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14 juillet : des rappels nécessaires


Fête de la Fédération au Champ de Mars, le 14 juillet 1790 – Gravure sur bois de Stanislas Helman (1743-1809) – BnF

14 juillet 1789, 1790, 1793…..

« Les tyrans coalisés ont dit :
l’ignorance fut toujours notre auxiliaire la plus puissante ;
maintenons l’ignorance, elle fait les fanatiques »

Barère, le 8 Pluviose an II ( janv.1794)

Il y a plus de deux siècles, un événement politique majeur, de rayonnement mondial, advenait en France. Par sa portée, ses enjeux et ses idéaux, la Révolution française reste vivante, n’en déplaise aux adeptes d’une post modernité lisse, « apaisée » et sans antagonismes de classes.

Non, la Révolution n’est pas devenue une sorte de mythe comme l’a bien démontré l’historienne Sophie Wahnich. (Son ouvrage La Révolution française n’est pas un mythe – Ed. Klincksieck – Mars 2017 a fait l’objet d’une newsletter le 2 juin 2017 agrémentée de nombreuses annexes. Pour la relire, ainsi que les importants renvois qu’elle contient, cliquez ici.).

Concernant, à la fois l’explication des enjeux politiques de la Révolution française, et la façon dont son histoire est édulcorée via les différents vecteurs de communication et d’information institutionnels, les travaux d’Henri Guillemin sont un puissant stimulant pour la connaissance et l’éveil de l’esprit critique.

Rappelons-les à cette occasion : conférences, ouvrages, articles, etc.. Ils sont très nombreux. Pour plus de précisions, il suffit de consulter la bibliographie générale établie par Patrick Berthier (pour en savoir plus sur cet ouvrage, cliquez ici), et dont voici les trois principaux :

Le titre est emblématique. L’ouvrage est présenté dans notre bibliographie. Pour en savoir plus, cliquez ici

L’ouvrage est présenté dans notre bibliographie. Pour en savoir plus, cliquez ici

L’ouvrage est présenté dans notre bibliographie. Pour en savoir plus, cliquez ici

A noter : l’ensemble des 13 conférences de Guillemin est accessible en ligne. Une vidéo d’une durée de 6h30. Voir ci-dessous.

14 juillet 1790

Parmi les dates et symboles tombés dans l’oubli aujourd’hui, figure la première Fête de la Fédération conçue pour célébrer l’union de la Nation.

Un an après la prise de la Bastille, s’était en effet installée en France une sorte d’hétérogénéité civique, marquée par de multiples fêtes spontanées et populaires se déroulant dans la quasi totalité des départements et régions de France. Lors de ces fêtes, les milices populaires et les gardes nationales fraternisaient avec les soldats.

Ainsi, le 14 juillet 1790, 14 000 soldats fédérés arrivent à Paris et défilent de la Bastille au Champ-de-Mars, aménagé pour accueillir un demi-million de personnes : bourgeois, aristocrates, gens du peuple, artisans, hommes, femmes….

L’union de la Nation se renforcera trois ans plus tard en 1793 avec Robespierre par l’instauration de la 1ère République et sa célèbre constitution.

Il est intéressant de noter cette surprise :

C’est seulement depuis la loi du 6 juillet 1880, sous la toute jeune IIIe République née en septembre 1870 après la défaite de Sedan face aux Prussiens, que la date du 14 juillet est déclarée fête nationale. Cette loi fondatrice impose également que le siège du pouvoir soit ramené de Versailles à Paris, que les communards parisiens bénéficient de l’amnistie, et que « La Marseillaise » devienne l’hymne officiel.

Mais que célèbre-t-on ce jour-là : prise de la Bastille ou Fête de la Fédération ?

La réponse se trouve dans le texte de la loi :

« Rappelons que le 14 juillet 1789, ce 14 juillet qui vit prendre la Bastille, fut suivi d’un autre 14 juillet, celui de 1790, qui consacra le premier par l’adhésion de la France entière, […]. Cette seconde journée du 14 juillet, qui n’a coûté ni une goutte de sang ni une larme […] Le 14 juillet 1790 est le plus beau jour de l’Histoire de France, et peut-être de toute l’Histoire. »

La date retenue du 14 juillet prend donc le caractère d’une seule célébration pour ces deux événements marquants.

