EXTRAITS CHOISIS ET COMMENTÉS DE » L’héroïque défense de Paris (1870-1871) »
C’est le deuxième tome de la trilogie que Guillemin consacre à la Commune de Paris. Il y étudie les extravagantes manigances que ne va pas hésiter à prendre l’élite pour garder son pouvoir en dupant éhontément et grossièrement le peuple.
Ce deuxième tome de sa trilogie sur la Commune est exemplaire des distances qu’il prend vis à vis d’une histoire officielle qui est, si souvent, selon ses termes, une « histoire courtisane ».
Des astres….
…..au désastre
Fin octobre 1870, Bazaine capitule, à Metz, devant l’armée allemande sans avoir vraiment combattu. Le Gouvernement de Défense nationale ne va pas se montrer plus déterminé à poursuivre le combat. Gambetta est seul à vouloir lever, en province, une armée qui pourrait repousser les troupes de Bismarck. Leur avancée ne rencontrant aucun obstacle, elles se retrouvent aux portes de Paris. Commence alors une période complexe où les discours bellicistes des dirigeants cachent mal la volonté d’en finir au plus vite avec la guerre afin de se concentrer sur ce qui semble être l’essentiel – la mise au pas d’un peuple parisien qui est, à leurs yeux, une menace beaucoup plus grande que la perte de quelques provinces : la remise en cause des intérêts de ces « honnêtes gens », dont Guillemin ne cesse de dénoncer le cynisme.
Caractéristique de cet état d’esprit, l’évolution des positions de Veuillot, journaliste qui ne cesse de ferrailler contre tout ce qui peut représenter un progrès social et une remise en question des classes dirigeantes :
« Il n’y a pas un mois, quand c’était l’ordre qui régnait, le bon régime qu’allait redresser et renforcer Palikao, Veuillot, dans l’Univers du 9 août, ne connaissait pas de limites à son bellicisme contre l’envahisseur luthérien; il explosait, il maniait la foudre; « la France ne traitera jamais sur son sol ! », « et si l’épreuve peut aller jusqu’à lui interdire la guerre régulière, alors, aussitôt, commencera la guerre des haies, des ravins et des bois ! ». Le ton a baissé, tout à coup, depuis que le Léviathan populaire a surgi, cette canaille, dont les « délégués » sont maintenant à l’Hôtel de Ville, et qui souhaite effectivement la guerre totale que Louis Veuillot prêchait hier. Halte-là ! L’Univers du 17 septembre appelle l’attention de ses lecteurs sur le fait que, « pour notre malheur, l’Allemagne ne forme qu’une cité ; et, dans notre Paris, il y en a deux ». C’est la vérité même : la cité des Français, qui entend se défendre, et celle des possédants-sages qui redoute l’envahisseur mille fois moins que les « partageux ». ».
Après quatre mois de siège, le 23 décembre, quand Louis Veuillot croira la capitulation désormais imminente, il s’abandonnera au cynisme, il avouera qu’il ne fallait pas vaincre, qu’une victoire eût été désastreuse : « « Nous sommes de ceux qui croient », écrira-t-il paisiblement, « qu’il nous était plus désirable et meilleur de résister que de vaincre »; sans doute, sans doute, la victoire « nous eût délivré de l’ennemi extérieur »; mais l’autre, le vrai, « l’ennemi intérieur » (sic), « ce vice du sang », l’esprit démocratique, c’eût été son triomphe, et la fin de tout ».
Plus limpide encore, quand la tragédie sera terminée tout à fait avec l’écrasement de la Commune, le 3 juin 1871, Veuillot, dans l’Univers, lâchera le mot-clé : « « le 4 septembre », écrira-t-il, fut « le coup qui encloua le canon de la France. » On ne saurait mieux dire. Les généraux, le 4 septembre, ont « encloué » leurs canons côté Allemagne, et les gens de bien ont tourné face au peuple leur vigilance et leur action. » (p.19)
Pendant 144 jours, Paris sera assiégé, sa population affamée et le Gouvernement de la Défense nationale ne donnera jamais l’ordre d’une sortie qui eût pu changer la donne militaire. Il se contente d’escarmouches qui sont plus faites pour donner le change au peuple que pour repousser vraiment les Prussiens.
Trochu n’a en tête qu’une capitulation, la plus rapide possible : « Tenir Paris ; empêcher la révolution ; grâce à la République nominale, barrer la route à la République concrète. Le jeu que l’on a dû mener impose, pour l’instant, une nouvelle feinte : celle du combat sans merci. On n’est parvenu, une fois de plus, à donner le change aux Parisiens, qu’en simulant une volonté de fer contre la Prusse et l’exclusif souci de la bataille. Renoncer à la convocation de l’Assemblée était, au surplus, le seul moyen qu’on avait de conjurer ces élections municipales à Paris d’où pouvait très bien sortir une « Commune », résolue pour de bon à faire la guerre et la République. La voilà, la chose capitale. » (p.97)
Autant dire que ces messieurs ne voient pas d’un œil favorable les efforts de Gambetta pour lever, en province, une nouvelle armée susceptible de desserrer l’étau des Prussiens autour de Paris.
