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Colloque Guillemin /Affaire Dreyfus – Interview exclusive de Philippe Oriol

Introduction

Philippe Oriol est un historien français, l’un des grands spécialistes de l’affaire Dreyfus.

Docteur ès lettres, Philippe Oriol a enseigné à l’université Paris III Sorbonne et développe depuis des années une intense activité d’historien sous différentes formes.

Ainsi, à côté de l’animation de l’institut supérieur de communication qu’il a créé, le Cesacom, une école indépendante de formation aux métiers de la communication et à son enseignement, il est co-fondateur de la Société internationale d’histoire de l’affaire Dreyfus, dont il anime le blog et les publications.

Depuis plus de vingt-cinq ans, il se consacre essentiellement à l’affaire Dreyfus, ce qui l’a amené, en 2021, à prendre la direction du premier musée consacré à l’Affaire installé dans la maison de Zola à Médan (pour en savoir plus sur le musée Dreyfus/Zola, cliquez ici

Parallèlement, il travaille à l’établissement d’un monumental Dictionnaire biographique et géographique de l’affaire Dreyfus, sous format numérique, dont la mise en ligne a commencé en 2020 (pour en savoir plus, cliquez ici )

Il a notamment publié :

Le Faux ami du capitaine Dreyfus. Picquart, l’Affaire et ses mythes – Ed. Grasset 2019.
Un essai important de démythification de la figure héroïsée du lieutenant-colonel Picquart. Cet essai explique les raisons qui font que Picquart a tardé à s’engager pour la réhabilitation de Dreyfus. Une attitude qui empêcha l’Affaire de se résoudre et empêcha les dreyfusards d’agir efficacement. L’ouvrage démontre ce que fut la mécanique de son héroïsation par les dreyfusards.
Un essai qui ne vise pas à « déboulonner un héros », mais à faire preuve d’un travail d’historien.

L’Histoire de l’affaire Dreyfus : de 1894 à nos jours, vol. 1 et 2 – Ed.Les Belles Lettres – 2014 – 1489 p.
C’est une somme. Cet ouvrage pourrait s’apparenter au scrupuleux travail d’un chercheur scientifique.
C’est le fruit d’un historien chercheur, dont les résultats se fondent sur les preuves incontournables issues de la recherche archivistique. Un ouvrage particulièrement salutaire concernant l’Affaire Dreyfus, histoire propice, de par son aspect extraordinaire, à tous les plus baroques récits romanesques. (par exemple, le film contestable J’accuse de R. Polanski, qui hisse au rang de héros, le fameux colonel Picquart)

Bernard Lazare anarchiste et nationaliste juif – Ed. Honoré Champion – 1999

Sébastien Faure, Les Anarchistes et l’affaire Dreyfus – Éditions du Fourneau, collection noire -1993.

Bernard Lazare – une biographie – éd. Stock – 2003

Interview exclusive de Philippe Oriol

LAHG : Permettez ces questions groupées. Vous avez accepté d’intervenir au colloque sur l’affaire Dreyfus que nous organisons fin novembre de cette année à l’Ecole Normale Supérieure.
Votre sujet : « Une histoire si extraordinaire qu’on la voudrait plus extraordinaire encore…. Petit panorama d’un siècle de thèses sur l’Affaire », tend à faire penser qu’il y a toujours, plus d’un siècle après l’événement, un flux continu de thèses nouvelles.
Est-ce dû à la nature extraordinaire de l’Affaire, génératrice de romanesque, ou aux nouvelles archives étudiées ?
Pourquoi n’a-t-on pas fait le tour de la question ? Où se nichent encore les zones de mystère ? Que pourrait-on encore découvrir ?

On n’a pas fait le tour de la question parce que la question est sans fin. Des fonds sortent régulièrement qui permettent de mieux connaître l’événement, le rôle de tel ou tel acteur, tel groupe, etc. Il n’y a pas de mystère, pas de vérités cachées, pas de secrets d’histoire et pas l’ombre d’un doute sur l’essentiel :
Dreyfus est innocent, Esterhazy était le traître à la place duquel Dreyfus a été condamné, il a agi de son propre chef et a été protégé par l’état-major coupable.

LAHG : Vous vous consacrez totalement à Zola et Dreyfus au point de diriger la maison Zola/musée Dreyfus située à Médan depuis 2021. D’où vient cette passion ? Comment s’est-elle imposée à vous ? Et pourquoi ?