Or, puisque nous avons choisi de remettre de la lumière là où on installe de l’ombre, une question se pose :

où est donc passée la Fête de la Fédération, c’est-à-dire la célébration de la Nation ?

La réponse est simple : dans l’oubli.
La raison ? Si l’on se base sur les travaux des historiens critiques, on peut dire que la puissance singulière des concepts de Nation et de République est devenue, notamment depuis le bicentenaire de 1989, un gros obstacle gênant sur le chemin de la construction d’une macro zone géographique européenne qui célèbre autant le capitalisme transnational sans règles que le développement d’une mosaïque de communautés singulières sans union.

14 juillet 1793


Estampe de l’époque de la Première République, insistant sur l’unité autour de valeurs universelles qui formeront plus tard la devise de la République.

Ce 14 juillet 2023 est aussi le 230e anniversaire de la Constitution de 1793, fortement inspirée par Robespierre. Une occasion pour en parler et se rendre compte de sa puissance politique.

Car il y a des moments où l’Histoire s’accélère et où l’impossible survient. L’année 1793 est de ceux-là. On ne refait pas le monde tous les jours, mais en pleine Révolution française un peuple l’a refait, en adoptant la Constitution la plus démocratique jamais rédigée depuis.

Le préambule donne le ton : Le peuple français, convaincu que l’oubli et le mépris des droits naturels de l’homme, sont les seules causes des malheurs du monde, a résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, ces droits sacrés et inaliénables, afin que tous les citoyens pouvant comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer, avilir par la tyrannie ; afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur ; le magistrat la règle de ses devoirs ; le législateur l’objet de sa mission. En conséquence, il proclame, en présence de l’Etre suprême, la déclaration suivante des droits de l’homme et du citoyen.

Puis vient l’article 1er : « Le but de la société est le bonheur commun. »

La suite de ce texte fascine par ses audaces et ses innovations politiques.

Maximillien Robespierre – Musée Carnavalet

Par exemple : l’égalité entre tous, le droit de vote universel, la séparation des pouvoirs, l’abolition de l’esclavage, l’éducation obligatoire et gratuite, la fin de la monarchie et du despotisme, la création d’une sécurité sociale et des retraites, le droit d’asile et le droit du sol, la séparation de l’Église et de l’État, la présomption d’innocence, le droit de manifester…

Jusqu’à son article 35 : Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

Notre nouvelle rubrique

Comme le dit Alain Badiou, la Révolution française est bien trop riche d’enseignement pour qu’on puisse en tirer un bilan, et encore moins la réduire à un inconvenant soubresaut d’excités, comme tenta de nous le faire croire, dans les années quatre-vingts, l’historien François Furet.(*)
Et pas davantage au fastueux défilé militaire comme on peut s’en rendre compte ; le défilé populaire ayant été interdit en 1954.

(*). Pour en savoir plus sur l’offensive idéologique anti communiste d’après-guerre : Pierre Grémion : Intelligence de l’anticommunisme – Le Congrès pour la liberté de la culture à Paris, 1950-1975 – Fayard 1995 ; Michael Chistofferson : Les Intellectuels contre la gauche, l’idéologie antitotalitaire en France, 1968-1981 – Agone 2009.

Face à ces stratagèmes de la Domination qui touchent l’Histoire en général, il faut, comme Guillemin et tous les militants de la vérité historique, rester vigilants, ne pas croire les discours officiels et exercer son esprit critique.

Pour exprimer cette posture, la dire avec force et poésie, Henri Guillemin employa cette belle expression : Le refus de se laisser monter sur la cervelle (1)

C’est cette expression que nous reprenons pour titre de notre nouvelle rubrique qui terminera dorénavant nos newsletters et dont voici le premier article.

Dans cette rubrique, nous proposerons les ouvrages, conférences, films, articles, bref, toutes les références utiles pour aiguiser cette vigilance critique.

