Interview exclusive de Jean Chérasse
Jean André Chérasse est réalisateur, scénariste et producteur, ancien élève de l’IDHEC. Il est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Histoire.
Parmi les nombreux films qu’il a réalisés, nous pouvons noter : Valmy et la naissance de la République (1967), Dreyfus ou l’intolérable vérité (1975), La prise du pouvoir par Philippe Pétain (1979).
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Illustration : Le mur des fédérés d’Ernest Pichio (1840-1898) – musée d’art et d’histoire de Saint Denis – cliché Andréani.
À la fin de la « Semaine sanglante », le samedi 27 mai 1871, les troupes versaillaises parviennent à investir le cimetière du Père-Lachaise où des fédérés s’étaient repliés tandis que les quartiers du Trône, de Charonne et de Belleville étaient assaillis. Durant plusieurs heures, les communards résistent au point que les combats se seraient parfois terminés au corps à corps et à l’arme blanche, entre les tombes, non loin des sépultures de Nodier, Balzac et Souvestre.
Cent quarante-sept communards faits prisonniers sont fusillés contre le mur est de l’enceinte du cimetière. Dans les heures et les jours qui suivent, les corps de milliers d’autres fédérés tombés lors des combats de rue dans les quartiers environnants sont ensevelis à leurs côtés, dans une fosse commune. En leur mémoire, une section de cette muraille est appelée dès la fin des années 1870 le « mur des Fédérés ».
Edouard Mangin : Vous avez accepté d’intervenir au colloque que nous organisons le 19 novembre prochain sur le thème « Henri Guillemin et la Commune – le moment du peuple ? ». Quel est votre thème d’intervention ?
Jean Chérasse : L’essai historique et politique que je suis en train d’écrire, provisoirement intitulé « les 72 Immortelles », tente d’analyser la Commune comme étant « une révolution de la fraternité ». Il est le résultat d’une promesse que j’ai faite à Henri Guillemin au début des années quatre-vingt.
Comment vous inscrivez-vous par rapport à lui ? Que représente pour vous son engagement ou sa façon de présenter l’Histoire ?
J’ai rencontré Henri Guillemin en 1967 à l’occasion d’une projection de mon film « Valmy et la naissance de la République » ; nous nous sommes liés d’amitié et avons décidé de collaborer. Ce fût d’abord « Dreyfus ou l’intolérable vérité » (prix Méliès 1975), puis « La prise du pouvoir par Philippe Pétain » (1979).
[Ce dernier film est réalisé à partir de documents filmés de l’époque et de témoignages recueillis auprès de diverses personnalités. C’est une réflexion sur l’enchainement des faits qui, du 6 février 1934 au 10 Juillet 1940 – notamment l’agitation des Ligues, le Front Populaire, Munich, le Pacte germano-soviétique et la défaite française – jalonnent la longue marche à pas feutrés du vieux maréchal vers le pouvoir et la dictature de Vichy. Témoignent au cours de ce film : Claude Gruson, économiste ; Jean Chaintron, qui fut le secrétaire de Maurice Thorez ; Roger Codou, ancien militant communiste ; Charles-André Julien, collaborateur de Léon Blum ; Kostia Feldzer, Compagnon de la Libération ; Henri Jourdain et Paul Esnault, anciens délégués C.G.T. ; Jacques Benoist-Mechin et François Lehideux, anciens ministres de Vichy ; Pierre Andreu, journaliste ; Daniel Mayer, ancien leader socialiste et Henri Guillemin. Note de LAHG]
J’avais été formé à l’Ecole des Annales (Robert Mandrou a été mon directeur de thèse du 3e cycle) mais j’ai découvert chez Henri Guillemin une intelligence heuristique et une volonté de démystification qui m’ont séduit et convaincu. Les deux films précités en sont le fruit.
« Il n’y a pas d’histoire objective, – disait-il – , l’honneur de l’historien, c’est la loyauté ». Nous parlions souvent de la Commune car il savait que j’avais une parentèle communeuse ; je lui avais promis que j’explorerais un jour mes archives familiales…
Deux affiches différentes du film
Quand on prend l’histoire de la Révolution française, et notamment le moment Robespierre, on ne peut manquer de remarquer de grandes distorsions dans la présentation de la vérité historique, d’origine souvent idéologiques. La Commune n’échappant pas à ce phénomène, quels sont pour vous les points particulièrement déformés, ou carrément passés sous silence dans son histoire ? Ou, plus amplement, pourquoi d’après vous, la Commune est mal connue encore aujourd’hui ?
La révolution communaliste libertaire a d’abord été victime de la république bourgeoise qui est née sur les cadavres des communeux, puis elle a été « récupérée » par le PCF qui en a faussé la nature et la signification ; elle est aujourd’hui la proie des anglo-saxons qui lui ont retiré sa chair et sa poésie.
Vous êtes auteur-réalisateur de films. Quelles seraient pour vous les conditions à remplir aujourd’hui pour réaliser un film documentaire sur Henri Guillemin et surtout pour sensibiliser le plus grand public à la force de son engagement politique ?
Il y a un magnifique film à faire sur Henri Guillemin, d’autant qu’il a laissé des traces audiovisuelles abondantes. Mais il faudrait l’aborder avec ferveur et ne pas hésiter à mettre en valeur l’insolente intelligence de cette grande figure du XXe siècle.
Peut-on connaître vos travaux actuels et vos projets ?
Je travaille d’arrache-pied à cet essai sur la Commune que j’espère terminer avant de disparaître. J’ai lu plusieurs dizaines d’ouvrages, compulsé des centaines de documents trouvés grâce à Internet, et j’ai dépouillé mes archives familiales – notamment la correspondance de Victoire Tinayre née Guerrier – qui m’ont apporté tous les éléments indispensables à l’étude des mentalités et à sentir « l’air du temps » ; j’ai longuement examiné à la loupe les visages des Communeux sur les photos et ils m’ont éclairé. Par ailleurs, je tiens sur Mediapart, un blog sous le pseudonyme de « Vingtras » en hommage à Jules Vallès.
Interview réalisée en septembre 2016
Colloque : « Henri Guillemin et la Commune – le moment du peuple ? »
SAMEDI 19 NOVEMBRE 2016 DE 9H00 À 18H00
UNIVERSITÉ PARIS 3 SORBONNE NOUVELLE – CENSIER – 13 RUE SANTEUIL 75005 PARIS
INSCRIVEZ-VOUS DÈS À PRÉSENT POUR BÉNÉFICIER DU TARIF PRÉFÉRENTIEL DE 12€ (AU LIEU DE 25€ SUR PLACE LE JOUR DU COLLOQUE)
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