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Des ouvrages à découvrir, dans l’esprit d’Henri Guillemin

chemin de traverse

« Chemins de traverse »

C’est le titre de notre nouvelle rubrique littéraire critique. Nous y publierons, au gré de nos découvertes, de nos coups de cœur, des recensions sur des livres en rapport avec le travail d’Henri Guillemin, ou dont la posture se rapproche de celle qui était la sienne. A savoir la remise en cause des récits de l’Histoire officielle.

Aujourd’hui, on vous propose de découvrir l’ouvrage de David Van Reybrouck : « Contre les élections »

Van Reybrouck

Mais avant de plonger dans ce livre, qu’a dit Henri Guillemin à propos du système des élections ? Comment a-t-il démontré les vrais enjeux du système électoral tel qu’il est mis en place, dès le début de la Révolution de 1789 ?

Extrait Guillemin 

« Presque tout de suite après les journées d’octobre [1789], l’Assemblée nationale (…) va voter une loi électorale vraiment bien conçue. Ne pourront voter pour faire les lois (ces lois qui doivent exprimer selon la Déclaration des Droits de l’homme la volonté générale), que les gens de bien. Les gens de bien ce sont ceux qui ont du bien. Alors, il faudra [d’abord être inscrit] sur les listes électorales et [payer au moins trois journées de travail]. Secundo, ne pourront être électeurs proprement dits (…) que ceux qui paieront l’équivalent de dix journées de travail et, pour être éligibles, il faudra payer ce que l’on appelle, à ce moment-là, un marc d’argent. Un marc d’argent équivaut à cinquante journées de travail. C’est donc, à la base, un triple triage. »

Extrait tiré de « 1789-1792, 1792-1794, les deux Révolutions françaises » (p.70/71).couverture livre HG

On retrouvera des analyses semblables dans d’autres ouvrages comme « Le Coup du 2 décembre » et « Nationalistes et nationaux (1870/1940) ».

Pour Henri Guillemin, la classe au pouvoir s’arrange toujours pour tenir à l’écart de ce qu’on appelle la représentation nationale, ceux qui sont considérés comme des ennemis potentiels du régime en place. Sur ce point, Henri Guillemin n’a jamais varié : les méthodes peuvent varier, le résultat est toujours le même.

Fiche de lecture

couverture du livre Van ReybrouckCONTRE LES ELECTIONS de David Van Reybrouck
Ed. Babel essai – 220 pages – 9,50 €

David Van Reybrouck, né à Bruges en 1971, est un anthropologue et écrivain belge d’expression néerlandaise. Il a écrit un livre jugé remarquable par les spécialistes, Congo, une histoire, qui a obtenu, en 2102, le prix Médicis essais. Il est également l’auteur de Mission, monologue d’un Père blanc de retour du Congo pour quelques vacances en Belgique – un livre décoiffant. Il a publié, dans le journal Le Monde du 18 novembre 2015, une lettre ouverte à François Hollande sur son discours guerrier du 14 novembre 2015, dont nous conseillons vivement la lecture.


David Van Reybrouck: Contre les élections, pour… par Mediapart

 

Il aurait fallu lire le livre de David Van Reybrouck avant les dernières consultations électorales. Mais il y en aura d’autres et il est temps de s’atteler aux vrais problèmes.

Ce livre nous y aide. Il part du constat accablant qu’il n’est pas le seul à porter : nos démocraties sont malades, elles présentent à des degrés divers « le syndrome de fatigue démocratique » qui risque bien de les conduire à la mort.

Comment en est-on arrivé là ? A cause de ce que Van Reybrouck appelle le « fondamentalisme électoral » qui pose que les élections sont l’essence même de la démocratie, alors qu’une histoire politique qui ne se contente pas de clichés ou d’images d’Epinal montre que le système de représentation du peuple par élection de députés a été établi justement pour tenir le peuple à l’écart des décisions politiques.

docteur-folamour-kubrickTous les théoriciens politiques, depuis l’Antiquité, savent que les élections sont l’élément clé des régimes aristocratiques. Il ne s’agit plus maintenant d’une aristocratie héréditaire mais d’une aristocratie de propriétaires, de hauts fonctionnaires, de membres des professions libérales, d’industriels, de gros commerçants – une méritocratie comme on tente de justifier ce système ? Pas même.

Cette aristocratie se présente comme l’élite de la nation et n’entend pas partager avec le reste du peuple l’exercice d’un pouvoir qui sert ses intérêts.

Or, il existe d’autres voies pour obtenir une réelle participation du peuple au pouvoir, connues aussi depuis l’Antiquité et conçues comme essentielles au régime démocratique : en tout premier lieu, le tirage au sort.

PericlesAthènes, en sa période de gloire, en a fait l’expérience – mais limitée par l’étroitesse même du champ de la citoyenneté -, et, plus tard, Venise, Florence aux XV/XVIe siècles et ailleurs encore. Et ça ne marchait pas mal du tout !
C’est bien la peur du peuple qui, à partir du XVIIIe siècle, rend compte d’une passion exclusive, chez les théoriciens et les hommes politiques, pour le système des élections.

