Les éditions Utovie qui ont, depuis des années, entrepris de rééditer les ouvrages d’Henri Guillemin, dont les maisons d’édition habituelles ne souhaitaient pas prolonger l’existence, arrivent au terme de ce magnifique travail, presque 80 volumes. Il reste encore l’œuvre enregistrée.
Les trois titres proposés sont très caractéristiques des champs d’investigation de Guillemin.
Madame de Staël et Napoléon
Le premier, Madame de Staël et Napoléon, sous-titrée drôlement Germaine et le Caïd ingrat illustre la manière dont Guillemin aborde l’histoire littéraire. La légende, largement diffusée par Madame de Staël elle-même, veut qu’elle ait été une opposante farouche à Napoléon, lequel lui a fait cher payer sa dissidence. Or, Guillemin a horreur des légendes et il prend un malin plaisir à les déconstruire. Après tout, c’est Germaine de Staël qui se place la première sur ce terrain dangereux de la vérité ; elle jure que dès le début elle n’a eu que méfiance puis mépris enfin haine pour Bonaparte. Les faits sont tout autres et Guillemin en apporte les preuves : la fille de Necker que la Révolution montagnarde avait remplie de terreur, a appris avec soulagement que Thermidor avait mis un terme aux exactions du « sanglant scélérat » (Robespierre !) – les « honnêtes gens », les « gens de bien » peuvent respirer et retourner à leurs affaires.
Mais les choses ne vont pas assez vite à leur gré, d’où le recours à un général ambitieux qui promet un pouvoir fort. Madame de Staël n’a de cesse que d’être présentée au futur tyran. Elle y met du sien et pourtant rien n’y fait, Bonaparte la trouve insupportable. Il y a de l’argent, là-dessous, bien sûr, les millions que le papa Necker était censé avoir prêtés à la France et que sa fille voudrait bien récupérer.
En fait, il n’y a que ça qui l’intéresse vraiment. Les idées politiques, les grands sentiments passent au second plan. De là, la rancœur de Germaine et de son jeune amant Benjamin. Les démonstrations de Guillemin sont réjouissantes et dégonflent impitoyablement l’image que Germaine avait eu tant de peine à imposer – on pourrait croire que cela est secondaire, mais cette légende perdure et nous apprend beaucoup sur la manière dont se construit ce monde imaginaire derrière lequel les classes dirigeantes dissimulent les véritables motifs de leurs comportements.
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Sulivan ou la parole libératrice
Le deuxième livre est consacré à Jean Sulivan. Sulivan ou la parole libératrice. Peu nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, connaissent l’œuvre de Sulivan. Elle est pourtant d’une grande qualité littéraire et spirituelle. Une amitié très forte s’est nouée entre Guillemin et ce prêtre si peu orthodoxe, féru de cinéma, amoureux de la Grèce et de l’Inde que sa hiérarchie, pour une fois bien inspirée, lui a laissé une grande liberté. « Jean Sulivan, prêtre, travaille, ‘annonce’, selon son engagement, comme il peut, sans ostentation ni parures, ne cachant rien de ses doutes, de sa médiocrité et de ses fautes. Un camarade. »La formule, si belle, que Sulivan trouve pour se définir ne peut que plaire à Guillemin, « petit chrétien d’incertitude ».
Le livre que Guillemin consacre à Sulivan, le premier qu’il écrit sur un contemporain, dit-il, retrace les étapes de la vie de Sulivan et dégage les principaux thèmes de son œuvre. On sent une très forte sympathie entre les deux hommes. Dans un court texte publié en annexe, Sulivan revient sur ce que Guillemin vient s’écrire sur lui ; il dit sa crainte d’être percé à jour, mais il comprend vite que Guillemin écrivait aussi bien sur lui-même que sur lui, Jean, que sa quête de la vérité renvoie à des souffrances premières qui se devinent au détour d’une phrase, sur la pauvreté, sur l’enfance, sur la sexualité.
« On veut bien de ta verve mais seulement pourvu qu’elle ne gêne pas les associations de mots, c’est-à-dire les images scolaires des légendes et mythologies. Pour toi il n’y a pas de grands écrivains, seulement des hommes qui écrivent. » Sulivan, pourtant, ne pousse pas aussi loin que Guillemin le fait sa critique de l’Eglise, s’il accepte la formule de Nietzsche selon laquelle « l’Eglise est exactement ce contre quoi Jésus a prêché », il affirme que « le ‘poème’, la communion issus de la Parole et de la logique de l’Evangile, qui existent avec et contre l’entreprise, c’est aussi l’Eglise qui les garde. »
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Livre-cd Henri Guillemin raconte Voltaire
Le troisième livre est un livre-cd à propos de Voltaire qui nous donne l’enregistrement d’une conférence de Guillemin sur Voltaire et sa transcription mot-à-mot (ce qui est une entreprise courageuse). Voltaire. Guillemin n’a pas toujours été tendre avec lui. Sans doute parce que, dès le départ, c’est en travaillant sur Rousseau qu’il entre dans l’histoire des Lumières. Il déteste d’emblée le double jeu de Voltaire à l’égard du christianisme – « écrasons l’infâme », d’un côté, de l’autre la volonté que ses paysans aient de la religion pour s’assurer qu’ils ne le voleront pas. Guillemin peut bien accepter que l’on soit anticlérical – il l’est lui aussi -, mais pas que l’on soit antichrétien – au point de se servir du christianisme comme d’un garant de l’ordre social.
Le cynisme de Voltaire qui avoue tout crûment que le grand nombre est fait pour servir et nourrir le petit nombre des privilégiés est, pour Guillemin, détestable. Voltaire est devenu l’icône du bourgeois satisfait de son sort et qui se donne le luxe de faire la leçon au monde entier pourvu qu’on ne touche pas à ses rentes.
Mais, Voltaire c’est aussi celui qui dans l’affaire Calas a pris des risques pour défendre un innocent et pour s’élever contre la torture et l’injustice. Et Guillemin ne peut pas évidemment nier cet aspect de son combat. Il le reconnaît donc et nuance du coup son jugement sur l’homme. Ce qui est loin de l’image d’un Guillemin partisan et de parti-pris.
Il est un autre aspect de Voltaire dont Guillemin va finalement se rapprocher – et c’est sans doute le plus étonnant de sa part – l’éloignement de Guillemin à l’égard de l’Eglise catholique l’amène, dans une utilisation parfois peu prudente des méthodes historico-critiques à utiliser un style qui s’apparente à celui de Voltaire, dans la raillerie et la dérision.
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Recensions établies par Patrick Rödel
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