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Gérard Boulanger : « Les secrets du procès Papon »

Gérard Boulanger (octobre 1948 – 8 juin 2018)

Pour Gérard Boulanger

Gérard Boulanger vient de publier, aux éditions du Cherche Midi, Les secrets du procès Papon.

LAHG saisit cette occasion, unique autant qu’émouvante, au vu des circonstances, pour en rendre compte. Et pour rappeler l’ouvrage qu’il avait publié, en 2006, A mort la Gueuse, qui avait pour sous-titre « Comment Pétain liquida la République à Bordeaux, 15, 16 et 17 juin 1940 » (éd. Calmann-Lévy).

Gérard Boulanger, il est bon de le rappeler, organisa à Bordeaux, en 2003, le premier colloque consacré à Henri Guillemin, à l’occasion du centenaire de sa naissance. Il présidait, à ce moment-là, la Ligue des Droits de l’Homme de Gironde ; il avait été président du Syndicat des avocats de France, et avait invité des historiens de Bordeaux III et l’Association mâconnaise « Présence d’Henri Guillemin » qui venait juste d’être créée.

Ce colloque avait été un succès. C’est à Boulanger, quand il était élu au Conseil Régional d’Aquitaine, qu’on doit que la Bibliothèque des Lettres de l’Université porte le nom d’Henri Guillemin – ce qui est assez paradoxal, voire ironique, quand on sait le jugement sur Guillemin de la plupart des enseignants de Lettres !

Cette lettre d’information est un hommage rendu à l’ami et au complice de tant de combats ; une recension de Patrick Rödel.

Dernier livre de Gérard Boulanger Les secrets du procès Papon – éd. Cherche midi – 400 pages – 22 €

 

Vingt ans ont passé depuis la condamnation de Maurice Papon, secrétaire général de la Préfecture de la Gironde durant la Seconde Guerre mondiale, pour complicité de crime contre l’humanité.
Le temps est venu, pour Gérard Boulanger qui y consacra presque un quart de siècle, depuis le dépôt des premières plaintes en 1981, de revenir sur les ressorts du procès, sur ses péripéties : « Je suis sans doute, écrit-il, le seul et dernier à pouvoir rétablir la vérité face à de fallacieuses affirmations plus ou moins intéressées qui, ici ou là, ont tenté de réécrire les événements. »

Le livre qu’il nous donne est encore tout vibrant d’indignation. Boulanger n’en a pas fini avec Papon auquel il a déjà consacré deux livres : Papon, un intrus dans la République (Seuil, 1994) et Maurice Papon, un technocrate français dans la collaboration (Seuil, 1997).

 

 

Le cas Pétain

Mais en 2006, il avait tenu à comprendre quel était l’état d’esprit de ceux qui avaient capitulé face à l’Allemagne hitlérienne et qui avaient mis sur pied ce régime de collaboration qui allait au-delà même de ce qu’en attendait Hitler, et, au premier chef, de celui qui l’incarna, le Maréchal Pétain.

D’où cet ouvrage passionnant, « jumeau extra-utérin » des livres consacrés à Papon, dit Boulanger, dans lequel il suit heure par heure les événements qui eurent lieu à Bordeaux et qui constituèrent un véritable coup d’Etat contre la Troisième République et ses institutions.
« L’abandon des valeurs républicaines par Papon, ce personnage emblématique de la haute fonction publique française sous Vichy, ne laisse pas de renvoyer au fait qu’il a sévi précisément dans la ville où s’est opéré le rejet de ces mêmes valeurs, Bordeaux. »(p.13)

Il y a dans le récit de ces trois journées, les « Trois Honteuses », une intensité dramatique à la hauteur de ce qui s’y joue et qui n’est rien moins que la liquidation de ce régime républicain honni par toute l’extrême droite depuis son établissement en 70, depuis même la Révolution montagnarde (1792/1794) et l’épisode vite avorté de la deuxième République en 1848.

 

 

 

Tout se concentre autour de la figure de Pétain dont Boulanger montre comment il a su lui-même la façonner pendant l’entre-deux-guerres, celle du « vainqueur de Verdun », l’image paternaliste et grand-paternaliste soigneusement entretenue et cachant à merveille l’ambition forcenée de l’individu, sa haine viscérale de la République.