Le titre de ma communication, ou plus exactement sa première partie, contient la réponse à cette question : mon intérêt pour l’Affaire tient déjà au fait qu’elle est une « histoire si extraordinaire » avec ses gentils et ses méchants, méchants jusqu’à la caricature, avec ses traîtres et ses héros, ses histoires d’amour et ses morts mystérieuses, ses rebondissements et ses coups de théâtre.
Mais à côté, ou au-dessus de cette réalité qui me donne souvent le sentiment d’avoir douze ans et de jouer à Sherlock Holmes, elle met en jeu et pose des questions qui me font depuis longtemps me mobiliser.

Je ne crois pas qu’on puisse travailler sur un tel sujet tout à fait par hasard et écrire sur l’Affaire et plus encore participer à la création du musée Dreyfus est aussi pour moi une occasion de pousser quelques petits cailloux sur des questions qui me tiennent à cœur et qui ont trait à la République, à ses valeurs et à ses vertus émancipatrices, à l’engagement, à la laïcité, à la stupidité antisémite, etc.

Parallèlement, elle me permet de satisfaire aussi à la conception qui est la mienne du travail et du plaisir que je peux trouver à me retrouver au pied d’une montagne et d’avoir à la gravir moins pour en atteindre le sommet que pour en connaître chaque recoin.

Enfin, et contrairement à une idée reçue selon laquelle il n’y aurait plus rien à savoir à son sujet, l’Affaire satisfait mon goût de l’archive, des dépouillements – un tantinet obsessionnels – systématiques, de la découverte de nouveaux fonds, etc.

LAHG : Vous avez récemment lancé avec succès une souscription (qui a dépassé les 10 000 € nécessaires) pour éditer un ouvrage inédit le Catalogue de la Maison Zola-Musée Dreyfus intitulé « La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera ». Pouvez-vous nous en parler ?

Il s’agit de proposer – ne serait-ce que parce que la demande en est forte – le catalogue de Maison Zola-Musée Dreyfus : un superbe objet, à la mise en page soignée, relié, co-collé, emboitage dos rond avec tranchefile, imprimé sur un magnifique non-couché, de près de 400 pages, et comptant plus de 800 illustrations… et tout cela au prix public le plus « serré » possible.
Un catalogue qui est en deux « livres » : une partie sur la maison et une sur le musée, permettant de revoir ce qu’on a pu apprécier en nous rendant visite, de découvrir aussi une grande partie de notre fonds qui n’est pas exposé et de faire le point, grâce à des articles de Martine Le Blond-Zola, arrière-petite fille de Zola, de Charles Dreyfus et de Jean-Louis Lévy, petits-fils de Dreyfus, d’Alain Pagès, de François Labadens, d’Olivier Lumbroso, de Vincent Duclert, de Pierre-Olivier Perl, de Benoit Marpeau, sur Zola, sa vie à Médan, et sur l’Affaire.

LAHG : Et quels sont les prochains projets que vous souhaitez mettre en œuvre pour le musée ?

Il y en a des dizaines : création d’une bibliothèque numérique, d’un laboratoire de recherche sur l’Affaire, conception et réalisation d’expositions extérieures, réalisation d’audioguides en visite descriptive pour les publics malvoyants ou aveugles, restauration de la ferme de Zola et création d’une ferme pédagogique.

Mais l’idée aussi est de faire vivre le musée comme lieu, au-delà de la pure question muséale : ouverture d’un restaurant, organisation, dans le parc d’un salon du livre ancien et d’un salon du vin naturel, etc.

LAHG : Revenons à l’affaire Dreyfus. Votre travail d’historien vous porte à démythifier l’Affaire, à relativiser, voire contester certains personnages que la vox populi, ou la pensée dominante a érigés en héros. Je pense à votre travail sur le lieutenant-colonel Picquart.
Seriez-vous d’accord pour dire que cette démarche de démythification ressemble à celle d’Henri Guillemin ?


Oh ! ma modestie en souffrirait. De plus ma volonté n’est pas de démythifier ou de remettre en question tel ou tel. Je ne suis pas juge mais bien historien. Mon seul but est de proposer une histoire plus précise, plus exacte, plus historienne.

LAHG : Vous avez entrepris une colossal travail à visée encyclopédique sur l’affaire Dreyfus le Dictionnaire biographique et géographique de l’affaire Dreyfus, construit comme un abécédaire. Où en êtes-vous ?