Comme une sorte de kit d’autodéfense intellectuelle en permanente construction, nous mentionnerons les références culturelles et faits d’actualité qui nous semblent nécessaires pour aider à voir et à comprendre ce qu’on nous camoufle. Pour se doter d’analyses critiques personnelles. Pour refuser qu’on nous enquinaude.

(1) : titre d’un article publié dans La Tribune de Genève le 16 octobre 1968. Article repris dans le recueil : De l’Histoire et de la Littérature – sélection d’articles 1964-1974 Edité chez Utovie (cliquez ici)

Le refus de se laisser monter sur la cervelle

14 juillet 1953

Affiche du film Les Balles du 14 juillet 1953 – documentaire – Ecrit et Réalisé par Daniel Kupferstein – 2014 – 85 minutes – Couleur

Il y a exactement 70 ans, ce jour-là, au moment de la dislocation de la traditionnelle manifestation populaire en l’honneur de la Révolution française, la police parisienne charge un cortège de manifestants algériens. Sept personnes (six Algériens et un Français) sont tuées et une centaine de manifestants blessés dont plus de quarante par balles.

Un carnage.

Cette histoire est peu connue en France comme en Algérie. Pendant un demi-siècle, ce drame va être effacé des mémoires et des représentations, en France comme en Algérie.

Pour comprendre les raisons de cette amnésie et faire connaître les circonstances de l’événement, Daniel Kupferstein a conduit une longue enquête, pendant quatre ans. Elle lui a permis de réaliser en 2014 un film, qu’un livre prolonge et complète.

Ce documentaire est l’histoire d’une longue enquête contre l’amnésie. Enquête au jour le jour, pour retrouver des témoins, faire parler les historiens, étudier les archives pour comprendre comment ce mensonge d’Etat a si bien fonctionné.

Daniel Kupferstein, est un réalisateur et documentariste, auteur de nombreux films, dont Dissimulation d’un massacre (2001), sur la sanglante répression de la manifestation du FLN du 17 octobre 1961 à Paris, et Mourir à Charonne, pourquoi ? (2010) sur la répression de la manifestation du 8 février 1962.

Comment voir le film ?

Comme il est refusé par le réseau de distributeurs classiques, Daniel Kupferstein dépend des exploitants de salles engagés qui acceptent la projection du film, hors circuit commercial.

Pour plus d’information, il convient de contacter le réalisateur (cliquez ici)

Ed. La Découverte – 256 pages – 18 €
Ed. Le Détour – 240 pages – 18 €

1er mars – 4 avril 1963

Le calendrier nous sourit. L’année 2023 est aussi le moment pour mettre en lumière un autre événement lui aussi oublié : la grande grève des mineurs qui eut lieu du 1er mars au 4 avril 1963, dont on peut rappeler le 60e anniversaire cette année.


10000 mineurs de charbon et de fer lorrains, manifestent le 5 mars 1963 à Forbach pour empêcher la fermeture des mines et réclamer l’implantation de nouvelles industries dans la région – Photo AFP/Archives

Outre la présentation des raisons de cette grande grève, la description des conditions de travail et de la vie des mineurs, ce qu’il faut retenir de ce documentaire est la force de l’unité syndicale, l’organisation et le calme du mouvement, le rôle des femmes et celui de la solidarité nationale et internationale.

Il est possible de regarder le film et prendre connaissance des causes et du contexte de cette longue lutte en cliquant ici

Eté 2023

Et puisque les vacances, pour certains, arrivent et pour d’autres, sont déjà installées, n’oublions pas qu’elles représentent toujours un moment idéal pour voyager en littérature.

Sur les luttes de par le monde et à propos de l’analyse de notre société du spectacle, voici nos trois conseils de lecture :

Ed. Maspéro – 254 pages

Ce livre montre comment un peuple de mendiants condamné au travail à perpétuité, est écrasé, persécuté, méprisé ou tué pour engraisser, hier les barons de l’étain et aujourd’hui, après les nationalisations des mines, d’autres personnages d’une égale indignité.

Un chapitre emblématique raconte l’épisode historique où un dictateur bolivien, pour briser la force et l’unité des classes populaires, procura gratuitement à chaque foyer, un poste de TV.
Le peuple s’atomisa, la lutte s’éteignit, la conscience politique fut dissoute dans l’abêtissement télévisuel.