Mais c’est là qu’intervient une partie de l’encadrement militaire qui n’a aucune envie de se battre pour la République et les nouvelles recrues manquent cruellement d’officiers motivés pour une reconquête du territoire. « Ce que le jeune ministre a vu à Amiens et à Rouen, et ce qu’il constate, de même, à Tours, c’est la « mollesse » et « l’impuissance » des vieux « généraux de division, sortis des cadres de réserve » que les bureaux de Guerre ont exhumés. Sorel (…) confie à sa mère une remarque semblable : « l’incapacité et l’incurie de beaucoup de nos officiers dépassent la mesure. » La Motte-Rouge (…) était chargé de défendre Orléans. Attaqué, il a lâché pied tout de suite, après une escarmouche d’avant-gardes. Le 11 octobre, l’ennemi a pris la ville tandis que le général Morandy, qui est tout près, mais qui appartient, lui aussi, à la bonne école, est resté passif, jugeant superflu de faire marcher ses hommes au canon. » (p.247)
Et, malgré cela, Gambetta commence d’obtenir de bons résultats qui inquiètent les Prussiens. Et encore plus le Gouvernement de la Défense Nationale, qui ne défend à la vérité, fait remarquer Guillemin, que la propriété, la Banque et le Commerce. Qu’à cela ne tienne, on lui coupe les vivres et on le berce de promesses fallacieuses ! En sous-main, Thiers se multiplie pour aboutir le plus vite possible à une capitulation en bonne et due forme.
Pendant ce temps, le peuple parisien se prépare à la résistance, achète des canons.
Quand les bruits d’un armistice se répandent :
« Paris bouge, après Metz, comme après Sedan. C’est bien plus qu’un mouvement d’humeur ou d’effroi, ou de colère. C’est une seconde tempête, pareille à celle du 4 septembre, qui se forme, qui est sur le point d’éclater. Les Parisiens ont renversé l’Empire parce que l’Empire débouchait sur un désastre national et ils ont fait la République pour que ce désastre soit réparé. Et le Gouvernement de la Défense Nationale qu’ils ont accueilli parce qu’il se donnait mission, semblait-il, de guider la France vers la libération et la victoire, ils découvrent, dans une commotion, qu’il n’a rien fait. Décillement.
C’était donc ça, le « plan Trochu » ? Ce qu’on n’avait pas osé croire, au moment de Ferrières, ce dont on avait écarté l’idée comme un blasphème, c’était donc vrai ? Une fausse Défense Nationale ? Une duperie de deux mois ? Trochu, le général Trochu lui-même, une espèce de traitre ? Tout cela tourbillonne dans les esprits, faisant un immense désarroi. Il n’y a pas, comme au 4 septembre, unanimité, et les sentiments même que l’on éprouve ne sont pas simples. (…) Mais comment comprendre l’attitude, le jeu, les desseins de l’équipe gouvernementale, avec cette « drôle de guerre » interminablement prolongée, ces simulacres d’offensive, cette patience qu’on demandait aux Parisiens pour qu’elle permît au général d’achever la mise en place de son dispositif, alors que tout révèle aujourd’hui (…) qu’il n’y avait ni dispositif, ni projet, sinon la préparation tortueuse d’une reddition baptisée armistice (…) » ?
« Cette foule qui grossit de minute en minute dans les grandes rues, sur les boulevards, nul ne peut savoir sur quel objet précis se cristalliseront ses vouloirs. Elle flotte, troublée, malheureuse, indécise sur ce qu’elle doit penser de ceux dont elle n’arrive pas entièrement à croire qu’ils ont pu se rendre coupables envers le pays d’une mystification à ce point monstrueuse. » (p.339/340)
Ce sera la Commune, la fuite du Gouvernement à Versailles et l’écrasement de la Commune sous le regard des Prussiens.
Note réalisée par Patrick Rödel.
Les citations sont reproduites avec l’aimable autorisation des éditions Utovie, éditeur exclusif des oeuvres d’Henri Guillemin. Pour en savoir plus sur le catalogue Guillemin et sur Utovie en général, cliquez ici
Troisième CONFÉRENCE FILMÉE D’HENRI GUILLEMIN, D’UNE SÉRIE DE 13 CONSACRÉE À LA COMMUNE
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CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES (PAR ORDRE D’APPARITION)
Tableau d’Etienne Prosper Berne Bellecour (1838-1910) « Pièce d’artillerie lourde française au siège de Paris, 187o » (Musée des Invalides, Paris)
Tableau de Jean-Léon Gérôme (1824-1904) « Reception des ambassadeurs Siamois par Napoléon III dans la grande salle de bal du château de Fontainebleau, le 27 juin 1861 » (Musée national du château de Fontainebleau)
Tableau de Jean-Louis-Ernest Meissonier (1815 – 1891) « Le siège de Paris » (Musée d’Orsay)
Portait de Louis Veuillot (1813-1883) par Nadar (pseudonyme de Gaspard-Félix Tournachon) caricaturiste, écrivain, aéronaute et photographe français (1820-1910) (domaine public)
Portrait-Caricature de Louis Veuilot par le journaliste Louis-Boynes-Loiret-Andre-Gill (dit André Gill) (1840-1885) (domaine public)
Tableau de Jules Didier (1831-1892) et Jacques Guiaud (1810-1876) « départ de l’Armand Barbès », ballon monté avec courrier et passagers, parmi lesquels Léon Gambetta (musée Carnavalet)
La défense de Paris. « Une barricade à l’angle de la rue de la Bonne ». (Bibliothèque historique de la Ville de Paris)
« Quand le gouvernement ment, la rue rue » Tag de la Nuit Debout à Paris, non loin de la place de la République – 14 juin 2016 (©Photo Pascal Maillard).
Tableau de Gustave Doré (1832-1883) « La défense de Paris » (Frances Lehman Loeb Art Center – Poughkeepsie – Etats-Unis)