur ignorance totale de la réalité du monde, prôner une indépendance plus grande des conférences épiscopales, ouvrir enfin l’Eglise aux pauvres ou plus exactement mettre les pauvres au cœur même de la mission de l’Eglise.

Ce n’est pas un hasard non plus si Leonardo Boff a été reçu au Vatican et si Mgr Romero a été béatifié. Autant de signes qui expliquent pourquoi, aux yeux de bon nombre d’américains, soutiens de Trump, le Pape François passe pour un dangereux communiste.

Encore une fois, Guillemin a fait preuve dans ce domaine d’un flair étonnant que des faits qu’il ignorait sont venus corroborer par la suite.
Comme il en fait preuve dans le dernier texte que nous avons de lui sur la Guerre du Golfe. Comme il en a fait preuve dans ses conférences sur la Révolution et sur le rôle de Robespierre.

Il s’est finalement assez peu trompé et c’est cela qu’on continue de lui reprocher.

L’intransigeance qui est la sienne, sur certains points, passe mal à une époque de consensus mou et d’oubli de l’histoire ; il n’empêche qu’elle est salutaire.

Note rédigée par Patrick Rödel

La Nona Ora (la neuvienne heure) – 1999 – œuvre de l’artiste italien Maurizio Cattelan (né en 1960) – sculpture grandeur nature en cire du pape Jean-Paul II habillé de la traditionnelle soutane blanche, férule à la main, écrasé par une météorite sur un tapis rouge. Le titre de l’œuvre fait référence à l’heure de la mort du Christ sur la croix, la neuvième heure selon la théologie chrétienne. Cette œuvre appartient à l’homme d’affaires François Pinault qui l’a prêtée, en 2003, à l’archevêché de Rennes qui l’a acceptée.