Un témoignage poignant d’une femme intraitable face à toute injustice.

Ed. Allia – 100 pages

L’histoire se passe dans les années 20, au Japon. L’industrialisation du pays fait rage, tandis qu’en Russie, la Révolution vient de s’achever. Au port de Hakodate, le bateau-usine s’apprête à partir en mer, pour pêcher des crabes qui seront revendus à prix d’or.
Mais les ouvriers-pêcheurs ne se doutent pas encore du destin qui les attend… Exploités, battus et spoliés par l’intendant du navire qui ne pense qu’au profit, ils vivront un véritable enfer quotidien.
Un jour, quand le bateau échappe au naufrage grâce à l’aide d’un chalutier russe, les esprits s’échauffent Un jeune étudiant, influencé par les romans de Dostoïevski, décide de prendre la tête d’un mouvement de rébellion.

Kobayashi Takiji (1903-1933) étudie à l’École Supérieure de Commerce d’Otaru, l’une des plus prestigieuses écoles du pays à cette époque, puis travaille à la Banque du Développement de Hokkaido.

La découverte des conditions de vie effroyables des paysans et des ouvriers dans l’île de Hokkaido ainsi que la lecture des textes marxistes le rendent sensible au communisme.
En 1928, il acquiert une certaine notoriété littéraire en publiant un roman décrivant une journée de violente répression dirigée contre le Parti Communiste. Deux romans publiés en 1929, Le bateau-usine et Le propriétaire absent, font de lui la figure majeure de la littérature prolétarienne japonaise.

Ayant perdu son emploi à cause de ses écrits, il s’installe à Tôkyô en 1930 pour se consacrer à l’écriture et à l’action politique clandestine.

Il meurt sous la torture policière, le 20 février 1933.
Cette fin tragique, qui suscite une vive émotion au Japon et dans le monde entier, est notamment dénoncée par l’écrivain chinois Lu-Xun et par Romain Rolland en France.

Le Bateau-usine est considéré comme un chef d’oeuvre de la littérature prolétarienne.

Ed. Lux – 336 pages

Aux Etats-Unis, en pleine effervescence des années 1960, la révolution de l’image bat son plein. Le dynamisme des médias de masse, de la publicité, du vedettariat et du marketing est à son comble.

Sous la réussite, cependant, Daniel J Boorstin perçoit la menace : celle d’une substitution, dans la culture américaine, de l’image à la réalité. S’appuyant sur une histoire factuelle des pratiques qui ont rendu possible la société du spectacle, cet ouvrage foisonnant montre la transformation progressive du territoire américain en espace publicitaire et médiatique.

C’est une histoire du journalisme et du star-system, mais aussi du tourisme de masse et des chaînes d’hôtels, des best-sellers, des logos d’entreprise et de la publicité.

Le triomphe de l’image est une oeuvre pionnière dont se sont inspirés Jean Baudrillard et Guy Debord. Elle est aujourd’hui à lire comme une critique du monde actuel.

°°°

L’équipe de LAHG vous souhaite de très bonnes vacances. Rendez-vous début septembre.


Pleine liberté – Tableau de Alexandre Deïneka, peintre russe (1899- 1969) – Huile sur toile 204 x 300 cm – Musée Russe de Saint-Pétersbourg © Adagp,

2 réponses sur « 14 juillet : des rappels nécessaires »

Une excellente lettre riche de faits et comme dit Germaine Tillion « donc d’effets ». Quant à la nouvelle formule, elle permet d’emporter son maillot de bain ou ses chaussures de marche, un écran et on est déjà paré pour l’été. Un peu de temps avant de partir et le choix est fait des livres à emporter (pour un prix modique tous existant en occasion) et s’ouvrir à des mondes lointains en apparence mais d’un monde bien semblable au nôtre. Et le meilleur pour la fin, le travail de Kupferstein et des associations autour du massacre du 14 juillet 1953, a permis de lever ce matin même l’interdiction du défilé populaire du 14 juillet parti de la place Daumesnil à 14h en direction de Nation où sera projeté gratuitement, 2 fois dans la soirée, le fameux documentaire. S’instruire c’est aussi combattre!

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