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L’affaire Dreyfus à la télévision


A gauche, Alfred Dreyfus avant 1894 © Henri Roger-Viollet – source Encyclopedia Britannica. A droite, Emile Zola en 1899 © Auteur inconnu, source Wikimedia Commons DP

Dans le cadre de notre prochain colloque consacré à Zola et l’affaire Dreyfus, programmé pour fin novembre 2023, sur le thème L’affaire Dreyfus et son temps. Enjeux politiques et interprétations, (7 intervenants majeurs – programme finalisé en ligne sur ce site. Cliquez ici), il nous a semblé utile de rappeler l’histoire de cette affaire d’État.

Il nous a également semblé nécessaire, au-delà de l’enchaînement des faits historiques, que soient mis en évidence les grands sujets révélés par cette Affaire tels que le rôle de l’Armée, celui de l’Institution judiciaire, de l’Église catholique, sans oublier ni les profondes diffractions politiques du corps social ni le climat antisémite de l’époque.

Dans cette optique, le cinéma ou la vidéo, bref l’image, possède une puissance d’évocation spécifique capable de toucher aussi bien le coeur que l’intellect du grand public. Cette démarche qui relève pleinement des actions d’éducation populaire, a produit un certain nombre de travaux de vulgarisation très haut de gamme, des films de grande qualité, de talentueuses vidéos honnêtes et didactiques.

Bien entendu, on pense tout de suite à Henri Guillemin et ses conférences vidéo critiques et pédagogiques (elles sont toutes disponibles sur ce site en relais du site RTS), dont les trois conférences qu’il consacra à l’affaire Dreyfus sont mises en ligne ci-dessous.

Mais il existe bien d’autres réalisations de qualité. Comme il n’était pas dans notre propos de produire une étude exhaustive, il a fallu choisir. Et choisir fut difficile.
Voici notre courte sélection.

Pour commencer, cette mini série de quatre épisodes (durée : 8h14 mn) Émile Zola ou La Conscience Humaine, réalisée par le grand réalisateur TV Stellio Lorenzi en 1978.

Zola ou la conscience humaine.

Cette mini-série se compose de quatre épisodes :

1/ Un homme assez courageux qui dresse le portrait de la personnalité complexe d’Emile Zola, bourgeois traversé de contradictions, qui va progressivement prendre conscience de la colossale injustice faite à Alfred Dreyfus qui débouchera plus tard sur l’immense scandale d’Etat que l’on connaît. L’épisode cible la bouffonnerie affligeante des figures de l’État-major.

2/ J’accuse qui montre l’engagement d’Emile Zola pour démontrer l’innocence d’Alfred Dreyfus. Son célèbre article « J’accuse » paru dans le journal L’Aurore va ébranler toute la société française et faire apparaître l’ignominie de l’Institution militaire.

3/ Cannibales qui présente son procès en diffamation. Zola est condamné à la peine maximum mais la Cour de cassation annule l’arrêt et un nouveau procès s’ouvre à Versailles. L’ambiance est extrêmement tendue, tandis qu’enfle la vindicte des antisémites.

4/ Et j’attends toujours qui montre la difficulté de l’exil de Zola en Angleterre, tandis qu’en France, le procès d’Alfred Dreyfus est révisé et l’affaire rebondit. La mort de l’écrivain est présentée sous l’angle des morts mystérieuses du passé. La piste de l’assassinat est nettement pointée du doigt.
L’oeuvre s’achève par les obsèques, fidèle reconstitution des funérailles. Des mineurs défilent en scandant « Ger-mi-nal » au son du Chant des cerises.

Cette œuvre a été saluée à sa sortie comme une œuvre télévisuelle de qualité, ambitieuse, riche de moyens et de talents : Jean Topart, magnifique dans le rôle principal, Dominique Davray, très émouvante dans le rôle de l’épouse délaissée.

S’agissant du jeu d’acteurs, on ne peut s’empêcher de noter qu’elle fait ressortir la médiocrité actuelle des acteurs français au cinéma. Certes, il y a des talents mais ils sont un peu noyés dans la masse. Ici, point de sous-titres nécessaires, on peut comprendre chaque mot prononcé par chacun.