Il faut relire avec un œil neuf l’histoire de la Révolution française (Cf. « 1789-1792, 1792-1794 les deux Révolutions françaises » – éditions Utovie) pour comprendre que le droit de vote est réservé aux riches propriétaires par un système censitaire qui permet qu’aucun député issu du peuple ne vienne troubler la gestion des affaires de l’Etat au seul profit des grands propriétaires.

Et l’on comprend mieux la levée de boucliers que suscite la seule mention du tirage au sort – « n’importe quoi ! N’importe qui ? Et pourquoi pas des femmes ? Ou des immigrés tant que vous y êtes … »
La logique est toujours la même, le corps électoral s’est accru mais la représentation dite nationale continue d’ignorer les couches les plus populaires.

Combien de ministres piégés parce qu’ils ignorent le prix de la baguette de pain ou du ticket de métro ? Et cela fait rire, mais ne remet jamais en cause le système.
Combien de députés qui habitent dans une cité ouvrière ? On donne sa voix une fois, de temps en temps, et une fois qu’on l’a donnée on la ferme. Les mieux-sachants, les mieux disants monopolisent en toute sérénité la parole. C’est ça la démocratie ?

RousseauSur ces points, il faut relire le Contrat social ; Rousseau voyait bien les dangers du système représentatif : la création d’un intérêt corporatiste au détriment de l’intérêt général et la montée en puissance de ce qu’il appelle les « brigues »et qui correspond aux partis politiques ou à ce dont nous faisons l’expérience actuellement – les lobbies.

Or, devant l’urgence d’une mort annoncée, il est temps d’envisager d’autres règles du jeu démocratique. De nombreux travaux portent, ces dernières années, sur le tirage au sort et Van Reybrouck donne une bibliographie très complète.
Des expériences intéressantes ont lieu aujourd’hui en Irlande, en Islande pour essayer de sortir ces pays de la crise où ils s’enfonçaient à cause de la crise financière et de la corruption de leur système politique.

Et ailleurs. Des modèles sont élaborés par des chercheurs. Vous n’en avez jamais entendu parler ? Normal !! Personne qui profite du système actuel n’a envie que l’on sache qu’un autre système est possible – hommes politiques, idéologues à leur solde, medias…dessin-. Pourtant, il serait vital de prendre modèle sur ces expériences, de lire les analyses qui les fondent et qui cherchent à les améliorer.

Ce livre est passionnant. Certes, il se contente de faire une synthèse de travaux antérieurs, mais c’est une synthèse brillante, et Van Reybrouck n’est pas seulement un théoricien ou un vulgarisateur de théories, il a mis la main à la pâte : il a lancé en février 2011 un vaste projet de renforcement de la participation citoyenne en Belgique qui a remporté un succès non négligeable. Certes, sa culture historique est de seconde main – ce qui donne lieu à des approximations. Ainsi, sur la Révolution de 1789, par exemple, il met tout le monde dans le même sac, sans prendre en compte la constitution montagnarde et Robespierre. Mais ce sont des détails.

Van Reybrouck est très conscient des obstacles qui viennent de la classe politique dominante et des intérêts qu’elle défend, des medias qui ont tout avantage à ce que se poursuive une politique spectacle – celle des petites phrases, des pseudos-débats, des affrontements qui évitent soigneusement les vrais problèmes, des sondages aux questions fermées.eyes wide shut
Mais il a confiance en la capacité des hommes à inventer des solutions, à en expérimenter la possibilité pour que la démocratie sorte de l’impasse où nous la voyons.

Extrait

« Sans un réforme drastique, ce système n’en a plus pour longtemps. Quand on voit la montée de l’abstentionnisme, la désertion des militants et le mépris qui frappe les politiciens, quand on voit la difficile gestation des gouvernements, leur manque d’efficacité et la dureté des « corrections » infligée par l’électeur à l’issue de leur mandat, quand on voit la rapidité du succès du populisme, de la technocratie et de l’antiparlementarisme, quand on voit le nombre de citoyens qui aspirent à plus de participation et la vitesse à laquelle cette aspiration peut se muer en frustration, on se dit : il est moins une. Notre temps est compté. (…) Nous devons décoloniser la démocratie. Nous devons démocratiser la démocratie. » (p.188/190).

Fiche de lecture établie par Patrick Rödel.

Pour télécharger ce texte en format pdf, cliquez ici

 

Crédits photos (par ordre d’apparition) :

Chemins de traverse : site : la-fille-de-la-terre.kazeo.com

David Van Reybrouck (domaine public)

Couverture du livre « Contre les élections » – Ed. Babel essai

Vidéo de l’interview de Van Reybrouck sur Médiapart 25/05/14

Film « Dr Folamour » de Stanley Kubrick (une illustration de l’oligarchie)

Statue de Périclès à Athènes – LOUISA GOULIAMAKI / AFP

Jean-Jacques Rousseau (domaine public)

Dessin satirique (domaine public)

Film « Eyes wide shut » de Stanley Kubrick (quels puissants derrière les masques ?)