Je suis un peu débordé par le musée donc j’avance à un train de sénateur.
Aujourd’hui près de 3 000 notices sont écrites et 485 sont en ligne. Un Dictionnaire qui est un monstre puisque je publie dans l’ordre et que les notices aujourd’hui en ligne ne couvrent que le segment A à Be.
A noter, pour être complet au sujet de ce Dictionnaire que le choix a été fait de publier en ligne non seulement parce qu’aucun éditeur ne pourrait en accepter le volume irraisonnable mais surtout parce qu’il permet de n’être jamais fermé, d’être amendable à tout moment et surtout de faire profiter des avantages du numérique comme par exemple de pouvoir, pour chaque citation, renvoyer au journal ou au livre cités quand ils sont sur Gallica, Retronews ou sur les sites des Archives Départementales.

LAHG : Outre cette vaste entreprise, quels sont vos autres activités et projets ?

Actuellement, deux projets éditoriaux : les œuvres complètes de Bernard Lazare et celles de Félix Fénéon.

LAHG : malgré son cas unique, pensez-vous qu’une nouvelle affaire Dreyfus pourrait de nouveau advenir ? Entendons cela sous l’angle de la Raison d’État qui pourrait à nouveau agir. Ou au contraire le travail des historiens n’est-il pas d’établir, pas à pas, la connaissance nécessaire pour ériger de nouveaux garde-fous.
Dans ce cas, il y aurait une sorte de lutte entre la recherche historique et sa transmission au plus grand nombre (par ex, on connaît le rôle des media comme chiens de garde).

Vaste question, et périlleuse.

Non, sans doute pas, et non pas parce que l’antisémitisme est en recul, il est au contraire bien vivace, non pas parce que la Raison d’État n’existe plus et que nous sommes aujourd’hui à l’abri d’un nouveau crime d’État mais parce que le numérique et le digital changent la donne.

Internet permet certes d’amplifier l’écho des mensonges mais permet aussi de les combattre plus activement et plus rapidement.

Enfin, pour finir, sans doute qu’une des missions de l’histoire est de permettre de regarder différemment le présent et de préparer l’avenir mais quelle est son audience dans une époque qui ne lit plus et préfère se divertir devant ses multiples écrans.

Mais gardons l’espoir et disons-nous que peut-être, pour ne citer qu’un exemple récent, le petit tract Gallimard, Zemmour contre l’histoire, auquel j’ai eu l’honneur, en compagnie de quinze historiens, de collaborer a peut-être pu jouer son rôle dans la prise de conscience des mensonges du candidat d’extrême-droite et des mécaniques qui les commandent.

LAHG : Bien que vous soyez très connu dans le milieu académique, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs, ainsi que les raisons de votre intervention au colloque « Henri Guillemin » que nous organisons fin novembre 2023 à l’ENS sur le thème « L’affaire Dreyfus et son temps – Enjeux politiques et interprétations » ?

Je ne pense pas être très connu et la chose me convient assez bien. Je suis donc historien, spécialiste de l’Affaire, concepteur du musée Dreyfus et directeur de Maison Zola-Musée Dreyfus mais aussi enseignant et fondateur d’une école présente aujourd’hui un peu partout en France et qui propose, sur la base d’une pédagogie alternative, de former, autrement, des jeunes gens titulaires du baccalauréat aux métiers de la communication.

Quant à ma communication, elle aura pour objet de faire le panorama des « thèses extraordinaires » relatives à l’affaire Dreyfus et cela parce qu’Henri Guillemin y participa en proposant, comme il l’a lui-même dit, une « rêverie » qui en était bien une.

Colloque Henri Guillemin – fin novembre/début décembre 2023

Le colloque aura pour thème : « L’affaire Dreyfus et son temps. Enjeux politiques et interprétations ».

Sur une journée entière, une équipe de sept intervenants, spécialistes de l’Affaire, s’attachera à présenter les différents aspects de ce scandale d’Etat aux multiples facettes.

Au moment où nous écrivons, comme déjà dit auparavant, nous avons préréservé trois samedis : le 18/11, le 25/11 et le 02/12 et nous saurons, fin août, lequel des trois nous sera attribué.

Le programme du colloque est mis en ligne sur ce site. Pour le consulter, cliquez ici