Observation : Ce film a été réalisé en 1978, sur la base des connaissances historiques d’alors. Depuis, les travaux des historiens et des spécialistes de l’Affaire ont permis de mieux préciser certains faits, d’infirmer et de rectifier certaines inexactitudes. C’est la force du travail des historiens travaillant sur les faits et les archives.

Cependant, la puissance dramatique du film de Lorenzi demeure et permet de mesurer l’importance du scandale représenté par l’affaire Dreyfus et peut-être de comprendre ses possibles resucées.

Depuis peu, il est enfin possible de visionner Émile Zola ou la Conscience humaine. Longtemps invisible, cette œuvre majeure de la télévision française a finalement été éditée en DVD.


DVD avec livret exclusif – texte de Jean-Louis Lorenzi (12 pages) 8h 14 mn – 29,90 €

Stellio Lorenzi (1921 – 1990) : une brève présentation

Né à Paris, d’origine italienne, il est l’un des grands réalisateurs de la télévision française.

Après trois années d’études supérieures de mathématiques, il s’oriente vers des études d’architecture. Le concours d’entrée à l’école polytechnique lui est interdit, car les lois du régime de Vichy en refusent l’accès aux fils d’étrangers.

En 1943, il rejoint la première promotion de l’IDHEC. Dès 1945, il est Assistant réalisateur de Louis Daquin, Jacques Becquer, Gilles Grangier.

En 1952, il intègre la télévision naissante et après avoir réalisé de nombreuses émissions artistiques et dramatiques, Stellio Lorenzi s’emploie à réaliser des œuvres historiques conçues pour expliquer et mettre au grand jour les vérités volontairement cachées par les « gens de biens » selon l’expression favorite d’Henri Guillemin ; des films qui suscitent l’éveil intellectuel du public, qui aiguisent son esprit critique.

Sa constante adhésion à la philosophie communiste marque de son empreinte ses oeuvres télévisuelles dont le vibrant idéal humaniste et républicain est particulièrement visible dans ses films historiques.

Son travail relève d’une démarche d’éducation populaire, utilisant la télévision comme un moyen d’expression plus apte que le cinéma pour scruter le comportement de l’être humain. Pour lui, la télévision peut et doit permettre de faire accéder le plus grand nombre à la culture.

En ce sens, cette vision du monde, cet engagement, est le même que celui d’Henri Guillemin.
Lui aussi comprit très tôt la puissance du media TV pour toucher le grand public.

Stellio Lorenzi en 1961

Autres points communs :

– on le sait, toute l’oeuvre d’Henri Guillemin relève d’une posture anti doxa, une démarche humaniste et républicaine visant à dévoiler les stratagèmes des classes dominantes, à abattre les fausses idoles autant qu’à sortir de l’ombre les gloires injustement oubliées. Un travail qui s’inscrit également dans la démarche d’éducation populaire.

– La censure d’État les a frappé tous deux. Gaulliste pour Lorenzi, pompidolienne pour Guillemin.

En effet, après trente-neuf épisodes de La caméra explore le temps tournés entre 1957 et 1966, la série est interrompue par le pouvoir politique qui s’inquiète du pouvoir d’éveil grandissant de la télévision et des opinions politiques de Lorenzi.
Endoctrinement oui, éducation populaire, non !

Parmi les œuvres marquantes de S. Lorenzi, citons Jacquou le croquant (1967), adaptation d’un roman du XIXe siècle d’Eugène le Roy, récit des souffrances et de la révolte d’une famille de métayers du Périgord sous la Restauration ; Les Rosenberg ne doivent pas mourir (1975), adaptation du livre éponyme d’Alain Decaux, histoire de l’exécution sans preuves en 1950 de Julius et Ethel Rosenberg sur ordre du gouvernement américain dans un climat hystérique d’intoxication générale anti communiste.

« Mon ambition – disait-il – est de faire collaborer Alexandre Dumas pour les intrigues et le contexte historique, Simenon pour les reflets sociaux et Le Roy Ladurie pour ce qui est de la nouvelle histoire au niveau du peuple ».