Boulanger trouve chez Guillemin, qu’il cite à de très nombreuses reprises, et dont il loue la clairvoyance à un moment où bien des archives ne sont pas encore accessibles : à savoir dans : La vérité sur l’ affaire Pétain et dans Nationalistes et Nationaux – la Droite française de 1870-1940

Guillemin officialise un nombre d’arguments scientifiques pour ramener l’homme Pétain à sa vérité, à savoir comme :  « tempérament rancuneux, capable de nourrir de très longues haines », (in La vérité sur l’affaire Pétain), jugé par ses pairs comme un militaire défaitiste et qui n’a été à Verdun que « poussé au cul » ; qui a imposé à l’Etat-Major cette doctrine calamiteuse qui aboutira au désastre que l’on connait de « l’inviolabilité du territoire, la défense à tout prix sur une ligne fortifiée, la sacralisation du front continu. » (dixit Gérard Boulanger, p.60).

« En quête du pouvoir suprême depuis de nombreuses années, [Pétain] a laissé les éternels comploteurs de la droite extrême (liés ou non à l’activiste Cagoule), les nouveaux zélateurs des régimes forts (volontiers stipendiés par Rome et par Berlin), les pacifistes de toute obédience (facilement orphelins d’un homme providentiel) et les politiciens au rancart en mal de revanche (toujours à la recherche d’un étendard), faire campagne sur son nom. (…) Jusqu’au jour où la défaite militaire opérera la fusion de ces bataillons hétéroclites et lui ouvrira enfin la route du pouvoir, le Maréchal avance masqué. »(Gerard Boulanger, p. 65).

Le Procès Papon

Je n’entre pas dans les détails de ces trois journées ; je retiens simplement que Boulanger fait siennes des formules très fortes de Guillemin pour dévoiler la signification profonde de cette période si sombre de notre histoire, comme celle-ci : « l’armée trouve enfin contre la République la revanche de l’affaire Dreyfus ».

Le livre de Boulanger se situe bien dans la postérité de celui de Guillemin et son travail décapant participe de la même volonté d’alerter nos consciences si souvent engourdies par le ronron médiatique devant le danger d’une résurgence de ce pétainisme dont Alain Badiou disait qu’il faisait partie de notre tradition nationale (son livre De quoi Sarkozy est-il le nom?).
« Le devoir d’amnésie sur Vichy, cette « parenthèse de notre histoire », fut trop longtemps une question de survie pour les vichystes, une question de légitimité pour les communistes, une question de pouvoir pour les gaullistes et une question de confort pour les Français. »(Boulanger, p.302).

Maurice Papon lors de son procès

Du procès de Maurice Papon, Boulanger n’avait encore rien écrit ; nous n’avions que la remarquable plaidoirie qu’il y fit entendre (Plaidoyer pour quelques juifs obscurs victimes de Monsieur Papon, Calmann-Lévy, 2005).

Nous pouvons maintenant en suivre toutes les étapes, tous les rebondissements, toutes les manœuvres par lesquelles Papon et ses avocats et ses amis tentèrent d’en empêcher la tenue. L’obstination de Boulanger vint à bout de tous les obstacles et ils furent nombreux.

Ils ne vinrent pas tous de là où on les attendait !
Certes, les politiques ne firent guère preuve de courage – car Papon était l’un des leurs, même parti politique, même milieu social.
Et qu’il parvînt à faire croire à certains d’entre eux qu’il n’avait donné quelques gages à l’occupant que pour mieux sauver des juifs, que sa collaboration n’était que le masque de sa résistance, n’empêchait pas que d’autres fussent parfaitement au courant de ses responsabilités en la matière.
Mais quoi, il fallait en finir avec les règlements de compte qui avaient suivi la guerre et on ne pouvait pas reprocher sans fin à tel ou tel ses compromissions, ses faiblesses à l’égard de Vichy.

Les obstacles sont aussi venus de l’appareil judiciaire lui-même et de son incroyable complexité dont savaient jouer Papon et ses avocats. De certains magistrats aussi dont le cœur penchait visiblement vers le camp de Papon et qui n’étaient pas loin de voir dans ce procès un complot communiste pour affaiblir l’ordre social et le pouvoir qui le garantissait.

