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Un manuscrit inédit d’Henri Guillemin

Signature --- Image by © Royalty-Free/Corbis

Guillemin se raconte en un recto verso

Un adhérent de notre association (*) nous a envoyé le cliché d’une lettre écrite par Henri Guillemin à une Canadienne qui lui demandait des renseignements biographiques en vue d’un article qu’elle voulait écrire sur lui.

Il commence par la renvoyer aimablement au Who’s Who, dans lequel il figure, puis, « pour faire plaisir », il esquisse un autoportrait en dates et en épisodes-clés qui couvre finalement tout son feuillet des deux côtés.

Nous ne savons pas si l’article canadien a été écrit, mais nous avons cette lettre, ce manuscrit inédit (manuscrit recto : ici) (manuscrit verso : ici), lettre passionnante par au moins deux aspects.

D’abord, c’est la première fois, sauf erreur, que Guillemin bâtit ainsi un schéma de sa vie et de sa carrière. Il a soixante-deux ans, vient de prendre sa retraite, et se voit comme « libre, enfin ! » de ne plus se consacrer qu’à ses livres, à ses articles et à ses conférences.

HG

Ensuite, et la lettre elle-même reproduite (original ici) permet de le voir d’un coup d’œil, nous avons ici un bon exemple de l’écriture de Guillemin (encore lisible à cette époque !) et de sa façon d’occuper tout l’espace, en revenant en arrière pour des ajouts là où il reste de la place, en soulignant certains mots, en couvrant le papier jusqu’aux marges.

Il a toujours procédé ainsi, préférant bourrer une petite feuille et/ou écrire minuscule que de commencer un nouveau feuillet – comme si le temps manquait : on le voit bien aussi à sa façon d’abréger, de ne pas rédiger complètement certaines phrases.

C’est ici un Guillemin se racontant en direct, vivant, précis, directif (il choisit ce qu’il souhaite voir dit de lui, et demande à lire le texte avant publication).

Un Guillemin qui avait encore devant lui, mais il ne le savait pas, plus de vingt-cinq années d’un travail incessant : sa manière, à lui, de respirer.

HG

(*) Ce document est une des lettres qui ont été vendues par la librairie ancienne DARREAU (71 – Mâcon – France), membre fondateur de l’association Présence d’Henri Guillemin de Mâcon, à la Bibliothèque Publique et Universitaire de Neuchâtel et dont j’avais fait une photocopie. Signé : DARREAU Norbert.

 La retranscription du manuscrit :   

Réponse d’Henri Guillemin à une Canadienne qui désirait écrire un article sur lui. Un feuillet demi A4 recto verso.

10 mai 65

Gentil, de prévoir “papier” sur H. G.
Trouveriez éléments dans Who’s Who in France

Pour faire plaisir, vous indique l’essentiel :
Né à Mâcon (le pays de Lamartine) le 19 mars 03
Parents très humbles. Mon père, petit fonctionnaire des Ponts et Chaussées.
Une sœur (née 1896) [devenue Interne des Hôpitaux de Lyon. Depuis 1930, exerçant à Roanne. Mariée à un Interne de Lyon, aussi, qui dirige la + gde clinique d’accouchement de Roanne]
Études primaires et secondaires, Lycée Lamartine, Mâcon.
Baccalauréat complet en 1919
Préparation, à Lyon, au Concours d’Entrée à l’École Normale Supérieure 1919-1923
Reçu à l’E.N.S. (rue d’Ulm, Paris) en juillet 1923

Quatre ans à Paris [Secrétaire particulier de Marc Sangnier, – l’homme du Sillon – en 1923-24] 1

Marc Sangnier
Agrégé des lettres (n° 3) en juillet 1927 [camarade de Sartre et de Pierre Péguy, le fils de l’écrivian tué en 1914 (qui mourra en 1942)] 2

sartre 2

Pierre Péguy

Postes d’enseignement secondaire :

Lycées de Tours, Bayonne, Clermont-Ferrand, Lille, Lyon
tandis que je préparais mon doctorat.

(Avais été incorporé (oct 27 3) au 134e régiment d’infanterie, “aspirant”, mais réformé (déc 27) après hémoptysies)

Marié 1928 (Jacqueline Rödel née en 1910 à Paris)

5 enfants dont 4 vivants (François, né 1929, mort 1931 (accident horrible)
Philippe né 1932
Françoise née 1933
Marianick née 1938
Michel, né 1943)

Doctorat ès lettres (thèse sur Jocelyn) en 1936
(je passe, donc, dans l’enseignt supérieur)
1er poste : Le Caire, Université Fouad Ier 1936-1938
2e poste : Bordeaux (titulaire de la chaire de langue et littérature française) 1938-1942
J’écrivais souvent dans la revue des dominicains : La Vie intellectuelle et dans leur hebdomadaire : SEPT . 4

 

LA VIE INTELLECTUELLE (7e année, n°1, 15 juillet 1914)                                            périodique 7