Henri Guillemin et l’affaire Dreyfus.

Photogramme tiré du premier épisode (1965)

Une mini série vidéo de trois épisodes – 1965 – (durée totale : 1h20 mn)

Premier épisode – durée 34 mn : 30 Cliquez ici

Deuxième épisode – durée 26 mn : 14 : Cliquez ici

Troisième épisode – durée 19 mn : 36 : Cliquez ici

Robert Bober et l’affaire Dreyfus

Robert Bober

Documentaire À la lumière de “J’accuse”, de Robert Bober (né en 1931) – 1998 – 65 min

Malheureusement, ce documentaire est aujourd’hui d’accès difficile. Il s’agit d’un superbe moment de télévision bâti sur l’intelligence plutôt que sur la flatterie des convenances et des lieux communs.
Le film raconte une histoire intellectuelle de l’affaire Dreyfus, centrée autour de l’année charnière 1898, quand parut dans l’Aurore le « J’accuse » de Zola.
Une année qui va séparer amis d’hier ou réconcilier ennemis de la veille.

Le film est structuré comme un puzzle faisant apparaître progressivement les différents acteurs de cette Affaire :
la presse de caniveau (la Libre Parole ou la Croix); les figures sublimes (Picquart, Bernard Lazare, …); les figures ignobles (Barrès, Coppée, Rochefort, Valéry («Je ne suis pas antisémite, mais»); les antidreyfusards mus par amour idolâtre de l’ordre.

Le film se conclut sur le fait que l’on peut toujours être dreyfusard aujourd’hui comme demain.

Jean Chérasse et l’affaire Dreyfus

Jean Chérasse

Documentaire Dreyfus, l’intolérable vérité (durée : 1h36 mn). Disponible en DVD.

Jean Chérasse est un fervent admirateur d’Henri Guillemin, et un fidèle adhérent des Amis d’Henri Guillemin (LAHG).

En 1975, il est le premier à avoir réalisé une synthèse à la fois historique et politique de l’Affaire, relatée à partir de documents d’archives, de récits d’historiens et de témoignages de personnalités.

Henri Guillemin, dont il était l’ami, apparaît à plusieurs reprise dans ce film documentaire.

Après avoir retracé la chronologie des faits, Jean Chérasse développe un essai politique visant à expliquer les raisons profondes et les mécanismes qui opèrent quand un système politique rentre en crise, créant des boucs émissaires pour se disculper.

Comme on l’a vu, la censure n’hésite pas à frapper durement quand le Pouvoir est menacé, quand on dévoile trop ses manigances. Le film de Jean Chérasse en a fait les frais. Film de cinéma produit par Jacques Charrier et Jean-Claude Brialy, il a été censuré par l’ORTF, c’est à dire qu’il n’a jamais pu passer à la télévision, empêchant ainsi d’élargir son auditoire.
Abêtissement des masses oui, éveil dela conscience, non !

Ce film est disponible en DVD et facilement accessible.

Jean Chérasse est aussi l’auteur d’une somme sur la Commune, dont il est un des spécialistes Les 72 immortelles (2 tomes – éditions du Croquant. pour en savoir plus, cliquez ici)

Colloque Henri Guillemin – fin novembre/début décembre 2023

« Le traître : Dégradation d’Alfred Dreyfus » – Dessin d’Henri Meyer paru dans « Le Petit Journal » du 13 janvier 1895. © Crédit photo : Wikimedia Commons

le colloque aura pour thème : « L’affaire Dreyfus et son temps. Enjeux politiques et interprétations ».

Sur une journée entière, une équipe de sept intervenants, spécialistes de l’Affaire, s’attachera à présenter les différents aspects de ce scandale d’Etat aux multiples facettes.

Au moment où nous écrivons, comme déjà dit auparavant, nous avons préréservé trois samedis : le 18/11, le 25/11 et le 02/12 et nous saurons, fin août, lequel des trois nous sera attribué.

Le programme du colloque est mis en ligne sur ce site. Pour le consulter, cliquez ici

Newsletter réalisée par les équipes de LAHG