Mais il y avait aussi les obstacles dressés par les avocats des parties civiles eux-mêmes, leurs stratégies personnelles, leur mépris très parisien pour ce petit avocat de province qui osait parfois leur faire la leçon et qui avait toujours deux ou trois coups d’avance sur eux. Boulanger n’est pas tendre, et il a raison, pour Serge Klarsfeld (et son roller de fils) dont il décrypte les multiples coups fourrés pour faire capoter le procès pour la seule raison qu’il n’en était pas, contrairement à ce qu’il proclamait partout, l’initiateur et qui fut bien près d’ailleurs d’y parvenir.

La Presse qu’elle soit locale ou nationale n’a pas toujours été d’une lucidité exemplaire – c’est un doux euphémisme. Enfin, et c’est là la surprise la communauté juive de Bordeaux n’a pas apporté un soutien très constant à la recherche de la vérité. Pour des questions de politique municipale et d’alliance avec Chaban-Delmas.

Et Boulanger se bat sur tous les fronts, relève tous les défis, contourne les pièges et les manœuvres, essaie de mettre l’opinion publique de son côté, joue des médias avec virtuosité (ce qu’on lui reprochera) quand il voit que les choses au plan judiciaire traînent tellement que le procès risque de ne jamais aboutir et Papon mourir de sa belle mort sans avoir été jugé et condamné. Quand il est près de perdre le moral, quand la solitude est trop lourde, sa femme Babette, à la mémoire de laquelle le livre est dédié, est toujours là pour lui redonner confiance en la justesse de sa cause et de sa stratégie.

Il y a dans ce livre outre une intrigue digne d’un polar, des portraits d’une précision admirable et une empathie pour les victimes qui fait que boulanger leur pardonne leurs volte-face ou même leur trahison, leurs ingratitudes ou leurs mensonges.
Ce livre est à lire, absolument, en cette période où la mémoire devient vacillante et l’inculture dominante, où les vieux démons réapparaissent et pas toujours sous des oripeaux nouveaux, où la vérité se dilue en opinions tweetées et facebookées. Pour que ce combat n’ait pas été mené en vain.

Note de Patrick Rödel

In memoriam

Nous publions ici, in extenso, le billet de Patrick Rödel, publié dans Médiapart le 8 juin dernier, intitulé « Départ d’un juste ».

Gérard Boulanger nous a quittés aujourd’hui. Son nom restera lié au procès Papon et à la longue bataille qu’il avait menée pour que justice soit rendue à la mémoire de tous ces juifs bordelais qu’une signature administrative avait envoyés à la mort. Le dernier livre qu’il a écrit (Les secrets de l’affaire Papon) – livre testamentaire en quelque sorte – venait d’en retracer l’histoire et les combats d’arrière-garde de tous ceux qui voulaient encore protéger ce criminel qui avait continué à faire carrière comme si de rien n’était.

Mais Gérard Boulanger était engagé sur d’autres fronts comme président du Syndicat des avocats de France, président et fondateur de la confédération Avocats européens démocrates, comme président de la Ligue des droits de l’homme de la Gironde, comme conseiller régional. Toujours prêt à s’engager, ne supportant pas l’injustice ni les magouilles des nantis.

Comment pourrais-je oublier qu’il fut mon ami depuis 1974 et mon avocat dans le procès que j’avais intenté contre Minc et que ce fut l’occasion de belles indignations et de grands éclats de rire ? Et que nous avions prévu qu’il viendrait au Colloque que l’Association des Amis d’Henri Guillemin, dont il faisait partie, organise en novembre ? Grande est notre tristesse.

Le colloque du 17 novembre 2018

Le prochain colloque Henri Guillemin que nous organisons aura pour thème : la montée du fascisme, Pétain, la débâcle de 40 et la collaboration.

Il se tiendra dans la salle Dussane de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) – 45, rue d’Ulm 75005 Paris.

Les inscriptions s’effectueront par Internet, directement à partir de notre site. Elles seront ouvertes le lundi 3 septembre 2018 et se clôtureront la veille du colloque à minuit.

Une lettre d’information sera prochainement diffusée qui présentera le programme définitif et indiquera les détails et les précisions nécessaires pour s’inscrire.

Toutefois, l’avant-programme est disponible en cliquant ici.