Extraits choisis et commentés de « cette curieuse guerre de 70 »
Thiers – Trochu – Bazaine
C’est le premier tome de la trilogie que Guillemin consacre à la Commune de Paris. Il y étudie les événements qui se sont produits depuis la déclaration de guerre, fin juillet 1870 jusqu’au 4 septembre de la même année.
« Modestement, honnêtement, j’essaie de fournir ici, une fois de plus – la troisième – sur notre France du XIXe siècle, un livre où l’auteur regarde et montre ce que ne veulent pas voir, et cachent les historiens de bonne compagnie, un livre d’histoire vraie, « ad usum populi ». »
Voilà ce qu’écrit Guillemin dans sa Préface.
Depuis les dernières élections (1869), les classes dirigeantes tremblent devant la montée des mécontentements de la classe ouvrière. La guerre contre l’Allemagne paraît un moyen de conforter l’Empire, mais les désastres militaires vont changer la donne.
Thiers est à l’affût.
Que dit Guillemin : « Ce que préconise, pour l’instant, son altruisme de grand citoyen, c’est, après la chute, bien entendu, de l’Empire, un gouvernement réellement anonyme et aussi impersonnel que possible, qui ne se résume en aucun nom propre, qui ne soit le triomphe actuel ou prochain d’aucun parti. Le ‘pacte de Bordeaux’, en somme, avant la lettre. Afin de ne pas effaroucher les orléanistes qu’il s’agit pour lui d’empaumer, Thiers ne prononce pas encore le nom mal avenant de République ; mais c’est à cette solution qu’il travaille, car la République telle qu’il l’entend aura ce double avantage de permettre, d’une part, étant le régime de la ‘souveraineté nationale’ – autrement dit la dictature des notables sous couvert des votes paysans – une répression du prolétariat ouvrier d’autant plus écrasante qu’on la pourra baptiser ‘démocratique’ et ‘conforme au vœu du pays’, et, d’autre part, de lui assurer, à lui Thiers, cette jouissance concrète du pouvoir qu’il convoite depuis quarante ans. » (p.59/60)
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Qu’en est-il du général Trochu ?
Il part du même postulat que Thiers à savoir que la guerre est perdue :
« l’un, parce qu’il est indispensable à ses calculs qu’elle le soit, l’autre, le général, parce que nous sommes commandés par des imbéciles. Mais tandis que Thiers entend réussir, à la faveur du désastre, une brillante opération politique, Trochu, obsédé par le ‘danger rouge’, n’a qu’une seule préoccupation : tout faire, sacrificiellement, s’il le faut, pour que la déroute ne s’accompagne point d’une subversion, pour que le drame militaire ne se complique point d’une tragédie sociale. » (p.70/71).
Le voici nommé, par l’Empereur, gouverneur de Paris. A tout prix éviter la révolte populaire.
« Il peut arriver, [écrit-il], un moment où Paris, menacé sur toute l’étendue de son périmètre et aux prises avec les épreuves d’un siège, sera pour ainsi dire livré à cette classe spéciale de gredins qui n’aperçoivent dans les malheurs publics que l’occasion de satisfaire des appétits détestables. Ceux-là […] errent dans la ville, effarés, crient : On nous trahit, pénètrent dans la maison et la pillent »; ceux-là, oui, « j’ai recommandé aux honnêtes gens de leur mettre la main au collet. »(p.88)
L’ordre établi, voilà ce que Trochu entend défendre.
L’expression est intéressante à plus d’un titre : on pourrait croire que le vocable établi est une sorte d’attribut essentiel, puisqu’un ordre qui ne serait pas établi ne serait pas un ordre du tout. On oublie seulement que l’ordre a bien été établi par quelqu’un ou quelques-uns : par les forces de l’ordre, par exemple, qui interviennent non seulement pour rétablir l’ordre mais pour simplement l’établir.
Pour Trochu : « la fin, c’est l’ordre, l’ordre seul, qui se résume en trois mots – et lui-même aura soin de les énoncer : Famille, Propriété, Religion. Trois mots, on l’observera, et non pas quatre, car « Patrie », pour ce général, est un terme qui n’appartient pas à son vocabulaire de base ; un mot suspect ; en tout cas secondaire. Les vraies valeurs, les seules réalités solides sont d’une autre nature. »(p.126)
Donc, peu importe le régime, que ce soit l’Empire ou, en cas de faillite de celui-ci, la République, Trochu n’est pas regardant.
Cela tombe bien parce que les députés républicains qui vont former le Gouvernement provisoire ne sont pas loin de partager ce point de vue.
Reste l’armée.
L’Empereur a perdu à Sedan, mais l’armée possède encore des ressources et une défaite ne signifie pas la fin de la guerre.
C’est là qu’intervient Bazaine, le troisième homme et la découverte de Guillemin que ce nom ne désigne pas seulement un général incompétent et félon mais un collectif ,c’est à dire l’ensemble (ou presque) de la hiérarchie militaire qui n’a qu’une hâte : capituler le plus vite possible pour aller défendre les intérêts des honnêtes gens menacés par la populace parisienne.
Guillemin : « L’ennemi n’est plus en face, mais à l’intérieur. L’ennemi ne s’appelle plus Bismarck, mais Blanqui (ou Rochefort, ou Gambetta, mots synonymes). La guerre étrangère, n’en parlons plus. La poursuite en serait folle, et criminelle, alors que le danger – un danger suprême – est ailleurs, et que M. de Bismarck doit le comprendre comme eux-mêmes. Qu’ils soient Allemands ou Français, les gens convenables ont à présent le même adversaire effrayant : la basse plèbe, ces « prolétaires » dont Rochefort-le-marquis a su se faire le délégué, la populace qui crie « aux armes! » et prétend résister au destin. Comme si ces gens-là avaient à se mêler des choses militaires ! Comme s’il leur était permis de se déclarer pas d’accord lorsque les généraux leur disent que la guerre est finie ! Comme si les devoirs du patriotisme pouvaient être laissés à leur appréciation quand les spécialistes se sont prononcés. » (p.196/197)
Tout est en place pour une honteuse capitulation.
Note établie par Patrick Rödel.
Les citations sont reproduites avec l’aimable autorisation des éditions Utovie, éditeur exclusif des oeuvres d’Henri Guillemin. Pour en savoir plus sur le catalogue Guillemin et sur Utovie en général, cliquez ici
Première conférence filmée, d’Henri Guillemin, d’une série de 13 consacrée à la Commune
https://www.youtube.com/watch?v=dMGNcmx_bEg&list=PLCw0z_JNQO5TQ4b1uc8w8vo65_r-olPsT
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Crédits photographiques (par ordre d’apparition)
Bataille de Champigny. Tableau d’Alphonse de Neuville (1836-1885) (domaine public)
Adolphe Thiers (1797 – 1877) (domaine public)
Thiers tordant le cou du coq gaulois. Caricature d’André Gill (1840-1885) parue dans le journal satirique l’Eclipse – (domaine public)
Louis-Jules Trochu (1815 – 1896) (domaine public)
Maître et valet – l’homme de Sedan, l’homme de Paris. Caricature (février 1871) de Faustin Bedbeder (1847 – 1914) raillant la disgrâce de Napoléon III et celle de Trochu.
François Achille Bazaine (1811 – 1888) (domaine public)
Caricature de Bazaine par André Belloguet (1853 – 1873) parue dans le journal satirique « Pilori – Phrénologie » (BNF)
Napoléon III lors de la bataille de Sedan. Tableau de Wilhelm Camphausen (1818 – 1885) (domaine public).