La guerre, l’occupation allemande. Suis dénoncé à la Gestapo début juillet 42 par les “collaborationnistes”. Averti, m’enfuis le 14 juillet 42, franchissant clandestinement, près de Langon (Gironde), la “ligne de démarcation”.
Avec de faux papiers, ma femme et mes enfants parviennent à me rejoindre à Toulouse, zone libre, chez mon b. frère, Henry Rödel, avocat, qui sera lui-même arrêté en 43 par la police de Pétain, remis aux Allemands, déporté, puis tué, en Saxe, en avril 45

Pour vivre, je passe en Suisse, où un poste m’est offert à l’Université de Genève. [mon père meurt en 43, ss que je puisse le revoir] [maman, morte en 49] 5

(Mon premier livre, après ma thèse, avait été Flaubert, 1939, préfacé par Mauriac, avec lequel je suis lié depuis 1926.)

francois-mauriac

À la libération, alors que je me disposais à regagner mon poste à Bordeaux, le gouvt fr. m’offre de passer dans le service diplomatique et de devenir Attaché Culturel à l’ambassade de France à Berne. J’accepte. 17 ans de vie diplomatique : 1945-1962.

Chevalier de la Légion d’honneur (1948) 6
À 60 ans (1963) je prends ma retraite, ayant 40 ans de service (1923-1963. Les années d’E.N.S. comptent comme “service”) et me voici, libre !
(je n’ai gardé qu’1 cours public à l’Univ. de Genève ; mais, côté français, je suis un fonctionnaire retraité)

Masse de livres depuis 1939 [liste facile à trouver]

Conférences, depuis 1945, en des tas de pays : Espagne, Portugal, Angleterre, Italie, Belgique, Grèce, Allemagne, Danemark, et Israël (2 fois)
Entre 36 et 38, confér. au Liban, en Syrie, etc.
Et radio, T.V. en France, Belgique, Canada.

7 Ai bcp connu Bernanos et Claudel, un peu Gide. Tjs profondément attaché à Mauriac. Collabore aux Temps modernes, de Sartre (le seul catholique écrivant là…)

8 Ouf ! J’en ai mis un coup pour vous tartiner ça. / Oui, j’aimerais lire votre “papier”, avant publication. / On se verra octobre. PROMIS. Votre HG

Transcription réalisée par Patrick Berthier, co-fondateur de LAHG.

Notes

J’ai respecté les majuscules et les soulignés, et indiqué en notes les retours en arrière et ajouts.

Ce qui me paraît de loin le plus intéressant dans ce texte, c’est sa date de 1965 (*) : ce doit être une des premières fois, sinon la première, qu’Henri Guillemin songe à l’image qu’il veut donner de sa vie. On note aussi des choix de détails remarquables : sa collaboration avec les dominicains avant 39, ou sa place de seul catholique aux Temps modernes…

(*) Le millésime est griffonné mais n’est pas douteux, à le comparer à sa façon d’écrire les chiffres en général. On voit aussi par le contexte que Mauriac (mort en 70) est toujours vivant, ce qui crédibilise le 6 de la dizaine. Et 65 vient naturellement dans le fil de l’évocation de la retraite toute récente (« et me voici, libre! »).

1 . Ces mots entre crochets sont une addition sur la droite du feuillet.

2 . Les mots entre crochets sont, de même, une addition sur la droite du feuillet.

3 . Précision ajoutée au-dessus de la ligne.

4 . Cette phrase a été ajoutée après coup, dans la marge droite et à angle droit du texte, à la hauteur des indications de carrière qu’on vient de lire, ce qui fait que nous la plaçons là.

5 . Ces deux indications entre crochets, en petits caractères, sont des ajouts postérieurs insérés à cet endroit du texte dans l’espace resté libre.

6 . Ajout interlinéaire postérieur, entre le paragraphe qui précède et le suivant.

7 . Les deux phrases qui suivent sont écrites à angle droit dans la marge gauche du second feuillet.

8 . La fin de la lettre est écrite à angle droit dans la marge gauche du premier feuillet (les barres obliques sont dans le texte).

Pour télécharger le manuscrit inédit recto en format pdf, cliquez ici

Pour télécharger le manuscrit inédit verso en format pdf, cliquez ici

Crédits photos (par ordre d’appartion) :

Ecrire (site : Corbis images)

Henri Guillemin (domaine public)

Henri Guillemin (domaine public)

Marc Sangnier (archives Larousse)

Jean-Paul Sartre (site actu-philosophia)

Pierre Péguy (site : le livre)

Périodique La Vie intellectuelle (site : petites revues)

Périodique Sept (domaine public)

François Mauriac (site : nonfiction)

 

2 réponses sur « Un manuscrit inédit d’Henri Guillemin »

Ce document est une des lettres qui ont été vendues par nous, librairie ancienne DARREAU, membre fondateur de l’association Henri Guillemin de Mâcon, à la Bibliothèque Publique et Universitaire de Neuchâtel et dont j’avais fait une photocopie. Merci de citer cette source. DARREAU Norbert Samedi 1″ février 3016.

Cher Monsieur Norbert Darreau,

Nous vous remercions pour votre envoi des précieuses et très intéressantes nouvelles informations sur la vie d’Henri Guillemin.
C’est bien sûr sans aucun problème que nous allons vous citer comme source de l’inédit recto verso qui a fait le sujet de notre dernière actualité.

Bien à vous et encore merci pour votre soutien.

Administration LAHG

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